Les Français ont le moral à Montréal

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à Montréal

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Spécial congrès UITP 2017

En pointe sur l’innovation, les trois groupes hexagonaux, chacun à sa manière, ont été offensifs pendant les trois jours du congrès de l’UITP, organisé dans la capitale québécoise au début de cette semaine. A l’inverse de la majorité de leurs concurrents internationaux, Keolis, RATP et Transdev ont choisi d’occuper le terrain du dernier kilomètre et des systèmes numériques, face à la dynamique des nouveaux acteurs de la mobilité et forts de la confiance des autorités organisatrices. Voici ce que l’on a vu et entendu sur les rives du Saint-Laurent, avant la surprise de la nomination d’Elisabeth Borne au gouvernement.


C’est dans le gigantesque hall du siège de la CDPQ que RATP organisait sa soirée rituelle du congrès, mardi dernier…

On retiendra bien sûr la guéguerre habituelle entre les trois groupes Français. Guillaume Pepy et Jean-Pierre Farandou faisant un tour de navette autonome Keolis-Navya à 9 heures du matin, devant l’entrée du congrès; deux heures plus tard Thierry Mallet, avec Yann Leriche, au même endroit, vantaient leur propre solution Transdev-Easymile… Autre exemple: au Québec Keolis, RATP Dev et Transdev ont chacun des positions et des ambitions, qu’ils défendent très légitimement avec des équipes investies *, mais ils ont aussi des projets. Ainsi, avec Rotem et Thalès, RATP Dev vise l’exploitation du futur métro automatique de Montréal, contre deux adversaires, la redoutable alliance SNC Lavalin-Alstom et le local Bombardier. Ce dernier vient finalement d’être rejoint par… Keolis, dont l’actionnaire minoritaire, la CDPQ (Caisse de dépôts et placements du Québec), est le grand financeur du projet. La RATP, qui bétonne et peaufine ses offres techniques et financières pour août et septembre, a vu cette arrivée tardive d’un mauvais œil. Keolis ne commente pas la situation. Il paraît que les murailles québécoises pour éviter les conflits d’intérêt sont encore plus hautes que les murailles chinoises… Ironie de l’histoire, c’est dans le gigantesque hall du siège de la CDPQ que RATP organisait sa soirée rituelle du congrès, mardi dernier! Avec une Elisabeth Borne gérant au mieux son entre-deux inédit…

La concurrence entre les groupes est d’ailleurs un sujet brûlant du moment, que la nouvelle ministre devra aussi gérer au mieux, car elle est très attendue, notamment par Transdev qui redoute une alliance objective des deux Epic, avec le soutien de l’Etat. On parlait aussi de ça à Montréal. Qui attribuera CDG Express? L’Etat. Qui sont les prétendants? Transdev et… une alliance Keolis-RATP Dev. Là aussi il va en falloir, des rigueurs formelles pour éviter les suspicions. Et des deux côtés : on fait ami-ami à Doha et Roissy, mais on multiplie les croche-pieds à Caen, Lorient et en Ile-de-France…

Google, Lyft, Uber: la partie d’échecs continue entre acteurs de la «nouvelle mobilité»

Revenons à Montréal. La guéguerre persistante ne doit pas occulter la vraie guerre, celle qui engage l’avenir des champions français des mobilités collectives de l’Australie à Montréal en passant par le Moyen-Orient et l’Europe: la guerre contre les nouveaux acteurs des mobilités numériques. En plein salon de l’UITP, comme par hasard, la filiale de Google spécialisée dans le véhicule autonome, Waymo, signait avec Lyft un accord de partenariat. Et le géant du VTC Uber s’associait à la start-up canadienne Transit pour afficher sur son application les offres de transport public en temps réel. La partie d’échecs continue entre acteurs de la «nouvelle mobilité», autour de trois grandes thématiques : la donnée, la cartographie et le véhicule autonome.

Face à eux, donc, trois Français… A Montréal, l’absence des grands opérateurs Arriva, First Group et autres MTR était spectaculaire alors que Keolis, RATP et Transdev, manifestement, ne veulent pas lâcher l’affaire. Pas question de se résigner à laisser la place des offres de courte distance non massives, ou à se contenter d’un repli sur les savoir-faire incontestés, du mass transit aux réseaux de bus en passant par les trams. Si l’on en croit les chiffres énumérés en ouverture du congrès par Richard Puentes, consultant, le bus s’écroule en Amérique du Nord. De là à considérer que le dernier kilomètre sera l’affaire de solutions nouvelles et souples, telles que le véhicule autonome, le VTC partagé, le covoiturage, l’autopartage ou le vélo, il n’y a qu’un pas que certains franchissent. D’où l’impérieuse nécessité d’occuper le terrain, et de profiter de la confiance des élus pour réorganiser autrement le très cher et précieux espace public (lire Mobizoom 55 La nouvelle offensive du transport dérégulé)

Le déneigement des pistes cyclables, demandé par les habitants…

Chacun pousse donc les feux, en premier lieu sur le véhicule autonome. Ainsi Keolis a annoncé à Montréal une expérimentation d’un an dans un nouveau quartier écoresponsable de 35000 habitants en pleine construction, au nord de la ville, à Terrebonne. Le maire, Stéphane Berthe, formidable de volonté et de simplicité, explique à Mobilettre qu’il a modifié les normes de construction pour limiter l’obligation à une place de stationnement par logement. Du coup, il faut densifier le réseau vélo (y compris en hiver avec le déneigement des pistes cyclables, demandé par les habitants !), soigner les dessertes du réseau de bus et, donc, imaginer de nouvelles offres pour les petits déplacements ; en l’occurrence, une navette autonome sur un parcours de 1 à 2 kilomètres. Il reste encore un peu de boulot avec le ministère des Transports, qui se montre très allant dans l’opération, pour obtenir l’autorisation administrative, mais l’ambition de travailler sur une année complète, avec les conditions climatiques de l’hiver, plaît d’ores et déjà beaucoup au PDG de Keolis Jean-Pierre Farandou : «Notre souplesse et notre réactivité permettent de lancer ces projets concrets avec les collectivités locales», explique-t-il.

Côté RATP, Elisabeth Borne a œuvré depuis son arrivée pour dynamiser les recherches et les partenariats sur ces nouvelles mobilités, qui étaient un peu en sommeil. D’abord avec la filiale Ixxi dirigée par Pascal Auzannet, dont la croissance est spectaculaire sur les questions de billettique et de services numériques, ensuite avec des alliances et des prises de participation tous azimuts. A Montréal, le groupe RATP a annoncé que sa filiale RATP Capital Innovation venait d’investir dans la filiale parisienne de Communauto, grand acteur de l’autopartage. Il est donc dit que la RATP ne veut pas s’endormir sur les lauriers de ses marchés encore captifs.

Denis Coderre, maire de Montréal: «Les questions de changement climatique viennent nous chercher!»

Transdev, à Montréal, a surtout tenu la démonstration de sa propre navette autonome, mais la modestie de sa communication du moment ne signifie pas que l’entreprise fait une pause : les Lab et les innovations se multiplient dans les réseaux, avant d’essaimer une fois les phases de mise au point et d’expérimentation achevées. Ainsi, à Vitrolles, nous explique Yann Leriche, la reconfiguration complète de l’offre de bus de proximité, en complément du réseau structurant, à destination des salariés des zones d’activité (Chronopro), se traduit par 84% de kilomètres produits en moins, 42% de fréquentation et 48% de satisfaction en plus. L’amélioration des modélisations et le recours aux applications est une forme d’innovation un peu moins spectaculaire mais tout aussi précieuse pour l’avenir des réseaux de bus. Pour Thierry Mallet, manifestement, une bonne communication s’appuie d’abord sur le résultat.

Eternel débat : comment avancer ? En bon ordre industriel ou par la volonté de la parole ? On a entendu Marie-Claude Dupuis, la nouvelle directrice de la Stratégie de la RATP, expliquer aux professionnels confrontés à la transition énergétique des bus que la RATP était en train de réussir son pari : accélérer le processus de transformation industrielle par l’affirmation d’un objectif très ambitieux (100% des bus électriques ou au gaz à l’horizon 2025). Dans le public, il y eut quelques murmures : cette méthode continue à prendre à rebours un bon nombre d’invariants jusque-là incontestés dans le secteur. Mais comme le dit le maire de Montréal Denis Coderre avec ses mots chantants, «les questions de changement climatique viennent nous chercher». Comprendre: on n’a pas intérêt à se défiler.

Car la guerre sur le front des nouvelles mobilités ne doit pas faire oublier les fondamentaux du transport public : qualité de service, coûts d’exploitation, sécurité des circulations etc. A Montréal, une bonne partie des stands tournait malgré tout autour de l’obsession de la performance : mieux lutter contre la fraude, améliorer l’efficacité de la maintenance, perfectionner les outils de supervision… L’impact de la digitalisation sur les process industriels a logiquement fait l’objet d’une table ronde où l’on comptait, sur les quatre participants… deux Français, Laurence Batlle et Yann Leriche. Quand on vous dit qu’à Montréal les Français étaient partout…
A Montréal, Gilles Dansart

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  • On a assisté à la passation de pouvoir entre l’ancien et le nouveau président de l’UITP: le Japonais Masaki Ogata laisse la place à l’expérimenté espagnol Pere Calvet. Il paraît que le directeur général Alain Flausch fera de même dans quelques semaines. Mais avec lui, rien n’est jamais sûr.

  • Le GIE Objectif Transport Public et l’Apta (l’association du transport public aux Etats-Unis) ont renforcé leur partenariat pour promouvoir la mobilité durable. Objectif partagé par les présidents Jean-Luc Rigaut et Doran Barnes : multiplier les échanges et les bonnes pratiques, notamment lors des salons respectifs, Apta Expo à Atlanta en octobre et Transports Publics 2018 à Paris. Ironie de l’histoire : c’est le réseau de transport de Los Angeles qui sera l’invité de marque de Paris dans un an. On saura, alors, qui organisera les Jeux Olympiques de 2024…

  • Entre deux coups de fil à Alexis Kohler, Elisabeth Borne a intronisé sur le stand RATP la cérémonie de signature de l’acquisition de… 1000 bus, par l’autorité organisatrice de Ryiad à Mercedes Man. RATP Dev exploitera avec Saptco le nouveau réseau de la capitale du royaume chérifien.

  • On a entendu Philippe Yvin, président du directoire de la Société du Grand Paris, vanter devant une salle comble les mérites du financement public du réseau Grand Paris Express, alors que les recours aux financements mixtes voire 100% privés se multiplient un peu partout. D’une manière générale, les grands investissements ferroviaires n’ont clairement plus la cote, au profit de projets urbains indispensables pour gérer la poursuite des mouvements de métropolisation

  • * Qui a dit que les Français étaient casaniers? Les trois groupes disposent d’équipes en Amérique du Nord dont on a pu mesurer l’engagement, dirigées par Catherine Chardon pour la RATP (RATP Dev North America), Clément Michel pour Keolis (Keolis North America). Transdev, depuis longtemps piloté aux Etats-Unis par Mark Joseph (et au Canada par Dominique Lemay), va se renforcer avec l’installation prochaine à Chicago de Yann Leriche, son directeur de la performance.

Je suis revenu à Montréal…

C’est un refrain que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : «Je reviendrai à Montréal…», Robert Charlebois… J’y suis donc revenu, trente ans après, pour le congrès de l’UITP. C’était bien dans un Boeing, mais on n’était plus en hiver. Et je n’ai pas été déçu.

J’y ai ressenti, comme bien d’autres compatriotes, beaucoup de bienveillance, infiniment moins de stress, d’arrogance et de tension dans les relations interpersonnelles, les espaces publics, les prises de parole. Cela va bien au-delà di folklore de l’accent et du plaisir exotique. Vertige rétrospectif : que nous est-il arrivé, en France, depuis vingt ans ? A tout voir en noir, à mourir d’ennui et de conformisme, à subir sans réagir, à se gaver de mots galvaudés. En entendant le maire de Montréal et le ministre fédéral des Transports ouvrir avec punch et franc-parler le congrès de l’UITP, dans une ambiance pourtant des plus formelles, on a mesuré le poids des conventions françaises, nourries par des élites conservatrices et des prudences anachroniques. S’il vous plaît, Nicolas Hulot et Elisabeth Borne, épargnez-nous demain ces discours technocratiques et désincarnés dont on ne peut plus, parlez simple et vrai, improvisez au besoin, agissez…

Montréal souffre des inondations, et presque pas d’accusations contre les politiques qui n’auraient pas su prévoir. Imagine-t-on BFM TV, dans une situation pareille, ne pas surfer sur la vague d’une inévitable responsabilité des dirigeants ? «Nous sommes convaincus que le changement climatique provoque ce genre de phénomènes», a affirmé au contraire le maire Denis Coderre, résolument engagé dans l’électrification des transports (il est vrai très facilitée par le coût réduit et la disponibilité de l’énergie hydroélectrique), mais aussi dans une réforme de gouvernance ambitieuse. Un peu plus tôt, il avait lancé, ponctué par les applaudissements de la salle : «We build bridges not walls !» Hey Donald, did you understand?

Ni emballement ni macronmania, juste l’évidence qu’il était temps de réagir ici, en France, à l’inexorable progression des intolérances et des solutions démagogiques, comme remèdes à nos vrais problèmes. Nos amis canadiens ne s’y trompent pas. La scène se passe dans un restaurant franco-québécois, à deux pas de l’Hôtel de Ville, où l’on choisit d’éviter la Poutine, qui est à la gastronomie québécoise ce que Marine Le Pen est à la politique française : un mets bien indigeste, manquant singulièrement de finesse. De quoi parlent avec emphase ces quatre convives? D’Emmanuel Macronne (avec l’accent anglophone). On jure qu’ils n’ont pas parlé de Hollande en 2012 et Sarkozy en 2007. Un peu de fierté, forcément : voilà que nos flagellations et les drames de ces dernières années laissent brutalement la place au mouvement, à une forme d’espérance qui interpelle nos cousins québécois de Montréal. Diantre… France is back? G. D.

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