Mobitelex 491 – 28 mai 2025

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Un autre monde ?

Deux nouvelles études cette semaine : la voiture suscite de très nombreuses évictions et le train de nuit a beaucoup d’avenir. A l’attention des acteurs de la convention de financement des transports: n’oubliez pas de faire de la place aux alternatives !

Voilà deux éléments auxquels il n’est pas certain que les participants à la conférence de financement Ambition France Transport auront accès prioritairement, tellement ils ne cadrent pas avec les modèles économiques dominants. Mais ne pas les considérer à leur juste mesure, ce serait creuser encore un peu davantage le fossé d’incompréhension entre une partie des Français et leurs représentants.

Que disent ces deux études, que nous présentons ci-dessous ?

La voiture n’est pas/n’est plus un moyen de locomotion accessible dans toutes les circonstances au plus grand nombre. Le nombre des éconduits de la conduite est même assez stupéfiant.

Les trains de nuit sont vraiment très attractifs sur certaines dessertes, bien au-delà du folklore ou de la gabegie économique auxquels certains voudraient les réduire.

On pourrait rajouter d’autres études disruptives : par exemple, le potentiel du vélo et de la marche qui légitiment d’autres aménagements des espaces et de la voirie, le développement des lignes de cars qui appellent de nouveaux pôles multimodaux. En tout état de cause, l’accumulation de ces constats dessine un autre système de mobilité qui ne serait plus aussi caricaturalement phagocyté par la voiture et le TGV, ou réduit à l’alibi que constitue souvent un frustre équipement multimodal. Il s’agit au contraire de reconsidérer certains investissements pour correspondre à la diversité des demandes des Français – et des Européens -, adaptées à leurs spécificités et à leurs territoires. Moins de dogme, plus d’opportunisme.

La SNCF dans sa diversité croit toujours modérément au retour des trains de nuit (les actifs ne tournent pas assez…), après avoir œuvré avec l’Etat à leur quasi-disparition il y a moins de dix ans. Qu’à cela ne tienne ! Après avoir commandé du matériel neuf, l’Etat va confier à SNCF Voyageurs leur mise en exploitation, puis mettre plusieurs liaisons en appels d’offres. SNCF Réseau sera tenu de répondre aux sollicitations de sillons, y compris en open access, et de garantir les circulations, malgré les travaux et la tentation de l’abandon de certains services nocturnes.

La route et le rail doivent faire preuve d’ouverture et d’imagination pour accueillir des solutions de mobilité diverses, pas seulement dictées par la performance économique de leurs opérateurs dominants, privés ou publics. Cela paraît évident, mais au moment d’orienter les financements, il n’est pas inutile de le rappeler. G. D.

Transport sanitaire : une hausse logique

On n’en revient pas, ces derniers jours, de la surprise de l’Etat à constater l’inflation des trajets médicalisés en taxis : puisque l’on a fermé des sites médicaux par centaines, il faut bien acheminer les patients vers les métropoles ! Des trajets qui pouvaient être réalisés jusqu’alors soi-même, ou grâce à la famille, à des voisins, à des amis, ne le sont plus car les distances deviennent souvent trop importantes et induisent des temps de trajet élevés. L’enquête de Forum Vies Mobiles a quantifié les renoncements à des rendez-vous médicaux, pour les seuls détenteurs de permis de conduire : ils touchent 22% d’entre eux, au moins une fois par an !

Il faudrait demander aux ARS (Agences Régionales de Santé) de comparer les milliards engloutis dans le transport sanitaire (plus de 6 milliards en 2024, dont 3 milliards environ pour les taxis conventionnés), avec les économies réalisées par les délocalisations de sites médicaux publics. Soit le jeu en vaut largement la chandelle, soit on a «oublié» d’évaluer l’évolution à la hausse de cette ligne budgétaire…

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ENQUETE

Voiture = liberté, quelle blague !

Selon une enquête * de Forum Vies Mobiles dévoilée en exclusivité par Mobilettre, seuls 18% des détenteurs du permis de conduire déclarent ne jamais être empêchés de conduire. Tous les autres renoncent à des degrés divers et pour des causes multiples à l’usage de leur véhicule. Ainsi, près de la moitié ont du mal à conduire la nuit.

Il était temps de s’intéresser à la voiture, au-delà des certitudes, fantasmes et autres passions que ne manquent pas de nourrir les nouveaux aménagements urbains et les réglementations en tous genres. Ah ! la voiture, et surtout son conducteur, victimes des élites en mal de décarbonation ! Le think tank Forum Vies Mobiles, financé par la SNCF mais dont les travaux passés et les méthodologies attestent de la grande indépendance, a décidé de s’y lancer, avec trois enquêtes successives. La première, aujourd’hui, concerne les exclus de la conduite – les suivantes traiteront du coût du système voiture (en juin) et de la consistance d’un système complet alternatif à la voiture (en septembre). D’ores et déjà la présentation de ce dernier est prévu le 16 septembre en ouverture de la semaine de la mobilité (inscription ici)

Si a minima 33% de la population française, tous âges confondus, ne peut structurellement jamais prendre le volant (jeunes, sans permis, victimes d’une incapacité permanente), c’est un autre chiffre qui stupéfait : seulement 18% des détenteurs de permis de conduire déclarent ne jamais être empêchés de conduire, dans aucune circonstance. Ce qui signifie qu’une très large majorité admet y renoncer toujours ou presque (23%), souvent (21%) ou occasionnellement – moins d’une fois par mois (38%), dans au moins une situation donnée.

Quelles sont ces situations données ?

Une première série tient à des contextes hostiles. La conduite de nuit, en premier lieu : 7% ne conduisent jamais la nuit, 9% y renoncent souvent, au total c’est un casse-tête pour 43% d’entre eux. Puis le trafic urbain et le stationnement, la conduite en zone rurale ou montagneuse, la météo. La deuxième série a trait à des freins matériels et pratiques : les coûts de déplacement en voiture (premier motif de renoncement régulier), les pannes mécaniques (6% au moins une fois par mois!), la fatigue et la somnolence… et des problèmes «administratifs» : contrôle technique pas à jour, défaut d’assurance, permis suspendu ou expiré.

Les femmes renoncent davantage dans des contextes à risque, les hommes pour des raisons matérielles, et les jeunes à la fois car ils sont désemparés face à des situations complexes et par souci de budget. Les principaux motifs de déplacement «victimes» de ces renoncements en tous genres : rendre visite à des proches (32% des détenteurs de permis), la pratique d’un loisir (28%), subir un examen médical (22%) etc.

Cette étude originale écorne sérieusement l’image de la voiture émancipatrice pour tous, et met en exergue un groupe non homogène mais très important de citoyens qui passent sous les radars des représentations culturelles. Voilà une nouvelle fracture invisible de la société, d’autant plus mal vécue que ceux qui renoncent à la conduite sont moins valorisés que ceux qui roulent allègrement – ils subissent même une double peine puisqu’ils ne disposent pas de suffisamment de solutions alternatives et de conditions favorables à une autre mobilité. «Combien d’enfants ne peuvent pas marcher seuls jusqu’à l’école, combien de personnes âgées renoncent à faire leurs courses à vélo, combien d’actifs redoutent de se rendre au travail autrement qu’en voiture, faute de sécurité ou d’infrastructure adaptée ?», questionne Forum Vies Mobiles. Il était vraiment temps de prendre en compte ces éconduits de la conduite.

* A lire : l’intégralité de l’étude Forum Vies Mobiles et sa méthodologie


ETUDE

Les trains de nuit, quel succès !

Une étude très complète de l’ONG Réseau Action Climat (RAC) sur les trains de nuit conclut à leur très forte attractivité depuis quelques années, mais leur développement est bridé par une pénurie de matériel. Les taux de remplissage sont très élevés, et pas seulement pendant les vacances. De quoi inciter l’Etat (et les industriels et opérateurs) à réinvestir sur l’activité, y compris dans une perspective européenne ?

Le train de nuit, ça roule. Les habitués, critiques envers les retards et les annulations intempestives, assurent néanmoins que les trains sont pleins et qu’il vaut mieux réserver son billet à l’avance. Ce constat est confirmé par le Réseau Action Climat (RAC) dans un rapport détaillé intitulé « Le réveil a sonné », publié mardi 27 mai. En 2024, un million de passagers ont emprunté, en France, un train de nuit, d’après les chiffres de la DGITM compilés par le RAC. En 2019, ils étaient 410 000.

La relance de ce mode de transport, depuis 2020, n’a donc pas été vaine. Six des sept lignes au départ de Paris enregistrent une hausse continue de la fréquentation : Toulouse, Nice, Briançon, Tarbes, Cerbère, La Tour de Carol et Aurillac. Seule la desserte de Rodez et Albi perd quelques passagers entre 2022 et 2024, notamment en raison d’un glissement de terrain qui a coupé la ligne pendant trois mois. Depuis 2019, la hausse atteint même 60% pour le Paris-Toulouse, soit 100000 passagers en plus, et un taux de remplissage record de 86%.

Mais l’offre peine à suivre.

Les rames en circulation, au nombre de 129, devraient être remplacées à partir de 2030, selon un appel d’offre qui devrait aboutir en 2026 (lire MobiAlerte 119), par 27 locomotives et 180 voitures, ce qui permettrait de renforcer la desserte de Toulouse. Toutefois, pour répondre pleinement à la demande, l’Etat pourrait activer une « clause optionnelle » de l’appel d’offre, et commander jusqu’à 340 voitures. Une poignée de constructeurs européens auraient la capacité d’y répondre, de Siemens à Talgo en passant par CAF ou le suisse Stadler.

Ce serait suffisant, selon le RAC, pour relancer, après 2030, des liaisons telles que Bordeaux-Nice ou Strasbourg-Perpignan. A terme, le potentiel de développement, s’appuyant sur des lignes telles que Lyon-Bordeaux, Lyon-Quimper ou Paris-Malmö, nécessiterait même de faire circuler 600 voitures, d’après un rapport publié par le ministère des transports en 2021, qui privilégie une offre complémentaire du réseau à grande vitesse, lacunaire pour de nombreuses liaisons transversales et dessertes de territoires.

Pour étayer sa démonstration, le RAC rappelle les multiples avantages d’une politique publique en faveur des trains de nuit. Pour le voyageur, d’abord, qui débourse moins qu’en montant dans un TGV, et s’épargne une nuit d’hôtel. Pour les transporteurs, qui peuvent répartir les frais fixes entre les lignes, mutualiser la maintenance ou optimiser les correspondances. Pour la planète, enfin, puisque six des dix principales liaisons entre la France et ses voisins peuvent se faire en train de nuit, du Paris-Barcelone au Nice-Londres en passant par le Paris-Venise.

Même si le déblocage des fonds nécessaires à la location des voitures serait « rationnel » et finançable, en attendant la taxation du kérosène, par une majoration de la taxe sur les billets d’avion, Alexis Chailloux, responsable aérien et ferroviaire de l’ONG, n’est pas optimiste : il serait surprenant que « Bercy sorte de l’argent maintenant ». La régénération des voies et le maintien nocturne des postes d’aiguillage et de signalisation est en outre indispensable.

Reste « un débat sans fin » que le RAC n’a pas voulu trancher.

Faut-il privilégier des compartiments confortables, logeant quatre, voire deux personnes, afin d’attirer une clientèle aisée, et donc vendre les billets plus chers ? Ou miser sur la capacité, des compartiments de six couchettes, afin de remplir les trains ? Le succès de la fréquentation plaide a priori pour la deuxième hypothèse. Mais cela dépend des lignes. « Sur la liaison Paris-Nice, les voitures de première classe se remplissent plus vite », observe Alexis Chailloux.

Dans son appel d’offres, la DGITM a établi cinq niveaux de confort pour les rames. Les autorités organisatrices rêvent en effet d’un train qui, à la manière du réseau de cars nocturnes qui circulent en Amérique du Sud, proposerait de multiples niveaux de classe, du siège inclinable à 30 euros à la cabine individuelle facturée dix ou quinze fois plus cher. « Mais les constructeurs objectent que pour des petites séries telles que les voitures-couchettes, la multiplication des formats risquerait de renchérir le coût à l’unité », indique le responsable du RAC. Le train de nuit a de l’avenir, mais la forte demande doit s’accompagner d’une volonté politique et d’une ingéniosité industrielle.


PUBLICATION

Balade aux marchés

Olivier Razemon a nourri de ses très nombreuses visites dans les marchés de France un ouvrage complet et bienveillant sur la survivance presque anachronique de ces rituels de proximité. Achetez «On n’a que du beau !». Mais son prix ne se négocie pas…

Il y a plusieurs façons de rendre compte d’un phénomène économique et sociétal : une analyse techno à base de chiffres, un voyage littéraire, une compilation d’anecdotes, un reportage photographique… Et puis il y a le style Razemon, une sorte de balade érudite qui ne ressemble à nulle autre.

Elle ne ressemble à nulle autre car tel un client des étals, Olivier Razemon se nourrit d’abord de ses déambulations et de ses entretiens – avant de trianguler si l’on peut dire avec ses lectures et ses propres réflexions d’un journaliste attentif à son environnement. Le résultat, un entrelacs permanent d’exemples, choses vues et entendues, chiffres, analyses et contextualisations qui forme une vision complète du marché forain – qui est aussi intéressant du strict point de la vue de la mobilité: moins de kilomètres pour faire ses courses, moins de pollutions. En guise d’illustration, voici comment Olivier Razemon aborde page 119 la question des prix : plus ou moins chers que dans les supermarchés ?

«Un tour sur les étals suffit à repérer l’aubaine. A Saint-Antonin-Noble-Val, un dimanche d’été, Anaïs Huard, maraîchère à Montpezat de Quercy, vend un généreux panier de légumes bio, qui suffirait à préparer un repas pour une famille entière, pour seulement six euros. «Je veux garder des produits accessibles», dit-elle. Ses clients n’en reviennent pas : «Ils me disent, c’est tout ?» d’un air surpris», confie-t-elle. A Douarnenez, des tomates succulentes, pommes de terre, courgettes, un chou-fleur, sont proposés par un maraîcher local pour moins de dix euros. Car les petits producteurs savent limiter les frais : «Pas de chambre froide, pas de marketing, pas d’emballage, et moins de kilomètres parcourus, donc moins de carburant», résume le maraîcher Nicols Bach, à Cahors. «Les agriculteurs classiques mettent des engrais, paient du personnel pour ramasser, ça leur coûte cher», remarque Gérard Kikel, à Soissons. Au marché, plus c’est local, moins c’est cher. Au supermarché, c’est exactement l’inverse. Les consultants en marketing payés par la grande distribution ont compris que, «quand c’est local, le client ne regarde pas le prix», constate David Lestoux.»

Olivier Razemon, qui collabore régulièrement à Mobilettre, s’était déjà promené avec obstination et panache dans les villes moyennes de l’hexagone pour écrire en 2016 «Comment la France a tué ses villes». Cette fois-ci, c’est un peu l’inverse : pourquoi et comment les marchés résistent à la marchandisation, au marketing et aux grandes surfaces, voire même se développent à la faveur d’un retour aux sources. D’une certaine façon, parce qu’ils sont totalement maîtrisés par les collectivités locales et les élus, ils échappent aux normalisations de tous ordres, y compris venant de l’Etat, qui pourraient menacer leur originalité. On dira donc tant mieux, même si quelques risques de perversion du modèle du marché forain existent. Ainsi, la puissance du développement du tourisme pourrait favoriser excessivement des halles gourmandes plus chères et moins authentiques.


Olivier Razemon, «On n’a que du beau !» Le marché, ingrédient d’une société heureuse, ed. Ecosociété, 178 p., 16€.
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