Mobitelex 223 – 26 juin 2018

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Mobitélex. L'information transport

La lettre confidentielle de Mobilettre

ADP : silence, on privatise?

Finalement, c’est oui. Oui à ce qui était devenu un serpent de mer au fil des années, la privatisation d’ADP. Bercy, qui a besoin de se refaire après ce qu’il a dû céder sur le ferroviaire (lire Mobizoom 69), a donc obtenu gain de cause, malgré les tensions sociales actuelles, des personnels d’Air France attentifs au modèle économique de leur compagnie et les questions de fond soulevées par une telle opération. Des garde-fous, encore bien flous, sont prévus pour calmer les inquiétudes. Mais comme il y a quinze ans, au moment de la privatisation des autoroutes, l’annonce ne suscite guère de controverses publiques. Et pourtant…

La mise en garde de l’IATA

Alexandre de Juniac: «Les recherches de l’IATA démontrent que les aéroports du secteur privé sont plus onéreux»

Au début du mois, à l’occasion de leur assemblée générale, dans une résolution adoptée à l’unanimité, les membres de l’IATA ont à nouveau enfoncé le clou: ils demandent aux gouvernements de « donner la priorité aux avantages économiques et sociaux à long terme que procurent les aéroports efficaces, plutôt que de rechercher les gains financiers à court terme résultant de privatisations mal pensées.» Le directeur général de l’IATA, Alexandre de Juniac qui, en tant qu’ancien président d’Air France a un regard acéré sur la situation hexagonale, fut encore plus explicite: « La vente des actifs aéroportuaires en vue d’obtenir à court terme une injection de fonds dans le trésor public est une erreur. (…) Les recherches de l’IATA démontrent que les aéroports du secteur privé sont plus onéreux. (…) Une réglementation efficace est essentielle pour éviter les abus de la part des aéroports, en particulier lorsqu’ils sont exploités à des fins lucratives par des intérêts privés », a déclaré Alexandre de Juniac qui a aussi fait remarquer que cinq des six aéroports les mieux notés par Skytrax sont exploités par le secteur public.

Les critiques du SNPL sur la double caisse

Déjà au printemps, lorsque les premiers éléments de la loi Pacte avaient filtré, le puissant syndicat national des pilotes de ligne d’Air France, le SNPL, mettait en garde : la privatisation d’ADP « serait un très mauvais signal pour la relance du pavillon aérien français. (…) Nul doute qu’une fois l’entreprise privatisée, la recherche du profit pour les seuls actionnaires d’ADP en sera d’autant plus exacerbée et la juteuse cagnotte de la double caisse pérennisée, avec pour corollaire l’aggravation du poids des charges et des taxes qui pèsent depuis des années sur les compagnies aériennes et sur les passagers. Souvenons-nous des effets négatifs pour les usagers de la privatisation des grandes autoroutes françaises. » Et un rappel : « Les redevances de la plate-forme de Londres Heathrow n’ont jamais été aussi élevées que depuis sa privatisation, faisant d’elle la plus chère d’Europe… au contraire de celles d’Amsterdam Schiphol qui sont en constante baisse. »

Les précautions de l’Etat

Pour prévenir la dérive des coûts, l’Etat prévoit de maintenir un contrat de régulation

A l’évidence, le ministère des Transports a entendu ces alertes et aurait obtenu gain de cause auprès de Bercy pour éviter la privatisation «à l’autoroutière». Elisabeth Borne qui, avec le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler, a négocié les contrats de concession, est bien placée pour juger des avantages mais aussi des inconvénients du système, selon le côté duquel on se place. Toujours est-il que le ministre de l’Economie Bruno Le Maire, lui aussi concerné puisqu’au cabinet du Premier ministre Dominique de Villepin lors du lancement de la privatisation des sociétés d’autoroutes, l’a promis : toutes les précautions seront prises. Dans un entretien à notre confrère les Echos du 12 juin, il l’assure. En premier lieu, parce qu’«au terme d’une période de 70 ans, l’Etat recouvrera la propriété de tous les actifs dont le foncier. C’est une amélioration majeure car actuellement les actifs sont la propriété de l’entreprise seule et non de l’Etat.» Quant au risque de dérive des coûts, il est prévu de « maintenir un contrat de régulation entre ADP et l’Etat». Ce contrat qui sera conclu tous les cinq ans fixera en particulier le niveau des redevances aéroportuaires. S’il y a désaccord, c’est l’Etat qui fixera lui-même les redevances. Et dans le contrat de régulation, « l’Etat pourra aussi prescrire certains investissements nécessaires au service public aéroportuaire.»

Nous verrons bien. Le président de l’IATA met clairement en garde: « A ce jour, nous n’avons pas vu de privatisation aéroportuaire qui ait rempli à long terme toutes ses promesses ». A la France de lui donner tort… et à Mobilettre de rester attentif à la suite.

COMMENTAIRE

Un actif non stratégique?

Dans l’indifférence quasi générale la France s’apprête à privatiser un fleuron national, un monopole de fait dont l’exposition au risque concurrentiel est quasi nulle. Ses trois aéroports parisiens, Roissy, Orly et Le Bourget vont faire l’objet d’une acquisition majoritaire, très probablement par Vinci. Ils ont même été rangés au rayon des «actifs non stratégiques» (sic) par Christophe Castaner, délégué général d’En Marche, jeudi 21 juin sur France Inter. Plus c’est gros, mieux ça passe.

Un actif non délocalisable ne serait donc pas stratégique. Etonnante conception, qui appliquée à ADP interroge d’autant plus que la situation hyper concurrentielle du transport aérien nécessiterait que l’Etat se penche sur le modèle économique des aéroports, de façon notamment à aider une compagnie nationale, Air France, qui n’est pas menacée uniquement par l’inflexibilité des pilotes. Mais il n’y a pas que ça, il ne faudrait pas oublier l’intérêt et les droits du passager. L’exemple de Blagnac à Toulouse, où les nouveaux actionnaires chinois ont imposé un long parcours commercial au client de manière à augmenter leurs recettes, devrait inciter l’Etat à davantage de mesure et de fermeté.

Pourquoi l’Etat échoue-t-il à réguler avec efficacité certains gestionnaires d’infrastructures (hier les sociétés d’autoroutes, aujourd’hui ADP), et se condamne-t-il à en abandonner la propriété?

On ne dit pas qu’aujourd’hui tout va pour le mieux avec les gestionnaires publics. Vinci gérera d’ailleurs certainement très bien les aéroports parisiens, sans doute même mieux qu’ADP dont la pertinence de certains aménagements et les performances économiques laissent à désirer. Mais il faudrait se poser la question essentielle: pourquoi l’Etat échoue-t-il à réguler avec efficacité certains gestionnaires d’infrastructures (hier les sociétés d’autoroutes, aujourd’hui ADP), et se condamne-t-il à en abandonner la propriété? En l’occurrence, manifestement, l’appât du gain est plus fort qu’une gouvernance révisée des aéroports.

On entend les précautions prises avec la promesse d’un contrat quinquennal de régulation et le retour du patrimoine foncier à l’Etat à échéance de 70 ans. Mais quelles sont les garanties apportées? La menace que l’Etat peut se fâcher en cas de désaccord? Cela fait longtemps que l’Etat ne fait plus peur aux acteurs économiques, en dehors du spectacle médiatique. Et rien ne dit qu’il se résoudra à mettre en place un régulateur indépendant doté des pouvoirs nécessaires.

On a lu avec intérêt le rapport du sénateur Capo-Canellas sur le contrôle aérien (Mobilettre y reviendra): «La situation actuelle du contrôle aérien français est inquiétante de par l’obsolescence de ses systèmes qui, si elle ne pose pas de problème de sécurité, crée de nombreux retards et conduit la France à être pointée comme un élément bloquant du Ciel unique européen.» Rien à voir avec les aéroports? Budgétairement parlant, c’est vrai, mais on aurait pu imaginer comme justification d’une privatisation l’affectation d’une partie des milliards engrangés à la modernisation des systèmes de contrôle aérien. Après tout, l’attractivité des aéroports parisiens dépend aussi de la performance des trafics.

Mais le dogme absolu de la non affectation des recettes continue à faire des ravages. De la même manière que le pactole de la privatisation des autoroutes n’a laissé aucune trace dans l’économie française, celui de la privatisation d’ADP disparaîtra dans des aides dispersées, certes regroupées au départ dans un fonds pour l’innovation, mais dont on doute depuis longtemps de l’efficacité réelle.
G. D.


Paris: la fin d’Autolib n’est pas
la mort de l’autopartage

Il fallait bien en finir, car les chiffres sont impitoyables: pourquoi et comment perpétuer un service aussi coûteux que celui dévolu à Bolloré pour un bénéfice collectif aussi faible? 300 millions d’euros de déficit au bas mot, ce n’est pas rien. Certes, les véhicules gris (et de plus en plus sales au fil du temps) ne polluaient guère, et rendaient un service réel à de nombreux Parisiens. Mais leur contribution à la dépossession du véhicule individuel restait marginale, et leur intégration à l’offre globale de mobilité très faible. Dommage pour ses adeptes, mais si le Velib a participé à un autre partage de la voirie, s’est imposé comme un élément d’une multimodalité féconde et a même poussé à une certaine démotorisation, Autolib est resté dans son créneau étroit, voire même a ramené des Parisiens du transport public vers la voiture.

La fin d’Autolib est-elle donc la mort de l’autopartage? C’est peut-être avant tout la fin d’une prétention, celle de collectivités qui se trompent de rôle. Faut-il piloter directement des services innovants et des pratiques vertueuses via des procédures rigides (les DSP), ou au contraire encourager des écosystèmes dynamiques tout en réglementant leur usage, notamment du point de vue du partage de la voirie?

Le concept du vélo en libre service dans des stations a démontré son efficacité, vouloir le copier pour l’usage de l’automobile fut probablement une erreur de la part de la collectivité qui doit aujourd’hui mettre fin à l’aventure pour d’évidentes raisons financières. Peut-elle changer de pied et encourager désormais des solutions plus souples et efficaces, aussi bien en free floating qu’en boucle?

«L’autopartage, qui s’inscrit dans les nouvelles formes de mobilité, contribue à rendre la ville plus agréable, lorsqu’il incite à réduire l’usage de la voiture au bénéfice des modes alternatifs», écrivent pour Mobilettre Jean-Baptiste Schmider, PDG du réseau Citiz, et Bruno Gazeau, président de la Fnaut, qui ajoutent: «S’il est ainsi conçu, il en résulte une réduction de la motorisation, de la place dévolue à la voiture, de la congestion, et de la pollution de l’air.» Chiche? Mais à quelles conditions? Comment l’autopartage peut-il prétendre à une offre suffisante en nombre et attractive? Nous publions leur tribune ci-dessous, qui est autant une lettre ouverte aux élus urbains à la recherche d’offres nouvelles qu’un plaidoyer pro domo pour les «pure players» de l’autopartage.

TRIBUNE

Autopartage(s): un autre modèle est possible

par Jean-Baptiste Schmider, PDG du réseau Citiz
et Bruno Gazeau, Président de la FNAUT

«L’annonce de la fin d’Autolib pose légitimement la question du modèle économique de l’autopartage, de sa pertinence et de sa pérennité. Pour autant, tous les modèles d’autopartage n’ont pas le même modèle économique, ni les mêmes vertus environnementales et il nous semble nécessaire de les clarifier.

Efficience du service et appropriation par l’usager
Concentrons-nous sur l’essentiel : l’usager, la qualité du service qui lui est rendue et la contribution positive du service au bien vivre dans nos villes. La vraie question est celle de l’efficience, c’est-à-dire l’impact des contributions positives rendues à la collectivité au regard du financement demandé.

Avec Mobility en Suisse, Communauto au Canada, Cambio ou Stadtmobil en Allemagne, l’autopartage existe depuis maintenant trente ans en Europe et en Amérique du Nord. Initié par Citiz depuis près de vingt ans en France, il a trouvé un modèle économique équilibré et pérenne pour offrir une alternative à la voiture particulière, et permettre aux habitants de se démotoriser (à savoir de se débarrasser de leur voiture particulière, leur second véhicule, voire même leur premier véhicule en zone urbaine). Le rôle de ces « pure players » de l’autopartage (c’est-à-dire des entreprises dont c’est la seule activité et qui sont indépendantes) montre qu’il existe un modèle économique rentable. Parfois, comme Mobility en Suisse ou Citiz en France, ces entreprises sont même des coopératives issues de l’économie sociale et solidaire et dédiées à l’autopartage. Elles appartiennent principalement à leurs clients ou se sont développées en multi-sociétariat, avec des partenaires locaux, notamment les collectivités. Ces sociétés sont non revendables et non délocalisables, et développent donc leur service et l’emploi sur le territoire.

L’autopartage, outil complémentaire de la mobilité collective
Ces sociétés se sont développées principalement autour de l’autopartage en boucle – qui propose l’emprunt et la remise d’une voiture sur un même emplacement réservé ou « station », permet l’anticipation et garantit la réservation. Ce service s’intègre davantage au système de mobilité qu’il vient compléter et enrichir. En effet, il est utilisé pour des trajets périurbains (la réservation moyenne est d’une ½ journée et environ 50 kms) en complémentarité avec la marche à pied, le vélo et les transports en commun pour les déplacements en ville. Il conduit à la démotorisation et à un changement des comportements de mobilité permis par le passage de la propriété à l’usage. C’est un service qui est donc bon à la fois pour le portefeuille et la santé, ainsi que pour l’espace public et la planète.

Autre avantage, l’autopartage en boucle permet un gain d’espace public très important puisqu’une voiture partagée remplace dix voitures particulières et fait gagner neuf places de stationnement, comme le rappelle une étude 6t-Ademe de 2016.

De son côté, l’autopartage dit « en free floating » est un fort vecteur d’image, nécessaire mais pas suffisant. En effet, ce système très en vogue qui permet de prendre et redéposer la voiture n’importe où sur une place en voirie dans un périmètre donné ne conduit pas autant à la démotorisation, et à une moindre complémentarité des modes. En revanche, il permet un déploiement plus rapide, par sa facilité d’usage.

Quel modèle d’avenir ?
Il ne s’agit pas d’opposer les deux services mais de rappeler aux collectivités que l’autopartage en boucle a toute sa place dans le bouquet de mobilité à côté du free floating. C’est d’ailleurs ce que propose Citiz, qui a développé des offres d’autopartage en free floating dans cinq villes de France, sous la marque «Yea!», en complément des offres en boucle.

Pour l’autopartage comme pour toutes les nouvelles mobilités, il n’existe pas de modèle d’organisation universel, ni d’acteur unique, susceptible de faire émerger les nouvelles mobilités en évitant l’anarchie. Le modèle devra être adapté en fonction du territoire et de son potentiel, ainsi que des acteurs susceptibles d’y opérer, mais surtout rechercher la complémentarité des offres et leur intégration dans un bouquet de solutions, seul susceptible de concurrencer la voiture en solo.

A ce titre, il nous semble que le modèle coopératif développé entre autres par le réseau Citiz, qui propose aujourd’hui plus de 1200 véhicules partagés par 40’000 utilisateurs dans 100 villes en France, présente plusieurs avantages pour les collectivités. Ses sociétés ancrées localement, avec une gouvernance partenariale et démocratique associant usagers et partenaires, où la finalité est davantage la recherche du bien commun que la lucrativité ou l’effet d’image, semblent être la meilleure garantie d’un service d’autopartage adapté aux besoins tant des collectivités que des citoyens.»

Grève SNCF: les premiers chiffres
de l’aide aux voyageurs

Est-ce la conséquence d’une situation tellement urgente et inédite, ou d’une nouvelle sobriété dans la communication? Depuis le déclenchement de la grève dite «2 sur 5» début avril, l’important dispositif d’aide aux voyageurs mis en place par la SNCF n’a fait l’objet d’aucune dénomination particulière. Ni «Plan 100% usagers» ni «Opération SOS Train»s: la priorité était clairement à l’action tous azimuts sur le terrain (information, production, dédommagement, compensations) plutôt qu’au marketing de la mobilisation, afin de limiter les désagréments au quotidien et de minorer les ressentiments.

D’où un étrange sentiment partagé par de nombreux Français, sur l’efficience des informations délivrées et une certaine régularité des trains en circulation – Mobilettre a d’ailleurs déjà évoqué l’influence positive de la tension du résultat à obtenir sur l’exploitation ferroviaire. Mais encore fallait-il évaluer à la fois l’impact et l’ampleur des mesures et des déploiements décidés par Guillaume Pepy, orfèvre de la gestion de crise, et ses équipes.

Pascal Perri: «La SNCF a répondu à l’attente des voyageurs pour une information sincère, homogène et accessible, diffusée sur tous les supports disponibles»

L’économiste Pascal, qui s’est vu confier une étude synthétique d’une douzaine de pages que nous avons consultée, dresse d’abord un bilan largement positif de la mobilisation des personnels SNCF, aussi bien en matière d’information («la SNCF a répondu à l’attente des voyageurs pour une information sincère, homogène et accessible, diffusée sur tous les supports disponibles») qu’en termes de production («l’effet de longue traîne ne s’est pas produit»). Du coup, près de la moitié des Français (46%) interrogés par l’Ifop du 8 au 11 juin se sont montré satisfaits des mesures mises en place les jours de grève; 51% ont apprécié les SMS et mails envoyés en amont des circulations.

Car il y en a eu, des messages envoyés… Les chiffres du dispositif de prise en charge sont spectaculaires: 100000 SMS envoyés les jours de grève, 1,75 million de mails en avril et en mai, 7200 TGV en circulation… et 19 candidats au baccalauréat pris en charge en taxi dans les Hauts-de-France et en Nouvelle Aquitaine. Côté mesures compensatoires et remboursements, aussi bien sur TER et Transilien que pour les TGV, les Ouigo et les Intercités, la somme finale (pour l’instant évaluée au 15 juin) est également impressionnante: 301 millions d’euros! Attention, il ne s’agit pas du coût total de la grève pour la SNCF, car celui-ci devrait aussi inclure les ventes perdues, les dépenses annexes, les péages de fret non perçus etc. Selon de premières évaluations internes, il pourrait atteindre 500 millions d’euros.

Il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences de cette grève sur les intentions de déplacement des Français. Mais à la lecture de ces chiffres à chaud, on mesure la stratégie développée par les dirigeants de la SNCF: préserver l’avenir et l’attractivité du train, calmer les autorités organisatrices. 300 millions d’euros pour limiter les conséquences au quotidien et indemniser à des niveaux très acceptables, c’est donc le prix à payer pour entretenir l’espoir d’une forme de rédemption ferroviaire.


Car Postal se désengage de la France:
suites et conséquences

Nous le révélions il y a deux semaines (lire Mobitelex 222), La Poste suisse a demandé à sa filiale Car Postal de cesser ses activités en France; c’est l’une des conséquences du scandale des subventions indues perçues auprès des collectivités locales suisses, qui semblent d’ores et déjà dépasser les 90 millions d’euros avant même un complément d’investigation sur les années 2015 à 2017.

Le communiqué de presse de Car Postal France, en plein salon Transports Publics 2018 à Paris, fut plus prudent: «La direction générale examinera aussi l’option d’une éventuelle cession de CarPostal France.» On comprend la situation: plus de mille employés probablement inquiets, des collectivités surprises et incrédules, et un réseau, Bourg-en-Bresse, en plein appel d’offres de renouvellement! Il ne faudrait pas que la valeur de l’entreprise soit trop affectée. Mais les appétits que sa probable prochaine mise sur le marché aiguise déjà chez les opérateurs concurrents et certains ifonds d’investissement devraient rassurer les actionnaires suisses, qui comptent bien à cette occasion récupérer les avances en compte courant consenties à leur filiale française.

Cette aventure suisse avortée en France pose questions sur la façon dont certaines autorités organisatrices mènent leurs appels d’offres

Mais cette aventure suisse avortée en France pose aussi quelques questions sur la façon dont certaines autorités organisatrices mènent leurs appels d’offres. Analysent-elles suffisamment l’origine de réponses spectaculairement moins-disantes? Se garantissent-elles contre les pratiques trop systématiques d’avenants au contrat initial?

Pour Alain-Jean Berthelet, patron d’une PME rhône-alpine et président de Réunir, qui espère gagner la dernière manche de son combat judiciaire contre Car Postal l’automne prochain, «il est nécessaire que soit faite la démonstration de la capacité réelle à délivrer selon les critères requis et au prix promis. Le déclaratif ne doit pas suffire.» On pense aussitôt à la dernière polémique en date, à Paris: le syndicat métropolitain a-t-il cherché à vérifier en amont la capacité industrielle de Smovengo, mieux-disant, à délivrer le service promis de Vélib 2?

Les PME locales et régionales craignent aussi d’être marginalisées dans des compétitions où les lots sont de plus en plus gros, et les cahiers des charges de plus en plus sophistiqués. Même si elles mutualisent certains process, en matière juridique, numérique ou d’achat de matériel, leur principal atout réside dans leur connaissance des territoires et leur ancrage industriel. Logiquement, Alain-Jean Berthelet en appelle à une moralisation des pratiques: «Il ne suffit pas de gagner pour délivrer un service de qualité au prix affiché», dit-il à l’attention de ses collègues. On a envie d’ajouter: il faudrait aussi que les autorités organisatrices se montrent raisonnables dans leurs objectifs, respectueuses des faisabilités industrielles et des réalités économiques, notamment en matière de transition énergétique.


Transports Publics 2018

De l’ancien au nouveau monde?

Le crû 2018 ne restera pas dans les annales. Non pas que les organisateurs, le Gart et l’UTP, réunis au sein du GIE Objectif Transport Public présidé par Frédéric Baverez, aient manqué à leurs devoirs. Que pouvaient-ils au calendrier? Encore une grève cheminote en plein salon, comme en 2016, et toujours autant de questions en suspens que la ministre n’a pas pu lever, étant donné le calendrier glissant de la LOM (loi d’orientation sur les mobilités). Car la volonté réformatrice du gouvernement, vigoureusement lancée en septembre avec les Assises de la mobilité et confirmée en ce printemps par la loi sur le ferroviaire, crée des attentes fortes, après tant d’années d’atermoiements. Quand et comment va-t-on vraiment entrer dans un nouveau monde de la mobilité pour tous, connectée, individualisée, efficace, on en passe des promesses et des meilleures?

Venue au salon le mercredi 13 juin, Elisabeth Borne a certes dévoilé sa stratégie en matière de data, mais c’est sur bien d’autres sujets que l’Etat est principalement attendu: la gouvernance, le financement, l’innovation, la transition énergétique, les modes doux… Les partenaires de l’élaboration de la loi, qui n’en finit plus d’être modifiée et mise au point, affinée voire allégée, ont beau se montrer satisfaits du processus, il va falloir encore un peu de patience avant de lire le texte soumis au conseil des ministres et au conseil d’Etat…

En attendant, plusieurs débats ont permis aux professionnels d’échanger devant des assistances nombreuses sur les grands sujets du moment: le digital, le Mass, le Grand Paris, la sûreté etc, mais aussi le ferroviaire auquel était réservée la journée du jeudi. Nous avons choisi d’évoquer plus particulièrement la conférence plénière de clôture, consacrée aux questions de financement: elle révèle tout particulièrement la difficulté à passer d’un ancien monde finalement pas si gris à un nouveau monde pas si rose…

CONFERENCE PLENIERE

Du contribuable à l’usager payeur

Ou comment passer du financement des infrastructures de transport au financement des services.

D’emblée, l’universitaire Yves Crozet a eu le mérite de synthétiser la problématique posée par la table ronde sur le financement des infrastructures de transport. Dans «l’ancien monde», où dominent les grands projets, le contribuable finance aux trois quarts les infrastructures. Dans le «nouveau monde», on glisse des infrastructures aux services et pour les financer il faut rééquilibrer la part payée par l’usager. C’est ainsi que se développe le modèle de «l’usager-payeur».

Les limites du modèle ancien, on les connaît: ce sont les limites des ressources. Les possibilités du «nouveau monde », elles, sont encore en gestation. Du coup, on a parlé Versement Transport (le futur Versement Mobilité de la LOM) pour en souligner à la fois la nécessité et les effets pervers : il n’incite pas à faire des efforts de productivité (Marc Delhayer) et s’il devait conduire à la gratuité, comment le justifier auprès des entreprises (Jean-Pierre Farandou) ? On a parlé TICPE et Taxe carbone – la TICPE dont l’Etat capte une bonne partie et dont la moitié va au développement économique des Régions ou aux actions sociales des Départements (Valérie Lacroute). De cette fiscalité qui nécessiterait que l’on remette de l’équité entre les modes, les populations et les territoires (Marie Chéron). De la différence entre taxe et redevance, la première étant payée par le contribuable, la seconde par l’usager.

Dans le «nouveau monde», il faudrait flécher les financements sur l’existant, routes et rails, et se rapprocher d’une tarification de la vraie valeur du service, payée par l’usager mais sans oublier la modulation des tarifs sociaux (Roland Ries). Les exemples internationaux montrent que des tarifications plus proches des coûts d’usage sont possibles, y compris en agissant sur la rente foncière comme cela se pratique à Montréal (Mohamed Mezghani).

Après, il faut une volonté politique car l’ancien monde, avec la «douleur diffuse» de la taxe pour le contribuable, reste finalement assez confortable. Il n’est pas certain que la LOM sorte de cette logique. Il ne suffira pas de consacrer un titre aux modes doux et aux mobilités actives pour changer le logiciel.

Précédente publication de Mobilettre

Mobizoom 69: SNCF, dix-huit mois à hauts risques

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