MobiEdito – 8 décembre 2023

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par Gilles Dansart


Clause maison

En octroyant de fait à la seule RATP, par un décret du 30 novembre dernier, une aide «Covid» de 50 millions d’euros grâce à des critères sur mesure, l’Etat abîme sa neutralité auprès des opérateurs et des collectivités. Il ridiculise une HATVP qui n’avait pas eu le courage de s’opposer à la nomination de l’ancien Premier ministre Jean Castex à la tête de la RATP.

Au Journal Officiel du 30 novembre dernier, un décret, n° 2023-117, «portant création d’une aide pour les services réguliers de transport public de personnes routiers et guidés urbains particulièrement affectés par la crise sanitaire de 2020». «Chouette, l’Etat compense enfin !», se réjouissent quelques DGS quand même étonnés de découvrir la bonne nouvelle sans avoir été avertis par les organisations professionnelles. Ils vont vite comprendre pourquoi.

En réalité, seule une entreprise pourra percevoir cette aide, du fait d’une succession de clauses, dont la plus restrictive est ainsi rédigée: «Sont éligibles les entreprises […] qui présentent un chiffre d’affaires dont le montant est supérieur à quatre milliards cinq-cent millions d’euros sur les activités réalisées sur le territoire français durant la période comprise entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2020.» Une telle entreprise, il n’y en a qu’une : la RATP !

L’Etat, dans le plus grand secret, a fait l’effort de déguiser l’attribution discrétionnaire de 50 millions d’euros à l’entreprise publique dont il est actionnaire à 100%. Les artifices des critères d’éligibilité ne trompent personne. Le Gart dès jeudi matin s’émeut que les AOM soient écartées du dispositif au profit «d’une seule entreprise», l’UTP embraie ce vendredi avec une lettre envoyée à la Première ministre Elisabeth Borne : «Il nous paraît absolument nécessaire d’augmenter substantiellement l’enveloppe de l’aide et d’élargir les critères, afin de pouvoir l’étendre à tous les opérateurs du secteur», écrit la présidente Marie-Ange Debon.

Le ton est ferme, mais sur le fond c’est encore assez cordial et conciliatoire. Aucune des deux organisations ne cite nommément la RATP, ni ne qualifie juridiquement les conditions d’attribution de cette aide. L’aspect discriminatoire est pourtant dans toutes les têtes, malgré les précautions d’écriture du décret, probablement dues au précédent des aides d’Etat en faveur de Fret SNCF. Désormais, l’Etat habille ses turpitudes pour ne pas s’exposer aux foudres européennes. Entre le bras d’honneur et le mépris, choisissez.

Cette affaire est à la fois pitoyable et révélatrice.

Pitoyable, que l’Etat français en soit réduit à de telles pratiques pour donner 50 millions d’euros (50 petits millions !) à la RATP, qui vient d’en recevoir 293 millions (sur 2023 et 2024) de la part de son autorité organisatrice IDFM (lire Mobitelex 434) «pour que ses collaborateurs ne se sentent pas découragés (sic)».

Révélatrice du retour d’une raison d’Etat à rebours de l’équité concurrentielle et d’une modernité de la gouvernance publique. Pour sauver la RATP et ses comptes, six mois avant les JO, tous les moyens sont bons.

Co-signé par Elisabeth Borne et Clément Beaune, ce décret est aussi la manifestation la plus éclatante du complet discrédit de la HATVP (Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique), qui avait émis un avis favorable à la nomination de Jean Castex à la tête de la RATP en octobre 2022 avec quelques réserves (lire Mobitelex 390). Réserves vite oubliées, interprétées par son président Didier Migaud de manière «très souple», et conditions d’application jamais vérifiées malgré d’évidents signes de rupture d’étanchéité. Avec ce décret, et encore davantage du fait de son probable silence, les masques sont tombés : objectivement complice d’un conflit d’intérêt, la HATVP devrait être rebaptisée HADP, la Haute Autorité du Discrédit Public, ou de la Duplicité Publique – là aussi on vous laisse choisir.

Manifestement très remontée contre ce décret alors même que la RATP en est adhérente, l’UTP ira-t-elle jusqu’à une action en contentieux ? Se contentera-t-elle de quelques mesures de consolation ? Quelle attitude adoptera la Première ministre ? Une conciliation ou un redoublement de mépris ?

Décidément, cette majorité politique a priori libérale n’en finit plus de se comporter comme le plus colbertiste des exécutifs, à contresens du renforcement d’une gouvernance équitable des marchés publics. Faut-il s’attendre à davantage encore pour aider l’ancien Premier ministre Jean Castex à sortir la RATP de la crise ? Par exemple, une interruption du processus de mise en concurrence du métro et du RER, longuement négocié à Bruxelles il y a presque vingt ans ?

Dans le grand bazar d’un pouvoir macroniste aux abois, obnubilé par les Jeux Olympiques et mis sous pression par son ancien Premier ministre, tout est désormais possible.

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