Nouveau monde

Il se passe quelque chose… A force de convoquer le sursaut démocratique et de célébrer les vertus de la Toile, il fallait bien que les actes succèdent aux paroles. Comme l’expression d’un certain refus de subir. Les usagers montent en puissance et affichent leur ras-le-bol des TER et des TGV défaillants, les Franciliens exigent des changements et investissent les débats publics sur l’avenir des transports de leur région. Ce n’est pas une instrumentalisation médiatique: c’est le juste retour des choses. On a voulu transformer les usagers en clients, les voilà qui exigent une contrepartie à leur nouveau statut de consommateurs de transport. Internet et les réseaux sociaux leur fournissent des tribunes et des moyens inespérés. Le phénomène doit interroger le transport public, soudain confronté à une évaluation inattendue de sa performance.

Qui peut prétendre que l’Etat n’a pas failli à sa tâche en Ile-de-France depuis trois décennies ?

La pression des usagers, même à la qualifier de poujadiste ou de populiste, est bien là. Comment ne pas la comprendre ? Qui peut prétendre que l’Etat n’a pas failli à sa tâche en Ile-de-France depuis trois décennies ? Qui justifiera l’irrégularité croissante des transports ferroviaires du quotidien ? Qui comprend encore la jungle des tarifs de la grande vitesse ? On peut juste admettre que l’expression populaire est trop exclusivement dirigée vers les seuls lampistes de la première ligne, les opérateurs et notamment la SNCF – car les autorités organisatrices, et notamment la première d’entre elles, l’Etat, devraient être également convoquées au tribunal des responsabilités.

Mais les promotions du développement durable ont produit leur effet. Moins de pollution, plus de citoyenneté ? Vive le transport public ! La demande est réelle, forte, de plus en plus forte. Les nouveaux TCSP sont bondés, partout à Rennes, Bordeaux, Lyon, Paris… Le Stif demande à la RATP d’ouvrir le métro parisien jusqu’à deux heures du matin le vendredi et le samedi, et c’est l’afflux. La circulation des 2-Roues explose, l’autopartage progresse…

Trop de responsables se sont complus dans la gestion prudente d’une croissance très raisonnable

Et face à cela, que se passe-t-il dans le camp des décideurs, des responsables, des lobbies ? Avouons-le, l’analyse est contrastée. On voudrait baigner dans l’optimisme, mais le malthusianisme des dernières décennies a fait des dégâts. Trop de responsables se sont complus dans la gestion prudente d’une croissance très raisonnable là où il fallait accélérer franchement et oser davantage. Les effets d’annonce politiques perdurent. Souvenons-nous du Ciadt de 2003 plombé par la confiscation des dividendes des sociétés d’autoroutes, et de toutes ces opérations de communication suivies de pas grand-chose. Et l’élaboration du Schéma national des infrastructures de transport ne semble pas bousculer les habitudes. L’archaïsme décisionnel et l’enchevêtrement administratif continuent à ralentir les projets et à décourager les audacieux.

Pourtant, on sent bien que malgré les difficultés financières et économiques, un vent nouveau souffle aussi sur ce monde des transports qui sort doucement de son splendide isolement. La concurrence, loin de tout emporter, peut dynamiser les échanges, sauver la SNCF du piège monopolistique qui la fait s’enfoncer dans la crise. La mobilisation des collectivités locales peut inciter l’Etat à faire des efforts, comme en Ile-de-France avec le Grand Paris. Des efforts financiers qui débloquent les projets mais réaffirment la tutelle de Paris sur l’initiative locale. Un peu partout, des innovations les plus modestes aux plans les plus ambitieux, la mobilité est devenue l’enjeu citoyen de ce début de siècle, et les élites n’y sont pas insensibles.

Mobilettre démarre au bon moment… Ce n’est pas un hasard. Nous nous ferons les chroniqueurs infatigables des temps nouveaux, auprès de ceux qui cherchent à développer l’offre et la qualité de service, entrepreneurs publics ou privés, AO dynamiques, défricheurs audacieux, promoteurs du vélo ou du tram-train, politiques et industriels, opérateurs et experts de toutes obédiences. Tous ceux qui refusent les frontières trop faciles des rivalités modales et les paravents confortables de la routine. Ce n’est pas un hasard si nous donnons ici la parole à Philippe Segretain, ex-patron de Transdev, qui plaide pour une autre voiture dans la chaîne de mobilité, ou si nous faisons un focus sur la post-facturation, arme d’avenir d’un transport public sûr de son potentiel et décomplexé.

Mobilettre se fera le pourfendeur des immobilismes, des chapelles, des vues réductrices ; des administrations qui découragent au lieu de faciliter ; des lobbies dépassés, occupés à obtenir des victoires anecdotiques dans des débats stériles plutôt qu’à promouvoir au grand jour des solutions vraiment nouvelles, à entretenir des cumulards au lieu de secouer le cocotier des ministères ; des entreprises qui verrouillent les organisations au lieu de déconcentrer et responsabiliser les managements, qui se font la guerre alors qu’elles ont le même actionnaire…

Mobilettre n’a qu’une seule ligne éditoriale : accompagner l’incroyable mutation des mobilités nouvelles, en racontant les projets, en encourageant les performances, en décryptant les complexités. En toute indépendance. G. D.