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C’est où l’avenir ?
Faute de stratégie collective et de clarté politique, la défense des intérêts particuliers neutralise les ambitions. «Putain, deux ans…», se lamentait la marionnette de Jacques Chirac sur Canal +.
A la faveur des ponts et de l’actualité sportive, les Français ont retrouvé leur zone de confort au mois de mai : les loisirs, la gastronomie et le sport. Comme un symbole le député François Ruffin a demandé à l’Assemblée hier jeudi «une pause Boisson» (sic), pour regarder la demi-finale (finalement perdue) de la révélation française à Roland-Garros. Un peu de rêve…
Pour le reste, il faut une sacrée dose d’optimisme pour entrevoir l’esquisse d’un projet collectif. L’écologie semble emportée par les populismes de tous bords (cf la fin des ZFE voulue par le RN et LFI). Les débats publics sont marqués par une montée en puissance des lobbyings particuliers et la primauté des rentabilités du capital. C’est assez manifeste au sein des ateliers d’Ambition France Transports, comme au salon Drive to zero qui s’est tenu cette semaine à Paris. Le communiqué final des «institutionnels publics et privés» (sic) en faveur d’une mobilité décarbonée ne s’embarrasse pas de fioritures et se contente de ressembler à un sapin de Noël au printemps : AIT, ASFA, Avere, Cerema, FNCCR, FNMS, FNTR, FNTV, Mobilians, Opco Mobilités, PFA, SESAMLLD, Vedecom… Tous désemparés par la période trouble que nous vivons.
Comment résister à l’infernale tenaille – d’un côté le populisme conservateur, de l’autre les intérêts particuliers ? En dégageant des trajectoires collectives en phase avec la demande non instrumentalisée des citoyens et quelques combats fédérateurs – la solidarité, l’écologie, l’accessibilité. Cela demande une puissance politique que n’a pas l’exécutif actuel, malgré quelques bonnes volontés. L’autre matin Jean-Marc Jancovici relevait qu’on ne trouvait pas pour l’ONF (Office national des forêts) le petit milliard nécessaire à un meilleur entretien des forêts qui couvrent 32% du territoire hexagonal, quand des fortunes, y compris publiques, sont en train d’être fléchées vers l’IA. Voilà où nous en sommes : des réseaux et des patrimoines collectifs en danger face aux exigences d’opérateurs qui veulent capter l’essentiel de la valeur.
Faute de dessein on en reviendra fatalement aux habituels griffonnages – tiens, pourquoi pas une taxe sur les billets de train ? Répétons-le, un choc d’offre quantitatif et qualitatif de mobilités multimodales – le car, le train, le vélo – serait fécond pour tous. Encore faut-il en tracer les contours et partir d’infrastructures de qualité, au-delà des petits calculs et des gros intérêts. G. D.
Société des Grands Projets : quand le public s’émancipe des règles d’intérêt général…
Précisons-le s’il en était besoin : les intérêts particuliers contribuent à dégager de la valeur collective, qu’ils soient publics ou privés. Mais c’est la faiblesse du pilotage et de la régulation publique qui aurait tendance à leur donner trop de poids, ou à les libérer d’un contrôle légitime.
C’est le cas en ce qui concerne la Société des Grands Projets. Cajolée par l’Etat et défendue par les élus locaux qu’elle a très généreusement choyés depuis quinze ans, elle nous semble s’exempter de plus en plus des règles publiques au nom d’une juste ambition – la création d’un réseau de transport métropolitain. Alors qu’une note de la DAJ (direction des affaires juridiques) de Bercy stipulait dès décembre 2024 que la contractualisation avec les AOM dans le cadre des SERM aurait dû faire l’objet d’une mise en concurrence (lire Mobitelex 490), le président de son directoire Jean-François Monteils a estimé devant des journalistes il y a une dizaine de jours qu’il s’agit «d’arguties juridiques» et d’un «faux problème» – propos confirmés à Mobilettre. Autrement dit, le non-respect du Code de la commande publique (il est, rappelons-le, passible du pénal) y compris depuis cette note de Bercy, n’est pas un problème pour la SGP. A minima, cette dernière aurait pu faire amende honorable, en attendant que les juristes trouvent une solution. Mais non, il s’agit d’arguties juridiques, alors même que deux entreprises de conseil ont confié à Mobilettre avoir exprimé leur désarroi devant cette situation… sans pour autant porter l’affaire devant les tribunaux puisqu’elles espéraient avoir des contrats de sous-traitance !
On ne peut s’empêcher de mettre en rapport cette tentation de la SGP d’échapper au droit commun, scrupuleusement respecté par des millions de fonctionnaires, avec la rémunération hors norme de ses hauts dirigeants. Bercy publie chaque année le total des dix plus hautes rémunérations annuelles de tous les opérateurs publics – ils sont plusieurs centaines. Et lequel trouve-t-on tout en haut, à la première place (pour l’année 2023) ? La Société des Grands Projets ! Avec près de 2,2 millions d’euros, pour une performance de maîtrise d’ouvrage qui semble loin d’être irréprochable, c’est le moins que l’on puisse dire. Un commentaire ? Il s’agit d’arguties financières ? G. D.
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AGENDA
Le privé au secours des infras ?
Jeudi prochain, le 12 juin, la journée «Bercy» d’Ambition France Transports, intitulée «Mobiliser les financements privés pour les infrastructures de transport», après la «Journée Cese» et avant la «Journée DGITM», devrait poser les bases d’un recours à l’épargne privée pour aider les mobilités menacées par la pénurie de finances publiques.
Il est nécessaire d’avoir en tête qu’il n’y a pas de mannes miraculeuses – financement budgétaire, ressources affectées ou contrats de concession, cela se termine toujours par un endettement public… potentiellement déconsolidé dans le cadre de contrats privés, ce qui change pas mal de choses. C’est dans ce cadre-là qu’intervient tout particulièrement la pertinence des études socio-économiques afin de déterminer les bons niveaux de risque et donc de couverture par la puissance publique. Sans oublier de traiter les coûts de maintenance des infras et les coûts d’exploitation. Le recours à l’épargne privée pour les infras, une nécessité, mais assurément pas un miracle.
REPORTAGE
Au Pays Basque, le secret de la performance du transport public
Gouvernance, fiscalité, parts modales, tarification, qualité de service : comment et pourquoi les métropoles de Bilbao et San Sebastian multiplient les réussites.
Il y a la Suisse et le Japon comme modèles absolus pour le ferroviaire. Et si, pour le transport public dans les grandes villes (on met de côté les mégalopoles), il y avait le Pays Basque ? Depuis longtemps attiré par la bonne réputation de Bilbao et San Sebastian, Mobilettre a pu suivre cette semaine une master class organisée par L’explorateur de mobilités de Julien de Labaca.
Qu’avons-nous constaté ? D’abord, bien entendu, la performance opérationnelle des exploitants, et à ce titre DBus à San Sebastian constitue une belle référence en Europe, avec des taux de ponctualité insolents et une innovation permanente, notamment en matière d’électrification de son parc. On s’est d’ailleurs frotté deux fois les lunettes devant ce chiffre hallucinant : dans la capitale de l’anchois cantabrique, le nombre moyen de voyages en transport public par an et par habitant est de 195 ! Juste derrière les grandes métropoles mondiales, mais très largement devant d’autres villes comparables en matière de population, mais bien plus denses.
A Bilbao (photo), puisque l’on a compris qu’il fallait respecter la rivalité des deux villes, la part modale du piéton atteint 60%, grâce notamment à la mobilité dite «verticale» (ascenseurs, escaliers mécaniques, téléphériques, funiculaires) qui valorise la marche à pied. Autres chiffres : l’interurbain atteint 15,9% de part modale, derrière le métro et devant les bus. 97% de la population de la Biscaye a accès à Bilbao par autocar en une seule étape, grâce à des fréquences élevées et à des gares modernes et ouvertes sur les autres modes.
Deux villes, deux stratégies gagnantes d’offres adaptées à la géographie et à l’urbanisme : on s’arrête là ? Trop facile : impossible de ne pas essayer de comprendre pourquoi les deux villes sont presque des paradis des mobilités urbaines.
1) Une fiscalité propre. Depuis le statut de Guernica de 1979, la Communauté autonome du Pays Basque a une compétence exclusive sur ses transports (art. 10) et dispose de ses propres finances autonomes (art. 40). On est loin des jeux de ping pong de chez nous entre l’Etat et les collectivités. Tous les cinq ans, un accord entre l’Etat central et la province est mis à jour.
2) Une gouvernance claire. Les politiques définissent les stratégies et laissent les professionnels agir. Tout le monde ne se mêle pas de tout. Ainsi, en Gipuzcoa, la remarquable directrice d’ATTG, la structure qui assure la coordination des réseaux et des tarifs, Eluska Renedo Illarregi, est en poste depuis douze ans, malgré un bon paquet d’alternances politiques. L’un des résultats de cette stabilité : un taux de couverture de 60% ! C’était avant le descuento décidée par le gouvernement central de Madrid, cette réduction tarifaire pour tous les usagers du pays, qui a un peu modifié le R/D.
3) Une vraie appétence du transport public de la part de la population, qui incite leurs élus à s’y intéresser. Un chiffre qui ne laisse pas de nous étonner : le taux de fraude dans les bus de San Sebastian est de… 3‰ ! Vous avez bien lu : trois pour mille !
4) La sobriété plutôt que la com, les gadgets et le bling bling. Une bonne intégration tarifaire, travaillée patiemment avec tous les opérateurs et acteurs publics, vaut bien davantage que des opérations ponctuelles à la gloire des élus…
5) Une priorité au transport public sur la voiture. La tarification encourage la surutilisation du transport public quand les parkings à voitures sont rares et chers. Et les ZFE sont bel et bien en service…
Est-il nécessaire de mettre des sous-titres ? En responsabilité, les élus basques servent la mobilité de leurs concitoyens et de leurs territoires, à partir d’une fiscalité dédiée, dans la perspective d’une décarbonation ambitieuse. Un petit voyage de l’autre côté des Pyrénées ?