Enquête
Mobilettre vous propose un voyage dans Montpellier, c’est gratuit
Par Olivier Razemon
Il y a un an le réseau de transport public de Montpellier passait à la gratuité pour les habitants de la Métropole. Qu’en est-il aujourd’hui ? Des rames de tramway saturées par la surfréquentation, plusieurs promesses de développement reportées au prochain mandat, des usagers et des conducteurs qui se plaignent… et des périurbains qui ont un sentiment de relégation. Mais les élus gardent le cap de ce qu’ils présentent comme un « projet politique ».
« En un an, j’ai pris trois kilos, je vous assure, ce n’est pas une blague ! » Depuis que le réseau de transports de Montpellier est devenu gratuit, le 21 décembre 2023, Corynne Basagana, qui vit à trois stations de tram du centre-ville, emprunte bien plus souvent le tramway pour retrouver ses amis, là où elle enfourchait auparavant son vélo, ou marchait une quinzaine de minutes. « D’après mon téléphone, le nombre de pas que j’effectue chaque jour a diminué. Désormais, je vais faire attention », se promet-elle.
Les tramways bariolés desservent parfaitement, il est vrai, le centre de Montpellier. Devant l’historique gare Saint-Roch, où les quatre lignes convergent, les véhicules se croisent dans un joli ballet, à une allure ralentie, souvent bien remplis. Une belle image de métropole desservie par les transports publics, un peu comme celles que le Gart aime mettre en avant dans ses publications.
Célébré il y a un an par des festivités place de la Comédie, le pass gratuité s’adresse aux 507 000 habitants (en 2021) des 31 communes de la Métropole.
Fin octobre, 407 000 pass avaient été délivrés. En revanche, les 300 000 personnes qui vivent dans l’aire d’attraction montpelliéraine, mais hors métropole, ainsi que les visiteurs de passage, doivent acheter leurs titres sur l’application ad hoc ou à une borne, dont le nombre a été réduit. Ce ciblage a permis à la TAM Montpellier 3M, la société publique locale, de vendre, en 2024, 2,1 millions de titres occasionnels et de conserver 30% des recettes payantes de 2023. La gratuité, une bulle métropolitaine qui exclut une bonne part des périurbains ?
Le réseau du tram, qui forme un X, l’une des branches étant doublée d’une barre parallèle, a été voulu, conçu et construit à l’époque du « maire-bâtisseur » Georges Frêche, qui, quatorze ans après sa mort, demeure pour les politiques locaux une figure tutélaire. Le parcours sinueux des lignes témoigne d’une époque où les tramways servaient aussi à piétonniser les rues et où les commerçants avaient le pouvoir de refuser certains tracés. Dans les rues étroites du centre historique, les angles droits imposent une lenteur d’escargot. « Les virages usent les boggies et les rails ; il faut souvent régénérer les voies », constate le Montpelliérain Éric Boisseau, spécialiste du ferroviaire.
Lorsqu’elles quittent le magma urbain, les rames foncent en site propre à bonne vitesse.
Mais les trajets ne sont pas toujours compétitifs : de la place de la Comédie, il faut 27 minutes pour rejoindre Jacou (10 kilomètres par la route, au nord-est) ou 24 minutes pour Saint-Jean-de-Védas (6,5 kilomètres, au sud-ouest). C’est qu’au lieu d’emprunter une grande avenue en ligne droite, les voies desservent ici une école de commerce, là un lycée ou un complexe immobilier. Il suffit de jeter un œil au cheminement tortueux de la future ligne 5, qui doit être inaugurée en décembre 2025, pour constater qu’elle affiche le même travers. « Le résultat de négociations avec les promoteurs immobiliers », explique un expert des transports, qui connaît le réseau local et préfère rester anonyme.
En bout de ligne, on aperçoit souvent des gens courir pour ne pas rater le tram. Et pour cause: les véhicules circulent sur une voie unique, ce qui réduit le nombre de passages. Au sud-est, vers la mer, Lattes (17 500 habitants) et Pérols (9 500 habitants) n’ont droit qu’à une branche de la ligne 3 chacune. A l’heure de pointe, vers Pérols, un vendredi de novembre, on ne compte qu’une circulation toutes les 13 minutes. Après 22 heures, c’est un passage par heure. La branche dessert pourtant le Parc Expo où se pressent des milliers de congressistes les jours de salon professionnel, sans renforcement de l’offre.
Comme en témoigne la foule à proximité des établissements scolaires et universitaires, les lycéens et les 80 000 étudiants ont parfaitement intégré le concept de gratuité.
Mais une telle affluence bute sur la moindre défaillance. Un jeudi matin chargé, la dernière porte, à l’arrière du tram, est bloquée. Après avoir appuyé en vain sur le bouton d’ouverture, les passagers s’engouffrent par la double porte qui précède. Résultat : l’opération de décharge/charge s’enlise, le tram prend du retard, et les suivants aussi.
Le réseau de bus demeure peu lisible : étonnamment courtes ou démesurément longues, portant des numéros disparates, parfois baptisées « navettes » sans logique apparente, une quarantaine de lignes tournent dans les quartiers résidentiels. Fin 2023, un rapport de la Chambre régionale des comptes d’Occitanie faisait ce constat : « En kilomètres, l’offre de tramway représente 40% de l’offre totale. Cependant, 78% des déplacements validés sont effectués en tramway », bien plus que dans les villes de taille équivalente, ce qui souligne en creux la faiblesse du réseau de bus.
La ligne 15, structurante, forme une boucle périphérique qui relie en une heure deux pôles majeurs, desservant au passage trois lignes de tram.
Malgré une voie réservée bus-vélo qui, depuis 2020, permet aux conducteurs d’échapper en partie aux embouteillages, il faut avoir le cœur bien accroché pour subir les lentes déambulations ponctuées de soubresauts haut-bas, droite-gauche, avant-arrière.
Car Montpellier ne possède toujours aucun BHNS, là où Rouen proposait déjà ses Teor en 2001, Nantes ses Busways en 2006, Lille ses Lianes à partir de 2008 et que Metz a inauguré les Mettis en 2013. Même Dunkerque, l’autre « capitale » de la gratuité, affiche depuis 2018 ses lignes Chrono, qui passent en moyenne toutes les dix minutes.
Enfin, l’appli MTicket, récemment refondée, est d’abord pensée pour vendre des titres de transport. Pour le plan détaillé du réseau et les itinéraires, mieux vaut se référer au site de la TAM ou aux applications concurrentes. L’information en temps réel est perfectible.
Une démographie galopante
Il serait évidemment inconsidéré d’imputer ces dysfonctionnements à la seule gratuité offerte aux Montpelliérains. La ville languedocienne doit empoigner plusieurs défis structurels, à commencer par une démographie galopante. La population de Montpellier a été multipliée par trois en 70 ans. Entre 2014 et 2020, la Métropole a gagné, chaque année, 8 500 habitants supplémentaires et 6 000 immatriculations nouvelles. Les chiffres donnent le tournis : Juvignac (ligne 3) affichait 6 000 habitants jusqu’aux années 2000, et en comptait 12 800 en 2021. Dans le même temps, Castelnau-le-Lez (ligne 2) est passée de 14 000 habitants à 24 000 et Pignan (bus 38) de 5 600 à 8 200. Même si, selon l’Insee, 77% des foyers métropolitains possèdent une voiture, cette croissance touche mécaniquement le réseau de transports.
Cette formidable attraction se voit, se touche presque. A travers la baie vitrée du tram apparaissent des rangées infinies d’immeubles de quatre étages à balcons ajourés, des dizaines de grues, ainsi qu’un patchwork de pizzerias, cabinets de radiologie, halles gourmandes ou sièges d’entreprise garnis de parkings. Matin et soir, le tramway double, à bonne vitesse, des centaines de voitures qui patinent sur des doubles voies et d’immenses ronds-points. Espérant désengorger le trafic, la Métropole ne mise pas que sur les transports publics. Elle soutient le contournement ouest, un barreau de six kilomètres en gestation depuis trente ans.
Pour ne rien arranger, six communes proches, dont Mauguio (16 000 habitants), ont refusé d’adhérer à la Métropole et ne bénéficient donc pas des transports.
Sur la carte du réseau, les trous sont béants. « Georges Frêche s’est fait beaucoup d’ennemis. Résultat, la Métropole ne comprend pas les communes des collines, au nord, qui ont de l’argent, et le tram ne dessert ni les plages, ni l’aéroport », constate notre expert des transports, toujours anonyme.
Cet environnement complexe n’a pas empêché Michaël Delafosse, maire et président socialiste de la Métropole élu en juin 2020, de faire de la gratuité un totem. « Rien n’arrête une idée dont le temps est venu », proclamait-il solennellement le 21 décembre 2023 place de la Comédie. Un an plus tard, dans un café du quartier Antigone, cet ensemble d’immeubles grandioses rappelant l’architecture antique voulu (encore) par Georges Frêche, l’édile fait remonter à « la crise des Gilets jaunes, concomitante des manifs pour le climat », l’idée d’offrir le transport aux usagers. « Il fallait trouver une mesure que chacun perçoit », dit-il, se félicitant d’avoir « mis la question des mobilités dans la campagne ». Avec un succès mitigé au premier tour : à peine 16,7% des voix, dans un contexte de grande dispersion des listes (et en plein covid). Trois mois plus tard, il remportait l’élection, à la majorité relative, contre le sortant macroniste Philippe Saurel et un étrange attelage composé de l’humoriste Rémi Gaillard, du milliardaire Mohed Altrad, bien connu du monde du rugby, et de LFI.
Un argumentaire convaincu
Si l’on prend en compte le seul critère de la fréquentation, l’opération gratuité est un succès. Le nombre de voyages a progressé de 24% entre décembre 2023 et mai 2024, et de 28% depuis 2019. Le vendredi 15 novembre, alors qu’étaient inaugurées, en ville, les illuminations de Noël, le réseau a battu un record avec 510 000 passagers. Pour mémoire, à Dunkerque, où la gratuité date de 2018, la fréquentation avait gagné 65% en un an. L’étiage de départ était il est vrai bien inférieur.
Mais « la gratuité n’est surtout pas une mesure unique! Elle s’intègre dans une stratégie, un projet politique », s’exclame Julie Frêche, vice-présidente aux mobilités, fière des transformations de la ville lorsque son père était aux commandes. L’élue déborde d’énergie et d’arguments. « En faisant des politiques universelles, on emporte l’adhésion des gens », martèle-t-elle, rappelant que « entre 1994 et aujourd’hui, les parts modales sont restées inchangées en France ». La gratuité a donc vocation à bouger les lignes. A condition de s’accompagner d’investissements : « Nous aurons commandé des nouvelles rames pour la première fois depuis 2012, régénéré les voies, relié la gare TGV Sud de France au tram, lancé la ligne 5 et le bustram [un BHNS], le tout pour 1,4 milliard d’euros. Nous avons aussi créé une police des transports, car le tram et le bus constituent désormais une continuité de l’espace public ». Les contrôles n’ont pas disparu. Lorsque dix agents investissent une rame à l’heure de pointe, il se trouve encore des passagers, trop confiants, qui se mordent les doigts de ne pas avoir acquis le pass : le fameux « non-recours aux droits » que la gratuité prétend précisément éradiquer. La Métropole a même prévu une amende de 50 euros pour « incivilités », ce qui inclut, selon Julie Frêche, « les conf calls insupportables », ces conversations téléphoniques en mode haut-parleur. A écouter l’ambiance sonore dans un tram, tous les passagers ne sont manifestement pas informés de cette interdiction.
Des promesses non tenues
Les élus montpelliérains auraient ainsi découvert un outil magique, vecteur de fréquentation massive, une monnaie d’échange acceptable contre les modifications des plans de circulation, les travaux, les 16 « rues aux écoliers » joliment piétonnisées voire la ZFE, dont une version légère doit s’appliquer en janvier 2025.
Quoi qu’il en coûte ? Michaël Delafosse évalue aujourd’hui l’impact de la mesure à « 30 à 32 millions » d’euros par an, contre 24 millions annoncés au cours de la campagne. Un manque à gagner qui équivaut, selon les ordres de grandeur fournis par la Métropole, à une demi-ligne de tram ou (presque) une ligne de BHNS. Mais l’attractivité de la ville vient au secours des promesses. Grâce aux créations d’emploi, le VM a bondi de 91 millions d’euros en 2020 (année de chômage partiel, certes) à 121 millions en 2024.
Toutefois, alors que se profile la fin du mandat, une partie des promesses, ainsi que le Serm ou le doublement des voies au bout des lignes, doit être reportée aux années suivantes. Faute de rames CAF en nombre suffisant, la ligne 5 du tram, inaugurée trois mois avant les élections, devra se contenter, selon Julie Frêche, d’un passage « toutes les 10 minutes dans un premier temps ». Promises dans la continuité du mandat Saurel, les cinq lignes de « bustrams » se réduisent à un seul, inauguré en 2025, en direction de Castries (6 500 habitants).
Est-ce à cause du manque de recettes ? « Cela n’a rien à voir ! » s’insurge la vice-présidente, qui accuse « les obligations réglementaires, la prévention des incendies, les mesures imposant le respect de la biodiversité », et reprend à son compte la petite phrase de Michaël Delafosse, contempteur de « la France des procédures », qui « étouffe la France des projets ». Le maire, lui, assure qu’en réalisant les cinq lignes prévues, « on embolisait totalement la ville ». Les électeurs automobilistes, prompt à klaxonner et à houspiller l’élu lorsqu’il se déplace à vélo, ne lui auraient pas pardonné.
Il n’empêche. Face aux baisses de dotations prévues par feu le gouvernement Barnier (25 millions pour la Métropole, 5 millions pour la ville), Michaël Delafosse admettait en novembre devant la presse régionale que le nombre d’événements sportifs serait réduit à trois par an. Et faisait mine de s’interroger : « Dois-je fermer les piscines ? »
Des usagers agacés
Dans les véhicules, loin des considérations budgétaires, les complaintes s’accumulent. Des usagers dépeignent, photos ou vidéos à l’appui, des rames pleines à craquer, dénoncent des attentes interminables, regrettent des erreurs sur le tableau d’affichage, ciblent une communication défaillante. « Lorsque je vais à Saint-Jean de Védas en tram, je dois partir de chez moi à 8h15, contre 8h45 en voiture ou à vélo », confie l’habituée Corynne Basagana.
Sur X, un compte, « Usagers Transports Montpellier », présente l’agaçante particularité de ne retweeter que ce qui ne fonctionne pas. « Nous avons lancé le fil après le covid, après avoir constaté que l’offre se dégradait », explique son porte-parole, Yanis Ruelle, un étudiant passionné par les transports. La gratuité n’était alors que partielle, mais « la fréquence de la ligne 4 [qui effectue un tour du grand centre-ville] baissait le samedi », ajoute le jeune homme.
Divers membres de l’équipe municipale accusent ces « Usagers », tantôt d’être « proches du RN », tantôt de constituer un bras armé de LFI, dont les bons scores à chaque élection laissent planer une menace pour 2026. « Ce sont des opposants politiques. Ils ne représentent rien », tempête Julie Frêche, qui préfère mettre en avant d’autres témoignages faisant état « d’une meilleure ambiance, une simplicité d’usage, alors que la peur du contrôleur a disparu ».
Les conducteurs ne partagent pas cet emballement.
Le 10 décembre, une grève dénonçait l’augmentation de la « charge cognitive » et l’aggravation des conditions de travail « depuis la gratuité ». Laurent Murcia, le représentant syndical FO, ultra-majoritaire à la TAM, indique qu’en heure de pointe, « la forte fréquentation nous oblige à laisser les gens à quai. On met 15 minutes pour un trajet qui en durait 12 ». Hasard du calendrier ou des circonstances, à l’autre bout de la France, le réseau de Dunkerque était confronté au même moment à la grogne des conducteurs, exactement pour les mêmes raisons. L’affluence, les samedis de décembre, est telle que les passagers peinent à descendre et monter. « Les retards peuvent atteindre dix à quinze minutes » et finissent par impacter les temps de pause, a expliqué Xavier Gadan, délégué FO, à France Bleu. Les conducteurs dunkerquois ont déposé un préavis de grève jusqu’au 31 décembre.
A Montpellier, Laurent Murcia affirme aussi, ce que réfute Julie Frêche, que « les incivilités ont augmenté », sous les effets conjugués de la « drogue, de l’alcool et de la précarité ». Sur les quais comme dans les stations, « les gens s’énervent, et comme c’est gratuit, ils n’ont plus de limite », observe-t-il. Le conducteur déplore enfin des « rames qui ont 24 ans » et regrette que l’aménagement d’un troisième dépôt ne soit « pas prévu avant 2032 ». S’il ne remet pas en question l’intérêt de la gratuité « pour les familles, qui dépensaient 180 euros par enfant chaque année », le syndicaliste regrette tout de même « les 6 000 euros de contrôle » parfois récoltés en une seule nuit…
Comme le collectif des « Usagers », il constate « moins de passages sur la ligne 4 » et soutient que les rames de la ligne 5 ne circuleront pas toutes les 10 minutes comme promis, mais « plutôt toutes les 12-13 minutes ». L’altération de l’offre, avant même la généralisation du pass gratuité, était déjà dans le collimateur de la Chambre régionale des comptes fin 2023 : « Adaptée durant la crise sanitaire, l’offre de transport a été réduite postérieurement à celle-ci sur plusieurs lignes dans le cadre de l’accompagnement des mesures pour le développement de la gratuité », écrivaient les magistrats. « Je conteste ce rapport, rédigé avant l’application de la mesure », répond Michaël Delafosse.
Il reste que la suppression de la billettique, même partielle, bouleverse le fonctionnement d’un réseau, comme le rappelle Vanessa Delevoye, directrice de l’innovation urbaine à l’agence d’urbanisme de Dunkerque.
« La première année est difficile à gérer. Il y a plein de couacs. On s’attend à une hausse, mais ce n’est pas celle qu’on avait pensée. Les lycéens prennent le bus le midi pour aller en ville. Il faut recruter, acheter du matériel »
A Montpellier, la disparition des heures creuses s’est immédiatement traduite par l’interdiction de transporter, dans le tram, une bicyclette ou une trottinette non pliée. Ce choix complique les trajets des cyclistes, bien au-delà du cercle militant des 1 300 adhérents de la très sourcilleuse association Vélocité. Montpellier aurait-elle fait le choix du tout transport public, en dépit de la croissance démographique et des faiblesses du réseau ? La Métropole tient à prouver le contraire en développant, comme toutes les villes de cette taille, de solides infrastructures cyclables. Sous la place de la Comédie, un ex-tunnel routier va devenir en 2025 un axe à vélos. Un « anneau vélo » sécurisé enserre désormais un large centre-ville. Responsables de Vélocité, Nicolas Lemoigne et Denis Feurer soulignent la qualité de ces aménagements, même s’ils déplorent de sérieux manquements en périphérie.
En attendant, grisés par les chiffres, sûrs de leur argumentaire bien rodé, les élus jouent les prosélytes. « A Strasbourg ou Lyon, l’augmentation de la fréquentation, entre 2019 et 2024, c’est 2%. S’ils veulent plus de monde, qu’ils fassent la gratuité », s’emballe Julie Frêche, tout en jurant « ne pas vouloir parler pour les autres ». Michaël Delafosse dessine pour sa part « un chemin vers la gratuité » qu’il conseille aux élus qui lui rendent visite. « Quand j’ai des convictions, je les défends », assure le maire, confirmant ainsi que l’administration des transports publics constitue pour lui un combat politique. O. R.
L’Observatoire de la gratuité en sommeil
Une quarantaine de réseaux, en France, sont passés à la gratuité totale, peut-on lire sur le site de l’Observatoire des villes du transport gratuit. Cette structure, créée en 2019, a rédigé un ouvrage, La gratuité des transports, une idée payante ? (Le bord de l’eau, 2022) et ses fondateurs sont invités à animer, dans toute la France, des débats organisés par des collectifs qui se réclament pour la plupart de la gauche radicale.
Mais les travaux de l’Observatoire sont aujourd’hui en sommeil. L’unique salarié a dû être licencié fin 2023, au moment même où Montpellier fêtait son pass. « Les financements provenaient de l’Agence d’urbanisme de Dunkerque et de contrats de l’Ademe », rappelle Arnaud Passalacqua, membre du conseil scientifique de l’Observatoire et aujourd’hui directeur de l’Ecole d’urbanisme de Paris. Il a été question, un temps de faire contribuer toutes les villes concernées. A Dunkerque, on s’attend à ce que Montpellier, notamment, veuille bien reprendre le flambeau. Dans la ville occitane, « on y travaille ». Mais rien de concret pour le moment.
En attendant, les comparaisons sont plus difficiles. Plusieurs réseaux continuent à emboîter le pas aux pionnières, comme celui de Lens-Liévin, Hénin-Carvin et Béthune-Bruay, dans le Pas-de-Calais, où la mesure sera effective début 2026. Ailleurs, l’offre patine. A Niort, dès la suppression de la billettique, en 2017, le réseau s’est dégradé, affirment plusieurs usagers. « De 12 lignes urbaines, on est passé à 7, et le service a été supprimé le dimanche », se souvient précisément Yann Jézéquel, qui emprunte le bus tous les jours. « Je le fais par conviction écologique, mais ça demande de l’organisation », explique-t-il. Depuis juillet, l’offre s’est de nouveau renforcée, avec désormais dix lignes urbaines. Pour autant, les bus sont toujours englués dans les bouchons, faute de couloirs réservés. « La ville avait promis de tracer une voie dédiée sur un boulevard extérieur, mais cela n’a pas été fait », témoigne l’usager niortais. La communauté d’agglomération, malgré des demandes répétées, n’a pas répondu à Mobilettre.
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COMMENTAIRE
Sagesse marseillaise
Les élus de Montpellier insistent, ceux de la cité phocéenne ont fait leurs comptes.
Dans un système démocratique, ce sont les électeurs qui ont le dernier mot – il n’est pas inutile de le rappeler en ce moment. A Montpellier, dans un peu plus d’un an, le maire-président Michaël Delafosse et sa vice-présidente Julie Frêche joueront peut-être leur avenir sur le bilan de la gratuité, qu’ils considèrent avant tout comme un projet politique – sous-entendu, la fin justifie les moyens… et les problèmes qui découlent d’un choix aussi radical. Encore faudrait-il identifier cette finalité: slogan social-populaire ou vecteur de transformation urbaine ? En termes de mobilité, la hausse de la fréquentation n’est pas un critère suffisant. La quantité et la qualité des offres, ainsi que la réduction de la circulation automobile et de l’autosolisme, sont prioritaires.
Un report modal de la marche ou du vélo vers le tram, c’est plus qu’un paradoxe.
Olivier Razemon a sillonné Montpellier, il a rencontré de très nombreux protagonistes, à commencer par les voyageurs eux-mêmes. Ses constats méritent d’être portés au débat public: surfréquentation, incivilités, lacunes d’offre et d’investissements, et probablement une part de report modal qu’on appellera «grise»: du vélo ou de la marche à pied vers le transport public, à laquelle il faut ajouter une augmentation des trajets d’opportunité. C’est plus qu’un paradoxe, à l’heure de la priorité écologique et sanitaire.
Du point de vue financier, la dynamique économique a probablement sauvé la première année de gratuité, avec une augmentation des revenus du Versement Mobilité. Mais on pourrait aussi considérer que les millions d’euros de VM supplémentaires qui compensent la gratuité auraient utilement aidé à instaurer plus de fréquences, pour accroître l’attractivité du transport public. Quant aux futurs investissements, il n’est pas du tout certain que l’Etat accepte sans broncher de financer un projet de SERM (Services Express Régionaux Métropolitains) sans contribution des usagers de la Métropole.
Les électeurs montpelliérains n’ont pas demandé la gratuité, mais de fait le scrutin de 2026 sera interprété comme une sorte de référendum sur le sujet. Puissent-ils envisager le projet politique dans toutes ses dimensions, y compris financières. Les élus de la Métropole Aix-Marseille (majorité de droite) ont travaillé sur le sujet et s’orientent vers un renoncement à aller rapidement dans cette direction, au profit d’une tarification plus solidaire mieux adaptée à l’exercice du droit à la mobilité pour tous. Qu’ont-ils constaté? L’accroissement de l’offre attendu par la population induit un besoin de financement tel qu’ils ne peuvent se permettre de subir deux pertes de recettes: celle de la tarification voyageurs, mais aussi la perte de déductibilité de la TVA consécutive à une part de recettes passagers passant sous les 10% des dépenses. Marseille plus sage que Montpellier… G. D.