Mobitelex 370 – 15 mars 2022

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Questions d’ambition

La nouvelle donne géostratégique mondiale va-t-elle modifier les politiques de mobilité et les programmes d’investissements? Puisque le pétrole et le gaz pourraient être durablement plus rares et/ou plus chers, une accélération de la décarbonation semble s’imposer. Prudence quand même: le monde devait changer radicalement après la crise de 2008…

Tout est prêt. Le rapport du COI (conseil d’orientation des infrastructures) que nous nous sommes procuré (lire ci-dessous), propose trois scénarii à la future majorité, dont les dénominations sont délicieuses: «ambition de base», «ambition sélective» et «ambition maximale». La future majorité déclenchera-t-elle une révolution des investissements équivalente à celle de nos voisins allemands et italiens?

«Au-delà de ce noyau dur (NDLR l’ambition de base), les propositions du COI chercheront, dans deux autres scénarios gradués en ambition, des accélérations techniquement possibles et des réponses équilibrées selon les expressions de besoin des territoires et aux ambitions nationales et européennes concernant le développement de grandes infrastructures nouvelles», écrivent les auteurs. C’est éminemment prudent, mais la porte est ouverte à une nouvelle politique d’envergure.

Les intentions-ambitions des candidats seront logiquement scrutées à la loupe d’ici le premier tour de la présidentielle, à commencer jeudi prochain lors du débat TDIE/Mobilettre, qui devrait livrer de premières indications. La suite du calendrier est connue: le discours de politique générale du futur Premier ministre, après les élections législatives. Quelques mois décisifs pour préparer un nouveau cycle? G. D.

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L’EVENEMENT DU 17 MARS

Un débat pour l’avenir des mobilités

Voici le programme des auditions du Grand débat Transports, jeudi prochain au Pavillon Gabriel à Paris (invitation ci-dessous).


  • Accueil à partir de 13h30
  • 14h: Introduction, avec Philippe Duron, Louis Nègre, Aurélien Bigo et Diane Strauss
  • 14h30 Philippe Tabarot, pour Valérie Pécresse
  • 15h: David Belliard, pour Yannick Jadot
  • 15h30: Jacques Baudrier, pour Fabien Roussel
  • 16h: Fabienne Keller, pour Emmanuel Macron
  • 16h30: Nicolas Dupont-Aignan
  • 17h: Olivier Jacquin, pour Anne Hidalgo
  • 17h30: Franck Briffaut, pour Marine Le Pen

Un même format pour tous: 15 minutes d’expression libre suivies de 15 minutes d’échanges avec Gilles Dansart, journaliste et directeur de Mobilettre, co-organisateur de l’événement avec TDIE.

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INFRASTRUCTURES

Le COI prépare les prochains quinquennats

Long de plus d’une centaine de pages, le rapport du conseil d’orientation des infrastructures (COI) présidé par David Valence répond à une commande de Jean-Baptiste Djebbari, afin de tracer «un bilan et des perspectives pour les infrastructures de transport.»

Très complet, le rapport du COI dont nous nous sommes procuré une version méritera un compte-rendu approfondi lors de sa sortie officielle. Mais d’ores et déjà, en pleine campagne électorale, il nous semble instructif à double titre: l’analyse faite du quinquennat qui s’achève, et l’annonce de trois scénarios pour l’avenir, c’est-à-dire pour un nouveau cycle très attendu d’investissements publics, sous le régime d’une décarbonation prioritaire. Voilà pourquoi nous en révélons quelques grandes lignes en exclusivité.

Un début de trajectoire de renforcement progressif des investissements…

S’agissant du bilan, les choses sont dites avec un certain sens de la formule, surtout dans les parties introductives: «En partie grâce aux crédits des plans de relance, le début de la trajectoire de renforcement progressif des investissements prévu par la LOM aura été respecté dans les années 2019-2022.» Un début de trajectoire d’un renforcement progressif, que la langue technocratique est précieuse… Quand on va un peu plus dans le détail, on a la confirmation que les routes nationales concédées et le fluvial s’en sortent plutôt bien, alors que pour le réseau ferroviaire, «les crédits de renouvellement sont restés très en deçà du niveau requis pour en rayer sa dégradation. […] L’investissement dans le renouvellement est encore très insuffisant. La modernisation (Commande centralisée du réseau, ERTMS) est extrêmement (sic) lente et loin de permettre d’être au rendez-vous des standards européens.»

Nouvelle acrobatie lexicale pour commenter l’aggiornamento sous Jean Castex de la doctrine Macron définie le 1er juillet 2017 à Rennes, en faveur d’une priorité absolue aux transports du quotidien. «Si les priorités de la LOM ont été respectées, plusieurs politiques publiques complémentaires (sic) y ont été ajoutées en cours de mandat», écrit le COI, mais un peu plus loin, le constat est plus net: «L’annonce de l’accélération des grands projets interurbains ferroviaires a marqué une rupture en cours de mandat.» A ce problème de cohérence s’ajoute un constat encore plus ennuyeux: le COI relève que «les projets estimés prioritaires par le COI 2018 et la LOM (désaturation des nœuds ferroviaires…) disposant de DUP n’ont que peu avancé, hormis Lyon-Turin, Canal Seine-Nord, Eole et le réseau du Grand Paris Express.»

En réalité, en faisant le bilan des investissements d’Etat, le COI s’est rendu compte à quel point les collectivités locales étaient devenues des moteurs majeurs de l’investissement: «Dans les comptes nationaux des transports, les investissements des administrations publiques locales (APUL) représentent le quintuple de ceux de l’Etat et des opérateurs nationaux», note-t-il. Conclusion, que les régions et autres agglomérations apprécieront probablement: «Le rôle des collectivités est croissant et le partenariat avec elles doit être revisité: le bilan de la LOM, qu’elles mettent en œuvre tout autant que l’État, ne peut être réduit au bilan de l’action de celui-ci.» Ton bon bilan, c’est aussi le mien…

Avis général, préparez-vous aux désillusions!

Passons à l’essentiel, à savoir la suite. Elle sera plus difficile qu’en 2018, avertit le COI, au regard de ce qui précède: «Même dans les scénarios les plus ambitieux financièrement, échelonner sur plusieurs décennies la réalisation de l’ensemble des projets reste une nécessité qui va demander un important travail de discussion pour être bien comprise et acceptée.» Avis général, préparez-vous aux désillusions! «Les écarts entre les attentes exprimées et le rythme actuel d’investissement, qui a pourtant bénéficié de l’effet de court terme des crédits de la relance, sont très élevés, et tout particulièrement dans le domaine ferroviaire.»

L’équation serait d’autant plus compliquée que de nouveaux secteurs demandent eux aussi des investissements significatifs: «Des réseaux pertinents et continus de pistes cyclables et de stationnements sécurisés, des offres collectives graduées du transport à la demande aux transports urbains, des pôles d’échange pour assurer la perméabilité, l’accessibilité et l’attractivité des gares, les infrastructures induites par la conversion des motorisations».

Malgré cela, le COI proposera trois scénario une fois que le futur gouvernement aura donné ses orientations stratégiques, aussi bien en termes de cadrage général qu’en matière de sources de financement… et de tarification de l’infrastructure ferroviaire. En phase avec l’ART, le COI demande à ce que soit «réétudié» le mécanisme de tarification de l’usage qui aboutit de fait à fragiliser les AOM qui veulent proposer davantage d’offre. Comme quoi, le malthusianisme ferroviaire des grands argentiers n’est peut-être pas une fatalité.

Trois scénarios donc, mais seul le premier, une «ambition de base», est connu. Le voici, dans une version encore non chiffrée, et précédée d’une sorte d’avertissement: «Ce scénario modère la dynamique des projets fortement générateurs de dépenses d’exploitation future, sélectionne de façon serrée les projets apportant le plus de valeur ajoutée et étale sur de longues durées la réalisation des grands projets ferroviaires interurbains. Il pourra si nécessaire être modulé en variantes.»

La poursuite des efforts d’amélioration du patrimoine routier, fluvial, portuaire et ferroviaire qui n’ont pas encore atteint le niveau souhaitable ;

La modernisation du réseau ferroviaire, qui va être de plus en plus sollicité, et de son exploitation, avec les technologies les mieux adaptées, le rythme actuel étant très insuffisant ;

Les mobilités actives qui ne bénéficient pas encore de réseaux d’infrastructure adaptés à leurs besoins, alors qu’ils sont souples et peu générateurs de coûts de fonctionnement ;

Le développement des services de mobilité sans couture ;

Les désaturations de nœuds ferroviaires les plus urgentes ;

Les infrastructures de fourniture d’énergie plus verte, tout en veillant à la pertinence de chaque technologie selon les besoins. Par exemple les installations de recharge des véhicules électriques (IRVE), les installations de production de distribution d’hydrogène vert, si leur pertinence se confirme, pour les trains, les autobus, etc… et les installations de production, de transport et de distribution d’énergies alternatives dans les ports maritimes et fluviaux ;

L’amélioration de l’offre de fret massifiée (ferroviaire et fluviale en cohérence avec les développements portuaires) en concordance avec les besoins des entreprises.

Cette «ambition de base» devrait donc être complétée par deux autres scénarios, estampillés «ambition sélective» et «ambition maximale», en fonction des indications fournies par le prochain exécutif. On voit difficilement comment un gouvernement pourrait se limiter à l’ambition de base, qui nous apparaît vraiment, comment dire… de base. Où sont les RER métropolitains? Les nouvelles gares multimodales? Les nouveaux terminaux fret?

On voudrait presque croire au miracle: qu’après vingt ans de rapports en tous sens et de compromis bancals, et un quinquennat globalement assez incohérent, la France trouve enfin la voie d’une programmation durable, à tous les sens du terme. Quelle stratégie adoptera le futur gouvernement? Benoît Poelvoorde, dans le film Podium, s’était exclamé: «Je choisis la solution offensive!» On verra ce qu’il en est après les élections législatives.


RESULTATS

Keolis: la profitabilité avant la croissance

Fin de l’aventure allemande, économies de structure, rigueur de gestion des contrats…

L‘année 2021 restera probablement celle du basculement pour Keolis, d’une recherche parfois éperdue de la croissance du chiffre d’affaires à l’émergence d’un modèle de profitabilité plus durable. Souvenons-nous: 2019, 10% de croissance à 6,5 milliards d’euros, mais 72 millions de pertes, notamment pour éponger quelques opérations hasardeuses. Si l’on met de côté 2020, année anormale, en 2021, c’est «seulement» 6,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires mais un résultat positif de 20 millions d’euros.

Plus question de gagner à n’importe quel prix, comme cela a pu être le cas dans le passé sur certains marchés, ou même de conserver des franchises structurellement déficitaires, comme en Allemagne: l’heure est à l’assainissement, y compris dans les budgets de fonctionnement, les coûts de structure et les relations avec les autorités organisatrices. En termes policés, cela donne: discipline financière renforcée, approche partenariale renforcée avec les pouvoirs publics, revue stratégique du portefeuille et développement commercial sélectif.

En attendant l’ouverture du marché francilien, il va falloir défendre Bordeaux et Lyon

Le retrait du marché ferroviaire allemand (plus de 200 millions d’euros annuels) ne se fera sentir dans les comptes qu’en 2022. Après la fin du contrat gallois, une deuxième source importante de revenus disparaît. «Je compte bien assurer le développement du chiffre d’affaires cette année!», a voulu rassurer la présidente du directoire Marie-Ange Debon, qui s’appuie sur un solde net global des appels d’offres en 2021 de 65 millions d’euros. Certes, les premiers résultats de l’ouverture des marchés d’Optile sont positifs, l’Australie et le Moyen-Orient (Dubaï) restent des territoires de conquête, mais en attendant les relais de croissance majeure que pourraient constituer l’exploitation des lignes de métro automatique du Grand Paris Express et l’ouverture des marchés franciliens de la RATP… et de la SNCF (les tram-trains, en association avec Transilien), il va falloir penser à défendre quelques bastions menacés. On pense évidemment à Bordeaux, fortement convoité par Transdev (résultat à la fin de ce semestre), et à Lyon, qui vient de révéler sa stratégie d’allotissement (un lot modes lourds, un lot bus et trolleybus, et la création d’une SPL pour la relation usagers et les parcs relais voitures et vélos).

La guerre Keolis-Transdev aura bien lieu. Même si les stratégies commerciales ne coïncident pas (Transdev a renoncé aux lignes du Grand Paris Express, du fait notamment de l’attribution du rôle de gestionnaire d’infrastructures à la RATP, et Keolis ne peut concurrencer sa maison mère SNCF sur les marchés TER), les terrains d’affrontement ne manqueront pas dans les années qui viennent entre deux groupes également convertis à la culture prioritaire de la profitabilité.


PUBLICATION

Thierry Mallet, le patron pédagogue

On s’attendait à un essai de plus d’un patron en quête d’image, c’est à un voyage très instructif au cœur de la mobilité que le PDG de Transdev s’est essayé.


On peut vous l’avouer, quand on reçoit le livre d’un homme politique ou d’un dirigeant d’entreprise en fonction, on ne se prépare pas franchement à une lecture sympa au coin du feu, un verre à la main. Des officines parisiennes se font une spécialité de ces «essais» financés on ne sait trop comment et complaisamment relayés – mais qui oublient souvent l’essentiel: pour qu’un livre existe vraiment, il faut qu’il ait des lecteurs.

Et pour qu’il ait un peu plus de lecteurs que les obligés du deuxième cercle, il faut qu’il soit accessible et instructif. Manifestement Thierry Mallet, qui s’est aidé de quelques collaborateurs depuis l’été dernier, a oublié les gênes d’une formation initiale légèrement prescriptrice (X-Ponts + diplôme Transport au MIT, «sinon j’aurais fait architecte») et s’est tenu à cette double ambition, dans le choix des sujets et la façon de les aborder. Une première partie d’acculturation évite heureusement le piège de l’approche techno et pontifiante, une deuxième vous emmène à la découverte de «solutions» partout dans le monde, de Bogota à Nantes en passant par Briis-sous-Forges, agrémentée de deux bons entretiens avec Hervé Le Bras et Cécile Maisonneuve.

En passant, le PDG de Transdev affirme tranquillement quelques credos, comme le rejet de la ville du quart d’heure (et plus généralement des concepts faciles) ou la nécessité d’adapter la mobilité à la ville (et pas l’inverse), sans céder à quelques polémiques du microcosme. Il se permet seulement en conclusion quelques recommandations plus classiques: le bassin de vie comme la bonne échelle de l’organisation des mobilités du quotidien, la nécessité d’un choc d’offres de qualité alternatives à la voiture individuelle, notamment dans les zones blanches et périphériques, et l’appel à toutes les bonnes volontés pour multiplier les propositions de services. Mais là n’est pas l’essentiel: dans un long voyage, ce sont les étapes qui comptent, plutôt que le point d’arrivée.

Lundi prochain le même Thierry Mallet présentera les résultats 2021 de Transdev. Les chiffres après les lettres.

Thierry Mallet, Voyage au cœur de la mobilité, ed. Le Cherche Midi, 192 p., 20€.


Décarbonation

Compagnies aériennes, des petits pas avant les grands

En attendant des avions plus économes et des carburants plus propres, une série d’optimisation des procédures peut améliorer le bilan carbone du secteur.

Pour réduire l’empreinte carbone de l’aérien, les principaux vecteurs à disposition aujourd’hui sont le renouvellement de la flotte pour des avions plus « économes » et le carburant durable deuxième génération. En ce sens, les mesures en discussion au niveau européen dans le cadre du paquet « Fit for 55 » sont primordiales (lire Mobitelex 364).

Pour autant, sans attendre un «grand soir» ni aller au rythme des négociations européennes qui, pour l’instant, ont les yeux davantage tournés vers l’Est, une politique des «petits pas» est accessible tout de suite ou presque. En «optimisant» les procédures en vol et au sol, on pourrait réduire jusqu’à 6% les émissions de CO2 du secteur aérien européen d’ici 2050. Deux rapports récents le détaillent: le rapport d’information de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, présenté par Jean-Luc Lagleize (Haute Garonne, MoDem) et Sylvia Pinel (Tarn-et-Garonne, Radical de Gauche) et le rapport de l’Institut Montaigne qui a pour titre «Aviation décarbonée: embarquement immédiat». En sus des réflexions intellectuelles, des expérimentations ont déjà eu lieu notamment dans le cadre du projet «Albatross» *. Air France a ainsi réalisé en septembre 2021 un vol «presque parfait» Paris-Toulouse.

L’optimisation en vol

Comme le souligne le rapport d’information de l’Assemblée nationale, « des solutions pour une gestion du trafic aérien plus respectueuse de l’environnement » sont « disponibles à plus ou moins brève échéance ». En dehors même du projet Albatross, on peut compter sur l’éco-pilotage: «La mise en place progressive du « Free Route Airspace » va permettre aux avions d’emprunter des routes plus directes. Ces derniers doivent normalement suivre des routes prédéfinies. Les « itinéraires libres » qui s’inscrivent dans le cadre du projet européen SESAR (Single European Sky ATM Research) permettent aux pilotes de choisir la trajectoire la plus optimale sans subir la contrainte d’une route préexistante, tout en conservant à ce stade des points d’entrée, intermédiaire et de sortie. Cela permet de réduire le temps de vol et donc d’améliorer les performances environnementales.» Pour les vols transatlantiques, la détermination des « portes d’entrée » dans l’espace européen est plus souple. Les contrôleurs aériens ont aussi une action déterminante en acceptant ou non des trajectoires plus directes ou au moins en arc de cercle, plutôt que des trajets brisés.

Le même rapport rappelle que depuis le 2 décembre dernier, 50% de l’espace aérien français à une altitude supérieure à 6000 mètres est converti en route libre, sur la partie ouest du territoire et qu’au niveau européen, l’objectif est un déploiement du « Free Route » sur l’ensemble du continent à horizon 2050.

Une autre piste explorée pour optimiser les routes, relève de son côté le rapport de l’Institut Montaigne, résiderait dans une utilisation flexible des espaces militaires. Certes, ce n’est pas vraiment d’actualité dans toute une partie de l’Europe en ce moment, mais le jour où la paix reviendra… « Si l’existence d’un espace aérien militaire oblige les aéronefs civils à la contourner, certains Etats ont pu mettre en place une utilisation flexible de cet espace aérien, en le confiant à la gestion du trafic aérien civil lorsqu’il n’est pas utilisé à des fins militaires et en permettant un acheminement beaucoup plus directs des avions civils, et donc une économie de carburant. » En France, le Corac (Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile) y travaille dans le cadre du projet « OC’TAVIE ».

Le ciel unique européen attendra encore un peu

Au niveau européen, le projet Ciel unique (SES 2+, Single Européen Sky version 2), en réduisant la fragmentation des espaces aériens européen permettrait lui aussi d’optimiser les trajets, donc de réduire la consommation. On évalue à 10% l’économie d’empreinte carbone qui pourrait être réalisée. A l’origine ce projet était fait pour accroître les capacités de trafic mais on s’est vite rendu compte qu’il pouvait aussi servir à l’environnement. Ce qui est dommage c’est qu’entre le dogmatisme de la Commission européenne et les crispations de certains Etats (la France, mais pas que), ce projet qui en est déjà à sa deuxième version semble à nouveau bloqué. L’interopérabilité de l’espace aérien et la mise en place de blocs d’espace aérien fonctionnels (les FABs) formés par accords entre Etats et visant la gestion de l’espace aérien en fonction des flux de trafic et non des frontières sont bel et bien des facteurs d’optimisation des vols, de même que le programme technologique SESAR de modernisation du système européen de gestion du trafic aérien (ATM), reposant sur la numérisation et l’automatisation. Si la Commission avait limité là ses ambitions, le projet serait sans doute déjà adopté. Mais elle a voulu y ajouter des dispositions touchant à la régulation : mise en place a minima d’un régulateur national indépendant, voire d’un régulateur européen et possibilité pour les Etats d’ouvrir à la concurrence le contrôle aérien. La France est particulière hostile aux dispositions touchant à la régulation. Il est vrai que nous sommes les mauvais élèves de la classe car ce n’est pas parce qu’une entité identifiée, la DSNA (Direction des Services de la Navigation aérienne), gère le contrôle aérien qu’il s’agit d’un régulateur indépendant. La DSNA est en effet sous tutelle de la DGAC, la Direction Générale de l’Aviation Civile, qui est à la fois juge et partie. Et encore, il a fallu une intervention du Conseil d’Etat pour donner naissance à la DSNA.

Autre levier fort d’optimisation : les procédures de descente. Elles consistent pour un avion à descendre de manière régulière plutôt que d’effectuer des paliers qui obligent à réajuster la poussée des moteurs et qui sont donc source supplémentaire d’émissions de CO2. A l’aéroport de Roissy, la généralisation des descentes continues serait prévue pour 2023.

La start-up toulousaine OpenAirlines a bien grandi au fil des années. Elle a développé, en partenariat avec Transavia, une technologie dite « SkyBreathe » qui permet d’analyser les données de vol pour trouver des solutions permettant des économies de carburant. Cette technologie a été adoptée par Air France en 2020 et 42 compagnies aériennes dans le monde utilisent aujourd’hui la technologie « SkyBreathe ». Selon le rapport de l’Assemblée nationale, grâce à cette technologie, la réduction de la consommation de carburant est estimée à 5%. A cette optimisation fondée sur une analyse de data s’en ajoute une autre développée cette fois par SafetyLine qui a mis au point des logiciels d’optimisation tant en préparation qu’en vol. Air France utilise ainsi le logiciel Optidirect pour optimiser la descente continue et déterminer les niveaux de vol. Sur les vols long courrier (10 heures ou plus), ce même logiciel permet d’adapter les différents paramètres en cours de vol, notamment la météo pour optimiser les consommations de carburant. A la phase de décollage, c’est OptiClimb qui permet d’optimiser : une expérience avec Transavia fait apparaître une économie de 80 kg de Kérosène à chaque montée.

A plus long terme, relèvent les rapporteurs de l’Assemblée nationale, les vols en formation constituent une perspective de navigation aérienne: « A l’image de ce qui est observé chez certains oiseaux migrateurs qui volent en « V », le principe est de faire voler des avions en formation pour que le ou les avions suiveurs puissent bénéficier du courant d’air ascendant créé par l’avion de tête. L’avion suiveur dispose dès lors d’une meilleure portance, en volant dans le sillage de l’avion de tête et cela permet une moindre consommation de carburant ». On évoque un gain de 6%. En novembre dernier, deux Airbus 350 ont ainsi volé en formation entre Toulouse et Montréal, ce qui aurait permis d’économiser 6 tonnes de CO2 (plus de 5%). Il s’agissait toutefois d’une expérimentation dérogatoire car en l’état actuel de la réglementation, ce type de vol n’est pas autorisé.

L’optimisation au sol

Bien que d’impact plus faible, l’optimisation au sol constitue un autre levier de performance susceptible de réduire l’empreinte carbone du secteur aérien.

Le même rapport d’information de l’Assemblée nationale rappelle que «les aéroports sont considérés comme responsables de 5% environ des Gaz à effet de serre imputables au transport aérien. (…) Un levier significatif de décarbonation des tarmacs réside dans la gestion de l’utilisation des groupes auxiliaires de puissance (APU), qui permet de fournir de l’énergie à un avion sans avoir recours aux moteurs de l’engin (alimentation des systèmes de bord, éclairage, climatisation)». A terme, l’utilisation des APU pourrait ne plus être nécessaire grâce à la mise en place d’infrastructure d’électrification dans les aéroports. Selon le rapport, «le groupe ADP indique, par exemple, que de tels moyens de substitution à l’utilisation des APU devraient être mis en place grâce à la mise à disposition de l’électrification de 100% des points de parking, au contact comme au large d’ici 2025. L’aéroport Toulouse-Blagnac est déjà intégralement équipé de groupes électriques 400 hertz (Hz) permettant aux avions de ne pas utiliser leurs APU.»

L’électrification des véhicules de piste permettrait également de réduire les émissions de gaz à effet de serre et le bruit dû à leurs moteurs thermiques. « Air France dispose déjà d’un partenariat avec la société Carwatt pour le remplacement des véhicules thermiques par une motorisation électrique, issue du recyclage. Le groupe disposait de 58% de véhicules de piste électrique en 2020 et compte atteindre une proportion de 90% d’ici 2025, ce qui permettrait d’éviter l’émission de 10.000 tonnes de CO2 ». De son côté, ADP compte atteindre les 100% de véhicules électriques ou hydrogène d’ici 2030, indique le rapport.

Le roulage des avions peut aussi être plus «vert». Elémentaire, mais on peut tout d’abord diminuer le temps de roulage si dans la gestion du trafic on parvient à faire atterrir les avions au plus près de leur point d’arrêt définitif. A Roissy, selon ADP, le temps de roulage aurait ainsi pu être diminué de 10%, correspondant à une diminution brute d’environ 20000 tonnes de CO2.

La réduction de l’écartement au décollage (cet écartement est nécessaire pour minimiser le risque de turbulence de sillage) peut aussi permettre d’augmenter la capacité des pistes, de limiter le temps d’attente des avions moteurs en marche et donc de limiter la consommation de carburant.

On peut aussi réduire l’utilisation des moteurs de l’avion lors du roulage au sol. Le moyen le plus simple, pour un bi-réacteur, est de ne rouler sur le tarmac qu’avec un seul moteur allumé jusqu’à proximité de la piste de décollage. Même chose une fois l’atterrissage effectué, on peut ne rouler que sur un seul moteur jusqu’au point d’arrêt. Le tractage électrique des avions pourrait aussi être envisagé.

Enfin, les compagnies aériennes peuvent, comme le souligne l’Institut Montaigne mettre en place des pratiques qui permettent d’alléger le poids de l’avion: «La limitation des pratiques de tanking en ajustant l’approvisionnement en carburant et eau au juste besoin, le nettoyage plus fréquent de l’avion et des moteurs pour éliminer toutes les particules susceptibles de dégrader la performance de l’appareil, l’allègement du poids des équipements en cabine (ex : chariots du personnel navigant, sièges des passagers).» Anne Barlet

Pour Air France, la « seule » optimisation opérationnelle (en vol, au sol et en allégeant le chargement de l’avion) représente déjà entre 3,5 et 4% d’économies de CO2, et l’objectif de la Compagnie est d’atteindre 6,25% dès 2026 sur ce même périmètre.

* Le projet Albatross a pour objectif de conduire une série de vols tests dont l’ensemble de la trajectoire est optimisée, du décollage à l’atterrissage, grâce aux dernières innovations techniques et opérationnelles disponibles. Il est coordonné par Airbus dans le cadre du programme SESAR (Sigle European Sky ATM Research), et prévoit plus de 1000 vols de démonstration d’ici fin 2022.

BILLET

Et pendant ce temps, la DGAC augmente la TAP…

Le secteur aérien, déjà fort à la peine avec la crise sanitaire, ne baisse pas les bras en matière de décarbonation car il sait qu’il y joue son avenir. Mais cela a un coût, pour la modernisation de la flotte, l’utilisation du carburant durable et même pour certaines des mesures moins visibles que nous venons d’évoquer. Numérisation, électrification, renouvellement des équipements de cabine : les compagnies aériennes investissent. Alors il faudrait éviter que la DGAC ne leur appuie sur la tête.

Pourquoi ? On en revient à cette singularité française en matière de contrôle aérien: les redevances des services de navigation aérienne opérés par la DSNA ne sont pas rentrées pendant la crise sanitaire puisqu’il n’y avait pratiquement plus de vols. Mais la « mère » de la DSNA, la DGAC, qui doit continuer à payer ses propres fonctionnaires et les contrôleurs aériens, plutôt que d’aller demander de l’argent à Bercy à travers une augmentation de son budget annexe, a choisi d’emprunter. Et pour se «refaire», quoi de plus simple que de se tourner vers les compagnies aériennes?

Le SCARA (Syndicat des Compagnies aériennes autonomes, qui regroupe 50% des compagnies aérienne françaises) vient ainsi de mettre les pieds dans le tarmac en dénonçant l’annonce par la DGAC d’une augmentation de 30% de l’avance remboursable de la Taxe d’Aéroport (TAP), qui passera de 550 à 700 millions d’euros. Cette taxe couvre des missions régaliennes (sécurité, sûreté) que la France est le seul pays européen à faire supporter aux transporteurs mais, surtout, qui correspondent à des services non rendus pour cause de crise Covid. Sous le nom de Taxe sur le Transport Aérien de Passagers, la DGAC fusionne cette taxe avec la Taxe de l’Aviation civile (qui finance une partie de ses dépenses) et la Taxe de solidarité sur les billets d’avion (Taxe Chirac).

Des mesures qui vont donner des arguments à ceux qui plaident pour le détachement du contrôle aérien de la DGAC: si durant la crise sanitaire les contrôleurs aériens avaient pu bénéficier du chômage partiel, la DGAC n’aurait pas eu à payer des salaires sans rentrée de recettes! A. B.

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