Mobizoom 90 – 17 janvier 2022

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Mobizoom 90 – 17 janvier 2022

Transports routiers de voyageurs et de marchandises

Retrouver le fil conducteurs

Le manque flagrant de conducteurs routiers place en équilibre instable les modèles économico-sociaux du secteur. Quitte à caricaturer quelque peu, dans l’activité marchandises, quand un camion reste au garage, c’est le client qu’on risque de perdre; dans le transport de voyageurs, ce sont des enfants et des adultes qui restent à quai. Comment en est-on arrivé là? Que faire?

PAR OLIVIER BOYER


Le constat: les chiffres de la pénurie

La pénurie de conducteurs routiers fait l’objet d’un constat global sur lequel tous les professionnels s’accordent, avec quelques nuances toutefois entre organisations professionnelles (OP) et organisations syndicales (OS). Commençons par quelques chiffres qui illustrent la gravité du mal et du malaise. Quel déficit en France aujourd’hui ? «66 000!», répond franco de port Patrice Clos, secrétaire général de la Fédération Nationale des Transports et de la Logistique Force Ouvrière-UNCP.

«Quasiment 40 000 postes de conduite à aller chercher sur l’activité marchandises»

Selon lui, quand la Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR) évoque entre 40 000 et 50 000 postes non pourvus au niveau national -ce qui est déjà énorme-, cela reviendrait à s’en tenir au strict périmètre de la convention collective, excluant de fait les conducteurs exerçant dans des activités de transport telles que le bâtiment ou le négoce des matériaux. Une forme d’au-delà dans l’arithmétique du pire… Pour sa part, Jean-Marc Rivéra, délégué général de l’Organisation des Transports Routiers Européens (OTRE) fait état de « quasiment 40 000 postes de conduite à aller chercher sur l’activité marchandises». Et le même de poursuivre: «Si nous n’inversons pas la tendance dans les cinq ans à venir, la situation deviendra extrêmement tendue».

Du côté de l’IRU (International Road Transport Union), Raluca Marian, déléguée générale auprès de l’Union Européenne se montre encore plus diplomate vis-à-vis de l’approche arithmétique: «Les chiffres? Je dirais qu’aujourd’hui chacun en use et en abuse. La pénurie est là, incontestablement! Mais à mes yeux, il n’y pas tellement de différences entre les pays de l’Union européenne. Cela dit, la façon dont la crise est ressentie peut varier en fonction des spécificités locales». En somme, pour demeurer dans un registre de langage policé, même si les chiffres n’incarnent ni la loi ni les prophètes, il y en aura quand même beaucoup dans les lignes à venir.


Les causes: la rémunération, les contraintes, le manque de considération…

Démarrons par les voyageurs. « Le sujet est extrêmement prégnant dans notre profession », affirme Jean-Sébastien Barrault, président de la Fédération Nationale des Transports de Voyageurs (FNTV), un secteur qui compte plus de 100 000 conducteurs où les difficultés de recrutement s’expliquaient principalement par une pyramide des âges élevée. « Je pense, dit-il, que nous étions devenus un emploi de reconversion, en raison du permis de conduire à 21 ans!». Un jeune attiré par le transport routier de voyageurs devait en effet jusqu’à peu ronger son frein pendant trois ans, ce qui pour un tel candidat s’apparente à l’éternité. Le décret 2021-542 publié le 2 mai dernier a enfin redistribué les cartes. Il dispose que l’âge minimal pour la conduite de certains véhicules lourds de transport en commun (bus et autocars) pour lesquels un permis D1 ou D1E est requis, est abaissé de 21 à 18 ans, sous réserve d’un certain nombre de précautions, notamment en matière d’accompagnement par l’employeur.

«Notre secteur a souffert de la crise sanitaire plus que tout autre, avec des entreprises dont l’activité a été arrêtée pendant près de 18 mois», rappelle Jean-Sébastien Barrault. «Un grand nombre de nos salariés ont quitté le secteur, et aujourd’hui effectivement, nous faisons face à une situation inédite».

«L’amplitude pour tous ceux qui font les transports scolaires de voyageurs, c’est une horreur. Ils font ce boulot-là pour 600 à 800€ par mois. Il manque 16 000 conducteurs en France en transport routier de voyageurs. Loin de chez soi, certes on dispose de son temps, mais pour quoi faire?», alerte lui aussi Patrice Clos.


Et maintenant quid des obstacles qui entravent la bonne marche du transport routier de marchandises?

«Le métier de conducteur, ce n’est pas que le volant. On représente l’entreprise chez le client»

Premier constat: « Nous sommes en concurrence avec d’autres métiers en tension », assène Florence Berthelot, déléguée générale de la FNTR qui regrette plus que jamais l’image d’Epinal écornée du conducteur routier toujours absent, hors sol, sans opportunité de vie personnelle. « Il existe de très nombreux métiers de conduite où vous revenez tous les jours à la maison», rectifie-t-elle. Avant d’enchaîner par un franc message d’agacement: « Le métier de conducteur, ce n’est pas que le volant. On représente l’entreprise chez le client. Un de nos gros sujets, c’est l’accueil de nos personnels et sur ce point nous sommes profondément mécontents. Pendant le premier confinement, on a vu des gens qui nous refusaient l’accès aux toilettes, un café, et c’est un scandale ». Une réalité de terrain très éloignée en effet de la gentille séquence médiatique portant aux nues les héros salvateurs de la désormais historique première ligne…

Second constat, celui de l’Organisation des Transports Routiers Européens (OTRE): « Il y a deux situations qu’il faut vraiment distinguer: la situation des salariés qui sont déjà chez nous et qu’il nous faut fidéliser, et la nécessité d’attirer de nouveaux publics », affirme son délégué général, Jean-Marc Rivéra. Avec quels arguments ? «On n’est pas une profession de smicards parce qu’il y a un vrai décalage entre ce que dit la convention collective en affichage et la réalité de l’entreprise. D’une part, il existe des sociétés qui appliquent des taux horaires bien supérieurs à la convention collective; d’autre part, nous sommes dans une profession où il y a un volume d’heures travaillées non négligeable. Ce qui permet de proposer des contrats à ceux qui veulent exercer des activités à très courtes distances comme à d’autres qui sont plutôt dans l’optique de partir avec le véhicule, quitte à ne pas être effrayés par les découchés».

«Ce n’est pas tout de recruter des conducteurs, il faut les conserver»

«On ne peut pas continuer à avoir des prix de transports routiers compressés. Il faut vraiment que nos clients l’entendent ! », poursuit le DG de l’OTRE. « Ce n’est pas tout de recruter des conducteurs, il faut les conserver. Certains donneurs d’ordre n’ont que faire des délais d’attente de nos salariés et ça, c’est catastrophique. Nos conducteurs sont des êtres humains qui ont besoin d’être accueillis correctement. Un certain nombre de conducteurs finissent par être usés par cette absence totale de respect de la part de certains clients ». Il n’existe probablement pas, en tout cas sur cette problématique, l’épaisseur d’une feuille de route entre OP et OS. « Aujourd’hui, les jeunes nous disent: je ne vais pas risquer mon permis de ma vie de tous les jours pour gagner un salaire de misère. La création d’un permis professionnel constitue une demande forte », assène Patrice Clos. « Un conducteur sans heure supplémentaires, il est au Smic. Le problème de ce métier-là, c’est qu’avec les aléas de la route, on sait quand on commence, on ne sait pas quand on finit».

Complétons notre recherche des causes de la pénurie de conducteurs routiers avec Thomas Huguen, directeur du département de l’Action Professionnelle de l’AFT («Développer la formation transport et logistique»): «Entre 1998 et 2019, la branche transports a gagné en France 264 000 salariés (de 480 000 à 744 000). Or, les courbes démographiques et de population active n’ont pas augmenté dans les mêmes proportions », énonce-t-il. « A côté de cela, nous avons assisté à un phénomène de basculement de la pyramide des âges puisque la part des plus de 55 ans est passée de 4% en 1998 à 21% en 2019. Ce qui traduit bien un énorme vieillissement de la population active dans nos métiers. Et quand on le met en parallèle avec l’accroissement des effectifs, nos problématiques de départs et de retraites… on commence à tourner en rond et à galérer comme d’autres secteurs d’activité ».

« Autrefois, le conducteur partait de Lille pour aller à Marseille, il était sur la route toute la semaine », illustre Thomas Huguen. « Aujourd’hui il va livrer ses palettes chez un transporteur à Dijon et repartir chez lui. Et c’est son collègue marseillais qui va monter du côté de Dijon et récupérer les palettes. Comme vous avez moins de frais de route et de découchés, ce qui reste dans la poche c’est moins conséquent. Avant, vous aviez peut-être 3000€, aujourd’hui c’est peut-être 2200€. C’était une autre vie!», décrypte l’expert de l’AFT.


Les conséquences: une pénurie qui pose problème(s)

«A la rentrée de septembre dernier, un très grand nombre de nos entreprises n’ont pas été en mesure d’assurer les contrats de services publics dont elles étaient titulaires », déplore Jean-Sébastien Barrault. « Dans les entreprises, la pression est très élevée. Nous, on assure un service public, on est titulaire d’une DSP et ça fait quand même la différence avec d’autres secteurs. Je connais des chefs d’entreprise dans le secteur du transport de marchandises qui me disent: « On manque de conducteurs, donc on laisse un ou deux camions sur le parc qui ne roulent pas ». Ça leur coûte de l’argent, c’est vrai, mais ils peuvent refuser des clients. La différence, c’est que pour notre part, il nous faut assumer des marchés de services publics et cela rend le problème beaucoup plus criant, y compris pour les élus».

«C’est en proposant davantage d’heures de travail à nos conducteurs que nous parviendrons à revaloriser les salaires»

Et là, s’impose notamment la thématique des coupures. «40% de nos conducteurs sont à temps partiel. Ils font un service scolaire le matin, un autre le soir. Ce qui rend très complexe le double emploi. Notre profession est prête à prendre des mesures. Mais elles seront onéreuses», souligne le président de la FNTV. « Nous ne pouvons pas supporter seuls des charges supplémentaires si nos donneurs d’ordre ne prennent pas leurs responsabilités. Seuls, nous n’y arriverons pas. C’est en proposant davantage d’heures de travail à nos conducteurs que nous parviendrons à revaloriser les salaires et rendre le métier plus attractif ».

Déléguée générale de la FNTV, Ingrid Mareschal complète les propos de son président: « Des difficultés qui préexistaient ont éclaté au grand jour ». Un désavantage concurrentiel? « Oui, car l’un des principaux leviers d’attractivité, c’est la revalorisation salariale. Or nous intervenons sur des marchés publics, et non comme un opérateur privé qui peut répercuter ses prix sur ses clients s’il le souhaite. Sur ce point, comme sur d’autres, nos échanges avec Jean Rottner, président de la région Grand-Est, président de la commission mobilités de l’Association des Régions de France, se sont révélés constructifs».

Oui mais encore? «Il faudrait que l’on parvienne à composer des lots de manière à offrir quasiment des temps pleins à nos conducteurs, sinon nous ne réussirons pas à recruter et les Régions n’assureraient pas leur mission de service public.»

Et pendant ce temps-là, que fait Pôle emploi en faveur d’une filière devenue un secteur en tension parmi d’autres ?

Réponse officielle: le volume d’offres d’emploi concernant les « conducteurs de transports en commun sur route et conducteurs routiers » au niveau national, diffusées sur pole-emploi.fr (au 19 octobre 2021 à 15h40) s’élève à 17 337 offres de conducteurs routiers et 2559 offres de conducteurs transports en commun. Les perspectives de recrutement issues de l’enquête Pôle emploi intitulée «Besoins en Main d’œuvre», publiée en mai 2021, font état de 47 210 projets de recrutement en 2021 pour les métiers de conducteur routier et de transport de transport en commun sur route. «J’aimerais que Pôle emploi sélectionne davantage en amont», contextualise Ingrid Mareschal. « Ce que nous leur demandons, c’est de mieux tester la motivation des candidats afin d’éviter d’engager de l’argent public sur des formations coûteuses qui ne débouchent pas sur un emploi dans nos entreprises ».

Florence Berthelot, porte-parole de la FNTR: «Sans nous, tout s’effondre d’un coup!»

L’enjeu est en effet d’importance immédiate. «Nous constituons un secteur stratégique qui permet d’assurer en cas de crise l’acheminement des marchandises en France», rappelle Florence Berthelot, porte-parole de la FNTR. «Sans nous, tout s’effondre d’un coup! Avec une question urticante à la clef: « Existe-t-il un plan de continuité des transports de marchandises en France? » Ils n’en ont pas! C’est un peu gênant. On l’avait demandé lors du premier confinement, on l’a demandé dans le deuxième, le troisième je n’en parle pas…». Nul doute que, depuis lors, des réflexions extraordinairement ingénieuses ont été projetées vers le futur à la vitesse d’une Formule 1…

«Cela révèle qu’en France, transports et logistique demeurent considérés grosso modo comme de l’intendance », appuie là où ça fait mal Florence Berthelot. « Dans d’autres pays, comme en Pologne ou aux Pays-Bas, ils sont perçus comme un secteur à part entière et la performance du pays dépend donc de celle des chaînes logistiques ». Comme le proclamait en termes généraux un illustre habitant de Colombey-les-Deux-Églises, l’intendance suivra! Certes, mais encore faudrait-il qu’elle dispose à cette fin des moyens adéquats!

Angle d’analyse complémentaire signé Patrice Clos: « On estime à 300 000 personnes le nombre de conducteurs qui roulent sans permis en France. Sur cette base, vous avez bien 50 000 professionnels de la route qui continuent à rouler dans l’illégalité: chauffeurs de taxis, VTC, ambulanciers, conducteurs routiers ou autres. Ils le font parce que c’est leur gagne-pain, ce qui ramène de l’argent à la maison et paye les crédits », déclare le haut responsable FO. Décidément, que d’encombrements.


Tendance: vers une aggravation?

«Ce qu’il se passe au Royaume-Uni, on croit que c’est loin de chez nous, mais non pas du tout!», prévoit Patrick Blaise (CFDT). «Les abeilles, on les attire avec du miel. Le problème, c’est qu’avant les jeunes restaient cinq ans dans nos professions de transport, aujourd’hui ils ne restent plus que trois ans », regrette son homologue de FO, Patrice Clos. « Quand vous allez dans le BTP ou le transport de matériaux, vous avez le 13ème mois, les 35 heures, des horaires à peu près stables. Est-ce que la situation peut s’aggraver? Oui! Parce que l’on sait bien que l’économie n’est pas repartie à fond partout. Le jour où la machine sera vraiment réenclenchée, oui ça peut s’aggraver, il n’y a pas photo! Et concernant les « cars Macron », un conducteur doit faire le bagagiste, vendre les tickets, s’assurer de la sécurité, vérifier le passe sanitaire… et tout cela pour un salaire de 1300/1400€ sans heures sup. Ça ne fait pas rêver grand monde!». Fermez le ban…


Quelles solutions?

«Il y a 25 ans, être conducteur routier, ça permettait de sortir de sa campagne. A présent, 80% des transports se font dans un rayon de 200/250 km. Vous ne voyez plus le pays et comme vous n’avez plus de frais de route, certains se disent: est-ce qu’il ne vaudrait mieux pas que je pointe à l’usine pour être sûr de pouvoir récupérer mes enfants à l’école», commente un bon connaisseur du milieu.

«Mais aujourd’hui, avec un bac, il n’y a pas beaucoup de secteurs d’activité qui peuvent prétendre vous faire gagner dès le départ 2200€ bruts par mois », réplique Thomas Huguen, de l’AFT. Selon les données dont il dispose, 46% des baby-boomers considèrent que ce n’est pas à l’entreprise d’aider les salariés. Tandis qu’au sein de la génération Z, 66% affirment qu’elle doit permettre l’épanouissement personnel. En résumé, les jeunes qui arrivent aujourd’hui ont certes un attrait pour le métier mais surtout pour l’entreprise elle-même. Bref, à chacune d’entre elle de jouer sa partition.

Le taux de féminisation en transport de marchandises n’est que de 10%

Et quid de la mixité, autrement dit la féminisation? «40% des ambulanciers sont des ambulancières. 30% des conducteurs de bus et d’autocars sont des conductrices. Le taux de féminisation en transport de marchandises n’est que de 10%. Dans la famille conduite: 2%!», synthétise en style direct Thomas Huguen. Ce qui renvoie, indirectement, à la formule plutôt cash et un brin désabusée d’un responsable syndical de haut rang: «Qu’on le veuille ou non, routier, c’est un métier de macho, ça le restera longtemps je crois!».

«Je ne dirai pas comme certains qu’il faut redorer notre blason», témoigne Patrick Blaise, secrétaire général de l’Union Fédérale Route CFDT, plus de 40 ans à son actif dans la profession. « Le transport routier, c’est un métier magnifique qui s’est adapté au fil des années. Mais il y a un manque de respect et de considération par beaucoup de donneurs d’ordre. L’effet « Covid – première ligne » est retombé comme un soufflé. Je connais beaucoup de conducteurs qui ont quitté la profession pas uniquement par rapport au salaire. Il faut arrêter de considérer qu’avec les frais, nous avons un revenu conséquent».

Avec, en prime, cette observation aigüe de la part du responsable cédétiste: «Aujourd’hui, les contraintes sont tellement fortes que la plupart du temps les stocks des entreprises se trouvent en réalité dans les véhicules alors même que nous roulons à flux tendu avec le stress que cela engendre et des conditions de travail extrêmes».

Et côté transports scolaires ? «Nous pourrions envisager que dans les appels d’offres il y ait non seulement du transport scolaire mais également du périscolaire. Si le transporteur est titulaire du marché non seulement le matin et le soir mais aussi dans les heures creuses de la journée, bien évidemment il sera en mesure d’offrir davantage de volume de travail à ses conducteurs», énonce Jean-Sébastien Barrault.

Autre piste: travailler sur les horaires d’entrée des établissements scolaires. « Tant que l’on continuera à avoir sur un bassin de vie l’ensemble des établissements scolaires qui rentrent à la même heure, bien sûr que le volume de travail des conducteurs sera limité. Nous souhaiterions qu’il soit fait en sorte de revenir à des horaires décalés». Avis pleinement partagé par Patrick Blaise: « Il y avait moins de véhicules au même moment sur les routes. Nous parvenions à limiter les temps partiels en période scolaire pour les conducteurs. Et bien sûr, ce système étant conçu sur une base trimestrielle, il existait une rotation, de façon à ce que ce soient pas toujours les mêmes élèves qui se lèvent plus tôt que les autres ». Arguments peu consensuels certes, qui nous ramènent à des temps relativement anciens, mais qui ne sauraient être balayés d’un simple revers de main. La modernité peut aussi s’inspirer du passé. O. B.

COMMENTAIRE

Les soutiers modernes

Ce sont des premières lignes que l’on ne voit pas: pardonnez l’image paradoxale, mais elle nous semble illustrer le manque persistant de considération de nos sociétés modernes envers les routiers-soutiers du quotidien, que souligne, entre autres constats, notre enquête auprès des organisations du secteur. Certes, la profession recèle une grande diversité de situations – tous les conducteurs ne sont pas à plaindre, et certaines revendications apparaissent même contradictoires: la nostalgie des primes liées aux longs trajets et la recherche de plannings «confortables», par exemple.

Le double triomphe de la culture du service client et du tableur Excel a considérablement asservi une bonne part de ces salariés. Il n’a même pas été question de les applaudir comme les personnels médicaux il y a presque déjà deux ans: ils sont encore moins fréquentables, voire même ont l’outrecuidance de faire grève, parfois… La route n’a pas bonne presse mais ses «forçats» doivent-ils en payer durablement le coût?

Consommateurs, nous sommes presque tous complices de succomber un peu, souvent, voire passionnément, à la dictature de l’urgence ou du prix cassé. Tout doit être disponible au plus vite, et de plus en plus chez soi. Peu importe les coulisses logistiques de l’exploit et les cadences infernales. Et en prime il faut le sourire du conducteur et du livreur.

Souvenons-nous de la stupéfiante déclaration d’Agnès Pannier-Runacher en octobre dernier lors d’un Forum de l’Industrie: «Vous allez donner aux jeunes la fierté de travailler dans l’entreprise. La fierté de travailler dans l’usine pour qu’on dise que lorsque tu vas sur une ligne de production, c’est pas une punition. C’est pour ton pays, c’est pour la magie. Et c’est ça que vous pouvez rendre possible.»

Il y a des jours où l’on comprend le rapport de forces… On peut insister sur les réels facteurs d’attractivité des métiers, vanter la fierté individuelle et collective du travail accompli, mais l’instrumentaliser à des fins politiques ou productivistes, cela renvoie à quelques heures sombres.

Quoi qu’il en soit, il est de la responsabilité de l’Europe, de l’Etat et des partenaires sociaux de poser les bases d’une meilleure valorisation économique du transport routier. La réglementation sur le nombre d’heures de conduite a éradiqué nombre de pratiques dangereuses – même s’il faudrait maintenant s’occuper davantage des cohortes VUL (véhicules utilitaires légers) qui contournent la législation partout en Europe. Il est temps de faire payer le vrai coût du transport et de la mobilité. Faute de quoi, la pénurie se poursuivra et la dérégulation s’amplifiera, avec un risque réel de dégradation du service, voire de la sécurité. G. D.

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