La nouvelle offensive du transport dérégulé

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La nouvelle offensive du transport dérégulé

La nouvelle offensive du transport dérégulé

Lyft, Uber, Chariot, Slide… et cette semaine BlaBlaLines: partout dans le monde des innovateurs expérimentent des solutions aux lacunes des transports collectifs et individuels sur la courte distance, avec comme ingrédients de base un nouvel usage du véhicule automobile et la technologie digitale. Ces initiatives déboucheront-elles sur des offres pérennes? Répondront-elles aux besoins des parcours non massifiés, périphériques et ruraux, ou viendront-elles concurrencer l’économie conventionnée sur les origines-destinations rentables? Pourront-elles exister sans l’aide des autorités organisatrices de transport? En somme, peut-on espérer cumuler en matière de transport les avantages respectifs de la dérégulation et de la régulation?


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Un peu partout, les annonces se succèdent sur le micro-transit et le covoiturage

L‘exemple est frappant: c’est à Bristol, dans le sud de l’Angleterre, que RATP Dev expérimente en ce moment à grande échelle une innovation totalement dérégulée dans le transport de proximité. Slide (lire Mobitelex 180) est une solution de micro-transit, basée sur les algorithmes de Padam, start-up française qui a échoué à Paris. Ou comment une entreprise nationale publique prépare l’avenir loin de ses bases 100% régulées…

Depuis quelques mois, un peu partout dans le monde, les innovations se succèdent, aussi bien sur le micro-transit que sur le covoiturage, si ces appellations classiques ont encore un sens. Cela va de solutions locales imaginées par des start-up modestes ou des opérateurs classiques désireux de se diversifier (c’est le cas des trois majors français, avec des fortunes diverses), jusqu’à des lancements massifs de la part d’entreprises aux levées de fonds impressionnantes, observés par tous les spécialistes des nouvelles mobilités digitales. La plus spectaculaire d’entre elles, probablement, est à mettre outre-Atlantique à l’actif de Lyft, devenu le principal concurrent d’Uber. Il s’agit d’un service baptisé Shuttle, à San Francisco et à Chicago: des lignes et des points d’arrêts sont définis, comme pour un réseau de bus, mais cette fois-ci le balisage s’applique aux conducteurs privés.

L’appli BlaBLaLines met en relation conducteurs et passagers sur la base de lignes et de points d’arrêts prédéfinis

Ce mardi 2 mai, Frédéric Mazzella, PDG de Blablacar, s’est lancé à son tour dans la bagarre avec BlaBlaLines. Le principe est le même pour la relation domicile-travail que pour la longue distance: l’appli met en relation des conducteurs et des passagers, mais à la différence de BlaBlaCar où le parcours est à l’initiative du conducteur, la nouvelle offre repose sur des lignes et de points d’arrêts prédéfinis, non pas arbitrairement, mais après une fine analyse des flux, des trafics et des itinéraires. Pour avoir tâtonné pendant des années avant de trouver le déclic (le prépaiement) qui allait fiabiliser son futur dispositif BlaBlaCar, Frédéric Mazzella sait que les clés du succès d’une offre dérégulée appartiennent d’abord aux utilisateurs. Il va donc tester pendant quelques mois deux lignes (Toulouse-Montauban et Reims-Chalons-en-Champagne) avant de démultiplier les offres en 2018. Car le diable est dans les détails: faut-il proposer un post-paiement électronique qui évite l’échange de monnaie? Sera-t-il possible de switcher de conducteurs en cas d’embouteillages? Comment se mettront en place les réservations de retour, quand le conducteur n’est pas toujours en mesure de fixer son horaire à l’avance? Sans oublier, bien entendu, des leviers de marketing pour capter la masse critique.

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Une nouvelle étape pour les offres dérégulées: trouver de la récurrence dans les parcours

Avant la licorne, d’autres acteurs du covoiturage avançaient avec cette même logique. La jeune startup Ecov par exemple propose une idée simple: «La voiture est un transport collectif», et développe depuis 2016 des stations de covoiturage « Covoit’ici » adaptées au domicile-travail. C’est l’effervescence aussi dans le micro-transit. Aux Etats-Unis, deux start-ups ont fait la une de la presse ces derniers mois: Chariot et Bridj. La première a été rachetée il y a quelques mois par le géant Ford, pour plus de 60 millions de dollars. La seconde a jeté l’éponge il y a quelques jours, après une aventure qui aura duré près de trois ans et malgré un partenariat signé avec Ford à Kansas City.

Soigner les taux de remplissage pour améliorer l’efficacité économique

Ces solutions positionnées à mi-chemin entre le VTC et le transport collectif «classique» signent comme un retour au grand défi du transport public: soigner les taux de remplissage pour améliorer l’efficacité économique. Certes, le développement du digital puis l’avènement du smartphone ont rendu possible dans un premier temps la mise en relation de l’offre et de la demande de mobilité. Certains marchés jusque-là balbutiants ont très rapidement explosé: celui du VTC et de ses déclinaisons (avec Uber et Lyft), celui du covoiturage (avec Blablacar). De belles success-stories qui ont d’autant pu se réaliser que, basées sur des plates-formes de désintermédiation numériques, elles ont (du moins au début) échappé à tout contrôle de la puissance publique, leur permettant un développement très rapide.

«Si le passager assimile le service à celui d’un transport en commun, alors il se projette plus facilement dans l’usage»

Mais depuis deux ou trois ans, les start-up du secteur cherchent à dépasser la simple mise en relation, avec un nouvel objectif : remplir leurs véhicules. Certaines se sont spécialisées dans le domaine, en proposant uniquement du micro-transit à l’aide de véhicules de 9 places circulant sur des lignes dont la demande (majoritairement domicile-travail) permet de mutualiser les déplacements: Bridj (lire Mobitelex 138), Slide ou encore Chariot. D’autres se sont simplement contentées d’ajouter une nouvelle fonction à leur application permettant de partager une course, et donc de massifier progressivement les flux: Uber et son «UberPool» ou Lyft avec «Line» (lire Mobitelex 144). Des nouvelles offres qui ont rapidement attiré les usagers en proposant un coût inférieur au VTC classique et un niveau de confort supérieur à celui des transports en commun.

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La nouvelle étape de recherche de récurrence dans les parcours (lire ci-dessus: Shuttle de Lyft, BlaBlaLines de BlaBlaCar ou encore Smart Routes d’Uber, une déclinaison d’Uber Pool) a donc tendance à effacer la principale différence entre ces nouvelles offres et des réseaux de bus classiques. Et l’objectif d’approcher la masse critique reste dans tous les cas sous-jacent à l’ensemble de ces initiatives.

Mais avec cette nouvelle manière d’envisager des offres partagées dans des logiques de lignes, il faut surtout voir la possibilité d’activer un nouveau levier de confiance. Pour Thomas Matagne, fondateur d’Ecov, «en créant des lignes de covoiturage, on ne change pas grand-chose sur la notion de masse critique, mais on veut fiabiliser en ayant plus de récurrence de participation des conducteurs, et permettre une meilleure compréhension pour le passager. S’il assimile le service à celui d’un transport en commun, alors il se projette plus facilement dans l’usage».

Le dérégulé ferait-il donc du régulé sans le savoir? L’analogie est-elle réductrice? Si on assiste bien à un changement de méthode dans la construction de l’offre, propulsé par de nouveaux acteurs venus du numérique, il s’agit d’en évaluer les effets concrets pour les voyageurs.

Du côté du micro-transit, les planificateurs des transports répliquent volontiers que finalement «on revient aux basiques», mais à un détail près: désormais, on déploie une offre optimisée et mieux calibrée. Le numérique permet la désintermédiation, mais aussi et surtout une connaissance plus fine de la demande. Les start-up investissent uniquement les trajets sur lesquels il existe une demande suffisante, le tout avec des petits véhicules. Si la demande est au rendez-vous, elles développent l’offre, sinon, la zone n’est plus desservie, ni plus, ni moins!

Et voilà que l’économie réimpose ses basiques…

Et zut… Alors que les autorités organisatrices espéraient que les solutions nouvelles de micro-transit viendraient les soulager sur des lignes pas assez fréquentées (en clair, arrêter de subventionner des bus ou des cars vides), voilà que l’économie réimpose ses basiques… Pour Thomas Matagne, «ces nouveaux services de micro-transit ne proposent pas une rupture extraordinaire sur le sujet de l’optimisation des coûts par rapport aux solutions conventionnelles de type bus ou TAD. Sauf augmentation de la participation des utilisateurs ou augmentation des taux d’occupation par une optimisation du service, les services de ligne de type « Shuttle » ne permettent pas vraiment une changement d’ordre de grandeur dans la structure de coût: il y a toujours un chauffeur à payer et un véhicule».

«Les équilibres se trouveront vraisemblablement à l’intersection du micro-transit et du covoiturage»

La situation semble bien différente pour le covoiturage, qui cherche à valoriser les sièges libres (et s’attaque donc aux coûts marginaux). Avec le covoiturage, la vraie différence est une question de coût. En attendant le véhicule autonome, il y a une différence majeure qui est le coût du travail associé au chauffeur. Toujours selon Thomas Matagne, «la différence majeure entre micro-transit et covoiturage réside bien dans cet écart. Néanmoins, à ce jour tout le monde cherche (tant côté covoiturage que micro-transit) et les équilibres se trouveront vraisemblablement à l’intersection des deux domaines!» Le secteur en est encore à ses prémices. Certes, ce sont les jeunes start-up qui proposent des idées innovantes, mais ce sont encore les géants de l’automobile et du numérique qui lorgnent sans scrupule sur les plus prometteuses d’entre elles afin de proposer (imposer?) leurs propres solutions. Conséquence? Le marché reste trusté par des géants comme Ford, Blablacar, Uber ou encore Lyft. La seule option pour tester suffisamment longtemps des solutions innovantes et pérenniser les offres?

Quel dialogue avec les autorités organisatrices?

Reste un autre problème, majeur, qui n’est pas prêt d’être réglé: comment ces nouvelles offres trouveront-elles leur public sans une véritable intégration dans l’offre de mobilité existante? Permettront-elles une véritable complémentarité avec les offres de transport public? Pour se limiter au cas français, le dialogue amorcé entre Uber, BlaBlaCar et les collectivités et AOT tourne un peu au dialogue de sourds pour l’instant: les besoins des uns ne correspondent guère aux envies des autres. Un exemple: les nouveaux opérateurs privés veulent de l’espace sur voirie à proximité des gares, des pôles d’échanges et de tout générateur de flux important (université, hôpital, grandes entreprises etc), pour faciliter une mise en relation plus récurrente, quand les secondes cherchent ardemment à résoudre le problème des parcours non massifiés et non récurrents.

Guy Le Bras, directeur général du Gart, et Laurent Probst, directeur général du Stif, assistaient à la présentation par Frédéric Mazzella de BlaBlaLines, le 2 mai. C’est le signe d’une vraie disponibilité à l’innovation, mais les licornes et autres Gafa sont-ils prêts à faire eux aussi un pas en avant pour s’inscrire dans des logiques sinon contractuelles, en tout cas collaboratives?


Cette collaboration étroite avec les autorités organisatrices de transports apparaît inévitable afin d’inscrire physiquement ces offres sur le territoire, à l’image des aires de covoiturage qui ont fleuri un peu partout. Mais en zone dense, l’équation sera plus compliquée et nécessite l’émergence de dialogues nouveaux. Cet espace libre de l’innovation et du compromis pourrait-il être occupé par les opérateurs classiques qui redoutent d’être réduits à la portion conventionnée et hyper encadrée du transport de masse? A coup d’innovations, d’expérimentations et de prises de participation (comme Keolis dans Le Cab), ils veulent rester dans le coup vis-à-vis de leurs passagers et des collectivités, convaincus que la magie du smartphone ne réglera pas tout. Régulation/dérégulation: faute de discours clair de l’Etat, c’est bien aux AO qu’il appartient de clarifier le paysage.
Julien de Labaca et Gilles Dansart


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