Entretien
Valérie Pécresse : «La révolution n’est pas terminée»
Par une fraîche matinée de ce début janvier la présidente de la Région Ile-de-France nous a reçus dans son bureau de Saint-Ouen, en compagnie de son fidèle directeur général d’Ile-de-France Mobilités Laurent Probst. La période nous semblait propice à l’entendre : les transports sont devenus un sujet majeur des débats publics et des échanges privés. L’évolution de la demande, sous l’effet des bouleversements du rapport au travail et aux loisirs, et la crise climatique induisent une nouvelle sensibilité aux sujets de la mobilité – et une urgence de développement et d’amélioration des offres.
Renouvellement du matériel roulant, amélioration de la qualité de service, sécurité et sûreté, simplification billettique et tarifaire, concurrence, accord Borne/Beaune de 2023 : la présidente Pécresse se montre prolixe et maintient son exigence de résultats. Mais il est un sujet majeur dont elle ne maîtrise pas le calendrier : la mise en service des nouvelles lignes du Grand Paris Express. A plusieurs reprises dans notre échange, elle met donc la pression sur la Société des Grands Projets et le président de son Directoire, Jean-François Monteils : «C’est un moment de vérité pour la SGP. J’exige de la transparence, à commencer par la date de mise en service de la ligne 15 Sud.» Car elle sait bien que dans la foulée des lignes 14 et E récemment prolongées, ce sont les quatre lignes du GPE qui parachèveront sa révolution des transports.
Interview: Gilles Dansart
Photos: Olivier Placet
Mobilettre. Vous entamez votre dixième année à la tête de la Région Ile-de-France et d’Ile-de-France Mobilités, et vous en êtes à la moitié de votre deuxième mandat. C’est le bon moment pour…
Valérie Pécresse. Mes adversaires disent que je suis là depuis dix ans pour essayer d’expliquer qu’on n’en a pas fait assez !
Mobilettre. Justement… Est-ce que la révolution des transports que vous avez engagée en 2016 est terminée, ou est-ce qu’on peut parler de révolution permanente ?
V. P. Nous avons instauré la révolution permanente et elle est loin d’être terminée, c’est évident. Mais il y a des étapes assez décisives qui ont été franchies ou qui arrivent, et 2024 a été un vrai tournant avec la concrétisation de deux projets absolument majeurs pour cette révolution des transports : le prolongement d’Éole jusqu’à la Défense et l’arrivée de la ligne 14 en version complète, c’est-à-dire Saint-Denis Pleyel-Orly. Ces deux lignes vont devenir des épines dorsales, elles changent la donne parce qu’elles vont désaturer tout le tronçon central (les RER A, B et D). C’est quelque chose d’assez colossal pour l’Ile-de-France. On n’en a pas vraiment pris conscience aujourd’hui, car l’arrivée du RER E aux heures de pointe à l’ouest n’est pas complètement rentrée dans les habitudes.
J’étais à la Défense mercredi dernier, les voyageurs n’ont pas encore tous saisi qu’ils pouvaient rejoindre la Gare du Nord en dix minutes. Le RER E + la ligne 14, ça montre la puissance qu’aura le Grand Paris Express le jour où les nouvelles lignes sortiront.
Mobilettre. L’événement de ce début d’année 2025, c’est aussi la révolution billettique et tarifaire.
V. P. On a beaucoup réfléchi sur les bons prix des tickets au moment de la construction des lignes du Grand Paris Express avant de faire cette révolution billettique. Et il fallait en préalable et en priorité trouver un accord pour le financement de ces quatre nouvelles lignes. Les Franciliens ne s’en sont pas rendu compte. Mais la vérité, c’est que faute d’accord avec Elisabeth Borne et Clément Beaune, il aurait fallu augmenter le Passe Navigo entre 15€ et 20€ en 2025 pour financer toutes les nouvelles lignes, sans parler du coût des Jeux Olympiques et Paralympiques dont j’ai neutralisé l’impact sur les voyageurs du quotidien grâce au tarif spécial JOP.
«Mon combat, c’est d’expliquer que rien n’est gratuit et que tout se paye à un moment donné»
Mobilettre. Cet accord est décisif pour l’avenir ?
V. P. Il l’est parce qu’il assure à Île-de-France Mobilités son financement jusqu’en 2031. Il assure l’ouverture de toutes les lignes du Grand Paris Express en exploitation, avec des augmentations du Passe Navigo qui seront extrêmement modérées par rapport au doublement de l’offre qui sera proposée. De temps en temps, je m’énerve contre certains qui ne connaissent rien à l’économie du transport. Le calcul est pourtant simple: + 1,10€ par mois, après le remboursement employeur, avec tout ce que vous avez en plus : nouveaux matériels, nouvelles lignes, nouvelles amplitudes… J’ai tenu l’engagement pris lors de mon élection : ne jamais augmenter le Passe Navigo sans pouvoir prouver une augmentation de l’offre et de la qualité de service.
Mobilettre. … et avec la contribution de tous.
V. P. L’accord que j’ai négocié avec Elisabeth Borne et Clément Beaune assure un partage équitable du coût, y compris avec les entreprises et les collectivités qui sont aussi appelées à cotiser. C’est de la bonne gestion. La note d’Île-de-France Mobilités a d’ailleurs été réévaluée par les agences de notation financières, et c’est majeur d’avoir leur confiance pour limiter le coût de nos investissements et emprunter à bas taux d’intérêt. Quand on voit la difficulté de l’Etat aujourd’hui à boucler son budget, je suis heureuse d’avoir été aussi tenace en 2023 et je remercie Clément Beaune et Elisabeth Borne de m’avoir entendue. Je remercie aussi les entreprises de Paris et de la petite couronne et les départements d’avoir pris leur part.
«J’ai invité Jean-François Monteils à se concentrer sur la 15 Sud. C’est la rocade la plus indispensable, elle est tellement attendue»
Mobilettre. Comment qualifier le long bras de fer préalable à l’accord ? Punchy ?
V. P. Oui, punchy, parce que cela faisait quatre ans qu’on nous baladait depuis la lettre d’Edouard Philippe. Si on n’avait pas conclu cet accord…
J’insiste. Les Franciliens ne s’en rendent absolument pas compte d’une manière générale, mais mon combat, c’est d’expliquer que rien n’est gratuit et que tout se paye à un moment donné. Les démagogues de tous poils qui expliquent qu’on peut faire des transports gratuits ? Si je n’avais pas de recettes voyageurs, il faudrait qu’Ile-de-France Mobilités soit financé par 4 milliards d’impôts supplémentaires. Quatre milliards d’impôts sur cinq millions de foyers, c’est 800 € d’impôts/an par foyer ! Et ce serait injuste parce qu’on ferait payer des Franciliens qui ne prennent pas les transports. Mais je prêche un convaincu…
Mobilettre. Revenons à ce grand changement du 1er janvier, la simplification des tarifs occasionnels, 2,50€ le ticket pour les trajets train et métro, 2€ pour les bus et trams, 13€ pour la liaison aux aéroports, et le Liberté + qui progresse très vite.
V. P. Le ticket unique c’est le prolongement du Passe Navigo unique. Je veux construire une région sans frontière, où chaque habitant a la même dignité et le même droit à se déplacer, le même accès aux services publics qu’un habitant de Paris intra-muros. Je suis issue de la grande couronne et depuis toujours, à l’inverse d’un certain nombre d’économistes qui considèrent qu’il faut payer au kilomètre parcouru, j’estime qu’il y a un rééquilibrage à faire entre l’offre pour les Parisiens et celle pour les habitants de deuxième et troisième couronne, et que ce rééquilibrage doit se faire à travers l’offre de transport, le matériel roulant mais aussi les tarifs. La densité des transports offerte aux Parisiens est tellement supérieure !
Mobilettre. Vous n’étiez pourtant pas convaincue du tarif unique…
V. P. Parce qu’il n’était pas financé ! Vanter une pseudo « avancée sociale » qui se traduit par 300 millions d’euros de trou dans la caisse sans savoir qui va payer, ce n’est pas mon ADN politique. Non à la démagogie, oui à la gestion en « bonne mère de famille », c’est ça la droite sociale, généreuse mais jamais à crédit, c’est pour cela que l’accord Borne/Beaune/Pécresse et le ticket unique sont liés.
Mobilettre. Je croyais que le ticket unique ne coûtait quasiment rien ?
V. P. La réforme est effectivement à peu près équilibrée, avec seulement 30 millions d’euros d’ajustement. Mais pour prendre le risque de faire une telle révolution il faut être sûrs de ses bases. Nous le sommes. Ce ne sont pas les hausses du Navigo qui financent le ticket unique. Le Passe Navigo finance le doublement de l’offre de transport et l’arrivée des matériels neufs.
Mobilettre. On assiste aussi à une accélération de la modification du rapport des usagers à la billettique.
V. P. La révolution de Liberté +, qui progresse très vite, c’est d’avoir des avantages tarifaires pour les Franciliens, y compris avec toutes les correspondances gratuites. Cela permettra aussi d’avoir une vraie relation client avec les voyageurs occasionnels. Avec la dématérialisation qui progresse à vitesse grand V, cela change la donne. Les Franciliens ne se rendent pas compte à quel point la négociation avec Apple a été compliquée. Merci les Jeux ! Quand ils se sont rendus compte qu’il y aurait tant de visiteurs américains pour Paris 2024, ils ont voulu conclure. Offres nouvelles + dématérialisation, nous aurons l’un des meilleurs réseaux au monde en 2030.
Mobilettre. Vous avez évoqué le Grand Paris Express : que pensez-vous du calendrier très glissant de ses mises en service ?
V. P. C’est l’heure de vérité pour le Grand Paris Express – et pour la Société des Grands Projets. En réalité la SGP n’a pas encore ouvert, seule, une ligne entière – la 14 c’était en partenariat avec la RATP, et Eole c’est la SNCF. Est-ce que la SGP arrivera à sortir une ligne complète qui fonctionne, et quand ?
Mobilettre. En tant qu’administratrice de la SGP avez-vous des informations sur les délais?
V. P. J’ai alerté l’année dernière parce qu’effectivement je considérais que nous n’avions pas assez d’informations fiables. L’avenir m’a malheureusement donné raison puisqu’en réalité il y avait des retards qui n’ont pas pu être rattrapés. La mission Ramette/Bense va objectiver les choses et nous donner une vraie fenêtre d’ouverture de la ligne 15 Sud. Je souhaite que ce soit mi-2026. J’exige de la transparence, et je demande à ce que ce rapport d’expertise soit transmis aux collectivités dès février et sans filtre.
Je le répète, c’est un moment de vérité pour la SGP. Je le dis avec beaucoup de bienveillance car elle a un projet historique pour la France : 35 milliards d’euros d’infrastructures à sortir, c’est considérable. Donc il ne faut pas de fuite en avant et aller chercher des contrats en province avant d’avoir ouvert la moindre ligne en Ile-de-France.
On me dit que les retards de la ligne 15 ne seront pas transposables sur la 16 et la 18. A voir. Je suis comme Saint-Thomas, je ne crois que ce que je vois. J’ai invité Jean-François Monteils (NDLR le président du directoire de la SGP) à se concentrer sur ce premier projet qu’est la 15 Sud, qui est le projet vitrine de la SGP. C’est la rocade la plus indispensable, elle est tellement attendue. Je mesure tous les jours la complexité d’un tel projet, mais ce n’est pas un argument qui justifie qu’on déçoive tous ceux qui en attendent les bénéfices au quotidien.
Mobilettre. ll y a aussi la question des coûts d’exploitation.
V. P. Je rappelle qu’on va verser jusqu’à 140 millions d’euros de redevance tous les ans pour des lignes qui ne sont pas encore ouvertes. Et je n’ai pas l’intention de stocker le matériel roulant, qui est déjà commandé, dans des hangars à cause des retards de livraison de chantiers.
Partout dans le monde quand on construit une gare on y met des bureaux, du logement, des commerces. Nous ici en France, nous avons choisi de faire uniquement des «gestes architecturaux», et bien évidemment, à qui transmet-on la gestion des gares qui sont des centres de coûts ? A Île-de-France Mobilités… Le défaut d’origine du Grand Paris Express, c’est qu’il n’a pas généré en lui-même ses propres profits.
« On socialise les pertes et on privatise les profits, ce qui est quand même un défaut majeur de la France »
Mobilettre. Votre expérimenté collègue de Nouvelle-Aquitaine Alain Rousset répète à l’envi que les maîtres d’ouvrage, gestionnaires d’infrastructures et autres opérateurs considèrent trop souvent les collectivités régionales comme des «cochons de payeurs»…
V. P. On socialise les pertes et on privatise les profits, ce qui est quand même un défaut majeur de la France. Christian Blanc avait appelé à exproprier tout autour des gares du GPE pour que la manne foncière revienne à l’Etat. On aurait dû le faire mais c’est trop tard.
Ce qui aurait été tragique, c’est que le GPE absorbe toutes les recettes d’IDFM et qu’on ne puisse plus changer le matériel roulant sur le reste du réseau ou acheter des bus propres. Mais ce ne sera pas le cas ! Tout le matériel roulant est déjà commandé. Mon regret : on n’a pas pu mettre des RER NG sur le B et donc on va être obligé d’attendre les MI 20. On devrait les obtenir en 2027 avec deux ans de retard, je suis sur le dos d’Alstom toute la journée pour que les nouveaux RER B arrivent. A ce propos le rapport Ramette a permis une amélioration notable de la ponctualité.
Mobilettre. Avec comme perspective le centre unifié du RER B en 2030.
V. P. Je me suis dit à la lecture de ce rapport: «Ce n’est pas possible, on en est encore là, on manque de coordination entre la SNCF et la RATP». Mais si on prend un peu de recul, ce rapport montre aussi et surtout qu’à l’heure de l’ouverture à la concurrence, avec plusieurs opérateurs qui vont opérer sur le même réseau, on a vraiment besoin de concentrer davantage de pouvoir au sein de l’autorité organisatrice. Je plaide pour cela. Dans une gare japonaise vous avez cinq ou six opérateurs différents, et ça fonctionne car le sujet de l’autorité est considéré comme crucial pour l’organisation de l’ensemble.
C’est une évidence pour moi que le fait de confier au GPSR de la RATP la sécurité des lignes de métro 16 et 17 opérées par Keolis, comme le prévoit la loi, est une absurdité. De même, il serait incohérent que la SUGE de la SNCF assure la sécurité des gares des lignes ouvertes à la concurrence, qui pourraient être opérées par un de ses concurrents. Il faut à terme une « police régionale des transports » sous la direction d’Ile-de-France Mobilités. L’organisation de la sécurité et l’autorité fonctionnelle doivent être transférées à Île-de-France Mobilités, sans changer leurs statuts. Cela nécessite une loi, mais nous avons commencé à créer les brigades régionales des transports sous la direction d’Ile-de-France mobilités.
Mobilettre. Vingt ans après la régionalisation du Stif, on a l’impression que les opérateurs n’ont pas tous intégré que c’était vous la cheffe ?
V. P. Quand ça les arrange, si. J’ai de plus en plus les syndicats qui viennent me voir en disant : «Comme c’est vous qui avez les cordons de la bourse, c’est vous qui êtes derrière les négociations.» Non, je ne négocie pas les augmentations salariales annuelles, ni les conditions de travail, c’est l’opérateur qui est responsable.
En fait, ce sont les groupes politiques d’opposition représentants à IDFM qui nous ont quelque part donné nos lettres de noblesse. Ils ne veulent pas attaquer les opérateurs sur la mauvaise qualité du service, ils préfèrent attaquer la région parce qu’ils veulent en récupérer la présidence. Ils ont légitimé ma responsabilité et celle d’IDFM – et même un peu trop car ce n’est pas nous qui faisons rouler les trains.
Mobilettre. Vous n’êtes pas lassée de subir des situations sans peser autrement que par le levier du financement ?
V. P. Les présidents de la SNCF et de la RATP cherchent parfois plus à satisfaire leur actionnaire – l’Etat – que leur client. Dans un monde économique normal, le client est le roi et l’actionnaire récupère les dividendes d’une entreprise bien gérée. Il peut donner des indications stratégiques, mais le baromètre c’est la satisfaction du client et nous, nous sommes le client au nom des Franciliens. Le système dans lequel nous évoluons est un peu dysfonctionnel.
Dans un monde ouvert à la concurrence, il serait logique que la gestion de l’infrastructure du Grand Paris Express aille également à Ile-de-France Mobilités, comme la gestion des gares franciliennes et la sécurité. Je ne suis pas dans une volonté de puissance, mais d’efficacité. Et c’est aussi la logique de l’histoire. Les opérateurs opèrent et l’autorité organisatrice organise. Le lobbying de la RATP et de la SNCF vise à garder les confettis de l’empire du monopole.
Mobilettre. Est-il normal qu’IDFM paie indirectement certains développements de filiales, je pense à RATP Dev ou à RATP Smart System, ou même à la SGP pour sa diversification en province.
V. P. Aujourd’hui la priorité c’est que chacun fasse ce qu’il a à faire en Île-de-France. La plupart des gens pensent que c’est l’État qui paye pour le GPE : c’est faux ! Ce sont les Franciliens qui payent. Les ménages et les entreprises franciliennes fournissent à la SGP les ressources nécessaires.
Cela dit je ne suis pas contre que l’Etat subventionne des lignes en province. Mais ce n’est certainement pas le rôle d’Ile-de-France Mobilités !
Mobilettre. Vous financez la structure SGP mais elle siphonne vos cadres car elle les rémunère mieux – c’est vrai aussi pour les opérateurs. Que pensez-vous de la situation ?
V. P. Pour l’instant tous les frais de structure de la SGP sont payés par les Franciliens : c’est la vérité. S’agissant des rémunérations, Île-de-France Mobilités devrait avoir un statut d’établissement public industriel et commercial puisqu’elle récupère 4 milliards d’euros de recettes tarifaires tous les ans. Cela nous permettrait de payer nos agents aux mêmes salaires que les opérateurs qu’ils contrôlent.
Mobilettre. La distorsion actuelle est mal vécue par vos salariés.
V. P. Oui, et les opérateurs peuvent débaucher les meilleurs comme ils le veulent – même si l’arrivée de la concurrence induit de nouvelles règles. Mais la situation n’est pas saine.
Aujourd’hui, nous recrutons plutôt des jeunes – aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années. Nous sommes une entité mobile, agile, jeune, parce qu’on n’a pas les moyens de payer des ingénieurs des Ponts quinquagénaires. On fait d’un handicap un avantage.
Mobilettre. S’agissant de la RATP vous êtes en pleine négociation d’un nouveau contrat. Comment cela se passe-t-il ?
V. P. Nous n’avons plus de contrat avec la RATP depuis janvier, il n’était pas raisonnable de mettre notre énergie à négocier pendant les Jeux où l’opérationnel était prioritaire. Mais nous avions anticipé la situation en négociant le Plan Quadriennal d’Investissement (PQI), qui va augmenter de pratiquement 200 millions d’euros par an, soit 800 millions d’euros supplémentaires sur quatre ans. On va passer de 1,9 à 2,1 milliards par an, et hors bus à partir de 2026. Donc cela fait +30% à périmètre constant !
Sur le contrat lui-même, le premier sujet ce sont les coûts d’exploitation. La productivité n’est pas un gros mot y compris au sein des entreprises publiques. Il faut toujours faire mieux: l’intelligence artificielle et le digital nous y aident.
Le deuxième sujet c’est à quel niveau on met la marge. Il n’est pas question que la RATP fasse une marge telle qu’en réalité l’Île-de-France finance ses développements en province ou à l’étranger. J’ajoute que Keolis et Transdev sont persuadés que si la RATP fait des prix aussi bas en province, c’est parce qu’elle a la manne de l’Île-de-France derrière elle. Ils n’ont sans doute pas complètement tort…
«Il n’est pas question que la RATP fasse une marge telle qu’en réalité l’Île-de-France finance ses développements en province ou à l’étranger»
Mobilettre. Quel premier bilan faites-vous de l’ouverture à la concurrence des réseaux de bus, Optile et désormais les premières lignes RATP?
V. P. J’assume cette ouverture à la concurrence, et contrairement à certains qui avaient peur que cela se passe mal et interrogeaient ma détermination, je continue.
On ne peut tirer les bilans qu’au bout d’au moins un an d’exploitation car les transitions sont souvent difficiles. Le sortant, quel qu’il soit, savonne souvent la planche au nouvel entrant, il laisse des bus mal entretenus et débauche des salariés… Ces pratiques doivent cesser.
La concurrence conduit à comparer les statuts et à harmoniser les salaires et les conditions de travail. La charte des exigences sociales d’Ile-de-France Mobilités garantit ainsi que personne ne perde en salaire ni en conditions de travail. Je suis aussi mobilisée pour garantir l’attractivité des métiers de la conduite et de la maintenance en Ile-de-France.
Au bout d’un an, les augmentations de qualité de service sont en général assez remarquables. Quelques réseaux de très grande couronne ont rencontré des difficultés persistantes, essentiellement dues à la difficulté de recrutement des conducteurs. La pénurie massive post-Covid a conduit à affecter des conducteurs pas très expérimentés sur des réseaux extrêmement compliqués. Le temps d’acclimatation et de formation des conducteurs a donc été accru.
Mobilettre. Vous pouvez quantifier les économies réalisées ?
V. P. Ce n’est pas facile car on est dans une amélioration du rapport offre/qualité/prix. La concurrence a permis de revaloriser les salaires, et donc de renforcer l’attractivité des métiers, d’augmenter l’offre et d’améliorer la qualité de service. Les bus en petite et en grande couronne seront tous décarbonés à partir de la fin 2025. S’agissant de Paris il faut s’attaquer à la vitesse commerciale, et repenser les carrefours et identifier des voies de circulation prioritaires pour les transports en commun. Car le bus est le mode 100% accessible, notamment pour les seniors.
Mobilettre. La période post-Covid a été très difficile pour la qualité de service, sur les réseaux ferrés (Transilien et surtout métro). Les derniers chiffres de novembre sont meilleurs malgré la persistance d’irrégularités et de missions supprimées au dernier moment.
V. P. Il faut continuer à être très vigilant et à réduire les causes des perturbations. Par exemple étendre à la SNCF le protocole qui permet de prodiguer les premiers soins au passager qui s’est évanoui, sur le quai plutôt que dans une rame immobilisée. Ou encore accélérer le processus de levée de doute sur les colis abandonnés. Quant aux suicides il faudrait des Officiers de Police Judiciaires, mis à disposition de la SNCF ou de la RATP. Pour les prévenir la prochaine étape c’est probablement la généralisation des porte-palières, qui ont aussi l’avantage de diminuer considérablement les intrusions sur les voies.
Mobilettre. Ce sont des causes d’irrégularité exogènes, il y a aussi la propre responsabilité des opérateurs.
V. P. Nous avons mis la pression sur la RATP pour qu’elle résolve ses problèmes de production dans les ateliers, aussi bien en termes d’effectifs que d’organisation.
Mobilettre. Le débat enfle sur les canaux d’information en temps réel. Twitter/X, possédé par Elon Musk dont les prises de position politiques sont éminemment discutables, est souvent le plus réactif. Quelle est votre position ?
V. P. Nous devons avoir les informations au plus vite sur notre propre application IDFM, qui servira aussi à faire du push envers les voyageurs. D’autant plus que l’ouverture à la concurrence justifie une appli de référence œcuménique, par opposition aux applis propriétaires des opérateurs. Quant à X, ou les réseaux sociaux en général, au-delà de l’information en temps réel, ils permettent de remonter un certain nombre d’informations de terrain.
Mobilettre. Les JO, c’est déjà oublié?
V. P. Non, on essaye d’en tirer les leçons. C’était bien avec les JOP, par ce que tout le monde s’est mobilisé, mais aussi par ce qu’on avait des voies réservées, pas de travaux, moins de voyageurs, et 50 000 policiers et gendarmes en surface. J’ajoute qu’avec un ticket à 4 euros on a pu mettre les moyens – 250 millions d’euros, sans laisser de dette !
Mobilettre. Vous avez évoqué de nombreux facteurs qui progressivement matérialisent le changement pour les voyageurs du quotidien. Avez-vous en tête le moment où ce sera vraiment spectaculaire et évident pour tous ?
V. P. Je voudrais rappeler que les investissements annuels d’Ile-de-France Mobilités ont été multipliés par huit par rapport à 2015, de 500 millions d’euros par an à 4 milliards, aussi bien sur les matériels que sur les infras, les systèmes, la billettique…
L’ouverture de toutes les lignes du Grand Paris Express parachèvera cette révolution globale que je poursuis sans relâche depuis 2015. Je le redis à la SGP, nous comptons sur elle pour honorer sans retard la promesse faite aux Franciliens. Mais d’ores et déjà, l’amélioration du service est tangible pour des millions de voyageurs à travers les 1200 rames neuves ou rénovées, les nouvelles lignes ouvertes, la dématérialisation de la billettique et les nouveaux tarifs.
Propos recueillis par Gilles Dansart