Mobitelex 400 – 3 février 2023

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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PAF? Plouf!

Partager Arbitrer Financer : le tryptique de l’action publique est rarement mené à terme…

Plusieurs séances de réflexion collective viennent de démontrer une certaine aptitude des acteurs du transport et de la mobilité à partager un diagnostic et des recommandations. Les Assises du financement du transport public en Ile-de-France le 23 janvier (lire Mobitelex 399), deux colloques cette semaine sur la décarbonation (lire ci-dessous) ont même connu quelques moments de grâce. C’est déjà ça: on peut se parler assez franchement et sans excès d’arrière-pensées stratégiques.

Le pêché de maîtrise de l’exécutif est encore plus flagrant pour les infrastructures

C’est pourtant un préalable à l’action publique qui ne va pas de soi, si l’on considère la conception dépassée du pouvoir exécutif quand il est seul aux manettes. L’étude d’impact de la réforme des retraites est venue si tardivement, après un rapport du COR (conseil d’orientation des retraites) pas très éclairant. On a même vu une étude d’impact écrite par des consultants, du temps où Elisabeth Borne était ministre des Transports. Le pêché de maîtrise est encore plus flagrant pour les infrastructures : l’Etat semble tétanisé depuis la conclusion du rapport du COI (conseil d’orientation des infrastructures) et en retarde la publication «officielle» (lire MobiAlerte 101), parce qu’il ne correspond pas tout à fait à ses propres vues… elle-mêmes divergentes entre ministères voire à l’intérieur de Bercy. On ne s’en sort plus.

Le problème, en fait, c’est que l’Etat mélange tout, prêt à tordre un peu les constats pour imposer des choix cachés et des financements. Il se trompe : plus le partage est sincère, plus l’arbitrage est facilité. On le voit bien à propos du financement des transports en Ile-de-France : plusieurs hypothèses sont assez consensuelles. Il n’y aurait donc plus qu’à.

On voudrait bien ne pas chaque semaine ou presque regretter la verticalité archaïque de l’Etat, qui met en place des dispositifs de partage intéressants (les conseils d’orientation, les processus de recrutement ouverts) et n’en assume guère les vertus. Mais l’actualité est têtue… Emmanuel Macron a-t-il trop écouté Nicolas Sarkozy ? L’ancien Président de la République pérore, cette semaine dans Le Point , à propos de sa propre réforme des retraites en 2010: «Il n’y avait rien à négocier. Il fallait seulement écouter et informer.» Douze ans plus tard, Elisabeth Borne a fermé la porte à toute remise en cause du relèvement de l’âge de départ à 64 ans. Résumé autrement, cela donne: «Je décide, et après je concerte.» Plouf. G. D.

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EUROPE

La Commission booste dix projets d’exploitation ferroviaire transfrontalière

Un seul opérateur français sélectionné : Midnight Trains.

Il n’y a pas que l’argent dans la vie même s’il arrive bien un moment où il en faut. C’est ce qu’a compris la Commission européenne, d’abord en lançant en décembre 2021 son plan d’action pour « booster » le transport ferroviaire passager longue distance et transfrontalier, puis en sélectionnant, comme elle vient de le faire, dix projets qui s’inscrivent dans cette démarche. *

Il s’agit d’aider ces dix projets sélectionnés à surmonter les barrières restantes

On y trouve à la fois des services de jour et des services de nuit, des projets portés par des opérateurs historiques comme les FS et la DB ou par des start-up comme Midnight Trains, voire même par des administrations comme le ministère des Transports hongrois. Le Plan d’action initié par la Commission visait d’abord à identifier les obstacles. Les dix projets pilotes annoncés sont sa réponse : il s’agit d’aider ces opérateurs et les différentes autorités à surmonter les barrières restantes en les assurant de son appui, qu’il s’agisse d’obtenir les sillons des gestionnaires d’infrastructure, des autorisations techniques voire même de débloquer les questions de matériel roulant.

C’est donc une bonne nouvelle pour le ferroviaire puisqu’après l’annonce par Le Train de l’obtention de sa licence d’opérateur ferroviaire et de sa commande de matériel roulant à Talgo (lire Mobitelex 399), une autre start-up française, Midnight Trains, figure parmi les dix avec son projet de train de nuit Paris-Milan-Venise. «Nous sommes très heureux de faire partie de ce programme qui nous permettra de travailler avec Kristian Schmidt et ses équipes, qui ont une vraie vision de l’Europe ferroviaire», s’est félicité Adrien Aumont, cofondateur de Midnight Trains, auprès de Mobilettre; «ce programme peut lancer une dynamique des Etats membres et des gestionnaires d’infrastructures en faveur des projets transfrontaliers.»

Pour Midnight Trains, un tel coup de pouce long terme de la Commission lui donne une crédibilité supplémentaire, notamment auprès des financeurs, alors qu’elle est engagée comme Le Train dans l’acquisition décisive de matériel roulant. Comme on le pressentait lors du colloque de Bordeaux sur « Les nouveaux aventuriers du rail » (lire Mobitelex 393), l’espoir d’un renouveau ferroviaire français repose plus que jamais sur les nouveaux entrants.

* Projet du ministère des Transports hongrois pour relier la Hongrie, l’Autriche et l’Ouest de la Roumanie ; relation Allemagne-Danemark-Suède avec la participation des SJ (train de nuit Stockholm-Copenhague-Berlin et train de jour Hambourg-Gothenburg voire Oslo, en coopération avec DSB et DB), de Snälltaget pour un train de nuit Stockholm-Copenhague-Berlin, de Ceske drahy pour un Prague-Berlin-Copenhague en coopération avec DB et DSB, et de Flixtrain pour un Leipzig-Berlin-Copenhague-Stockholm ; la liaison de nuit Paris-Milan-Venise de Midnight Trains ; un service Munich-Zurich opéré par Flixtrain ; WESTbahn, le nouveau service Munich-Vienne-Budapest ; Nederlandse Spoorwegen, le renforcement du service Amsterdam-Londres, en coopération avec Eurostar ; European Sleeper, nouveau service de train de nuit entre Amsterdam et Barcelone ; une liaison Rome-Munich et Milan-Munich en coopération FS et DB ; ILSA, un nouveau service Lisbonne-La Corogne et Lisbonne-Madrid ; Ferrocarrils de la Généralité de Catalogne, pour connecter la Catalogne avec le Sud de la France.


TER

A Dakar, SNCF 1 Meridiam 0

Un article du Figaro Magazine la semaine dernière, titré : «TER de Dakar : Sénégal 0 SNCF 1, en attendant les prolongations…», a ému les autorités sénégalaises. Voici pourquoi et comment Jean-Pierre Farandou et le président de la République Macky Sall ont bel et bien conclu un contrat d’exploitation pour trois ans, à la barbe du fonds d’investissement Meridiam.

La réunion au sommet était prévue pour trente minutes, elle a duré deux heures. Le 17 janvier dernier, Macky Sall, le président de la République sénégalaise, entouré de plusieurs ministres, recevait Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF, lui-même accompagné de l’ambassadeur de France et de Pierre Boutier, président de la SETER (la société d’exploitation du TER). Enjeu: un nouveau contrat d’exploitation pour le TER, un an après sa mise en service et pas mal d’anicroches dans la gouvernance et l’exécution du premier contrat.

Jean-Pierre Farandou: «La SNCF sera au côté du Sénégal pour poursuivre le développement du TER de Dakar»

A la sortie du bureau présidentiel, Jean-Pierre Farandou pouvait souffler, même s’il fallut à ses équipes de la Seter et de SNCF International quelques jours et nuits supplémentaires de discussions pour formaliser le contrat dans les détails puis le signer. Le PDG de la SNCF a confié à Mobilettre sa satisfaction : «J’ai partagé avec le Président Macky Sall mon admiration pour le chemin parcouru en un an par le TER de Dakar – 17 millions de voyageurs transportés! – au service d’une mobilité durable et du renouveau du ferroviaire au Sénégal. Je l’ai assuré de mon engagement et l’ai remercié de la confiance témoignée en la SNCF qui sera au côté du Sénégal pour poursuivre le développement du TER de Dakar, véritable système ferroviaire de référence pour les grandes métropoles africaines.»

Une satisfaction en forme de soulagement? Selon nos informations les contentieux étaient bel et bien des deux côtés : la SNCF voulait absolument sécuriser les paiements à venir, vu les difficultés connues en la matière en 2022, et le Sénégal tenait à modifier la gouvernance du futur contrat. Sur ces deux points, un accord a été trouvé : la Société Générale va participer à la sécurisation des paiements et l’Etat sénégalais entrera à hauteur de 34% au capital de la Seter, tout en assurant bientôt sa présidence – le Français Pierre Boutier restera au conseil d’administration – et en ayant un regard sur les nominations aux postes exécutifs.

Abdou Karim Fofana: «En France non plus un TER ne poursuit pas un objectif de rentabilité»

La menace Meridiam, orchestrée notamment par Stéphane Volant, ancien président de la Seter débarqué au début du printemps dernier par Jean-Pierre Farandou, de même que le directeur général Frédéric Bardenet suite à des signalements auprès de l’éthique SNCF, était-elle sérieuse ? Il semble bien que le président Macky Sall n’était pas prêt à mettre tous ses œufs dans le même panier (Meridiam est déjà concessionnaire du futur BRT de Dakar). La montée en puissance du TER de Dakar, avec de nouvelles rames et malgré ses imperfections – une intermodalité insuffisante, notamment – ne prévoit pas, en outre, de «rentabilité» à court terme. Comme le fait remarquer avec finesse Abdou Karim Fofana, ministre du Commerce et porte-parole du gouvernement, à l’endroit du Figaro qui pointe «le retard en matière d’objectifs financiers», «en France non plus un TER ne poursuit pas un objectif de rentabilité.» «Le niveau d’équilibre est attendu à N+3, c’est-à-dire trois ans après le début de l’exploitation», poursuit Abdou Karim Fofana. «Entre la souveraineté sur la gestion et le choix de nos partenaires au bout de ces trois ans nécessaires à l’atteinte de l’équilibre et l’octroi à un autre postulant d’une concession sur 25 ans, nous avons préféré la première option beaucoup plus avantageuse.» SNCF 1, Meridiam 0. Même si la croissance à l’international du groupe SNCF n’est plus aussi stratégique qu’il y a dix ans, et désormais principalement le fait des filiales (Keolis, Geodis, SNCF Voyageurs), il n’était pas envisageable pour Jean-Pierre Farandou de laisser tomber un projet aussi ambitieux sur le continent africain.

De fait, le TER de Dakar a tous les atours d’un projet stratégique pour l’Etat sénégalais en matière d’amélioration des conditions de circulation quotidienne. Les accidents de la route sont fréquents au Sénégal et se soldent par des bilans parfois effrayants – jusqu’à 42 morts dans un seul accident début janvier au sud-est de Dakar. Par contraste, l’exploitation en sécurité d’une offre nouvelle de transport collectif en zone très dense nécessitait de faire appel à un opérateur aux compétences indiscutables en la matière, quitte à jouer un dialogue serré sur la «sénégalisation» des équipes de direction, la modification du capital de la Seter et la sécurisation des paiements.


COLLOQUES

La décarbonation dans tous ses états

Quand les débats glissent naturellement vers la philosophie politique et l’amélioration des gouvernances publiques. Etat entends-tu ?


TDIE : le bien commun là où on ne l’attendait pas

En organisant un débat * autour d’une note préalablement rendue publique d’Yves Crozet « Engagements climatiques et mobilités : à la recherche du bien commun », TDIE a tenté et réussi ce qu’on pourrait appeler une stratégie de la double détente : on partage, on échange. On explique, on décrypte.

Nous ne rentrerons pas dans les détails de cette note très complète **, mais nous évoquerons les nombreuses fenêtres ouvertes par sa référence aux biens communs. De la note, il nous suffit de dire, comme l’a résumé Louis Nègre qu’elle est « hautement inflammable », en ce sens qu’elle parle de « sobriété, régulation, discipline, bien commun, signal prix, passe mobilité ». De fait, l’auteur de la note n’hésite pas à mettre en lumière le rendement décroissant de la dépense publique et à partir de sa définition de bien commun, à savoir « un bien collectif saturable », à plaider pour une régulation par les prix (les péages d’autoroutes, par exemple) ou par les quantités (les ZFE) et une affectation des recettes.

« Acceptabilité » de la sobriété et de la régulation : Philippe Duron a d’emblée mis le sujet sur la table

Alors oui, lundi dernier devant une salle pleine (presque 200 personnes sans compter le distanciel), on a bien parlé économie, mais on en est très vite sorti pour aller au-delà. « Acceptabilité » de cette sobriété et de cette régulation : Philippe Duron a d’emblée mis le sujet sur la table. Anne-Marie Idrac (France Logistique) l’a rejoint en parlant « pacte économique et social » et aménagement du territoire. Fanny Arav (CESE, UNSA) a elle aussi évoqué ce « nouveau contrat social » et y ajouté l’urbanisme. En bonne économiste, elle a parlé de la « valeur temps » mais pour distinguer le temps subi du temps choisi et souligner qu’une heure passée dans un RER bondé n’équivalait pas à une heure dans un TGV assis… Elle a aussi plaidé pour une planification, mais « de notre temps », seul moyen de travailler sur les dépenses de fonctionnement. Elle a aussi insisté sur le coût de l’inaction.

Les trois autres intervenants, Chantal Jouanno (Commission Nationale du Débat Public), Patrick Vieu (ART) et Thierry Pech (Terra Nova) ont ouvert encore plus grand les fenêtres : Chantal Jouanno a ainsi indiqué que dans les débats publics sur les transports, la question de l’injustice sociale est une constante alors que sont curieusement absents les sujets de biodiversité et d’adaptation. Thierry Pech s’est plutôt positionné sur la gouvernance: s’appuyant sur l’exemple d’une autre sobriété, celle du plan de sobriété énergétique, il a estimé que son défaut était de ne pas rendre à chacun sa récompense en fonction de l’effort entrepris. Il a aussi pointé du doigt le fait qu’en mettant l’accent sur les mobilités du quotidien, on mettait au premier plan le local ce qui soulevait la question de la coopération de l’Etat avec les collectivités locales et de celles-ci entre elles. Mais, un peu contre toute attente, serait-on tenté d’écrire, c’est Patrick Vieu qui a le plus usé de sa liberté de lecture pour questionner à titre personnel le fondement philosophico-juridique de la notion de bien commun. Rappelant qu’elle était née d’une réflexion italienne (la commission Rodota, notamment), il a précisé que les « biens communs sont ceux qui sont nécessaires à l’exercice d’un droit fondamental ».

Dès lors, si ce droit fondamental est la mobilité ou la liberté d’aller et venir, et le bien commun ce qui la rend possible, il faut considérer que le ou les réseaux sont ce bien commun. La remarque est moins éthérée qu’elle peut le sembler au premier abord et on va se permettre d’extrapoler pour rejoindre les débats autour de la note : les biens communs doivent être accessibles, ce qui implique pour le réseau autoroutier par exemple que les hausses de tarifs soient acceptables et pour le réseau ferroviaire sans doute la nécessité d’une baisse de péages. L’accessibilité au réseau routier c’est aussi les voies express dédiées au covoiturage et aux bus express, la résorption des congestions et parfois le véhicule qui va bien. Et pourquoi pas, dans les zones rurales, admettre que la voiture, si elle est le seul moyen d’assurer le droit fondamental à la mobilité, devient ce bien commun ? Peut-être un véhicule partagé où l’argent public trouverait à s’investir ?

On le voit, au-delà de son intérêt premier, la note d’Yves Crozet a le mérite de donner envie de poursuivre sur cette notion de bien commun et ce qu’elle implique, pourquoi pas comme premier pas vers un pacte social rénové. A. B.

*Débat au siège de la FNTP le 30 janvier, animé par Mobilettre.
Visionner le replay ici


** La note d’Yves Crozet: Afficher la note en pdf


La route à la croisée des chemins

Source de la majorité des pollutions carbonées, elle doit à la fois s’ouvrir aux autres mobilités et affronter le passage à l’électrique. Un double défi systémique qui dépend largement d’une amélioration des gouvernances publiques et d’investissements plus massifs : voilà en substance les principales leçons d’un colloque organisé la semaine dernière au musée Guimet à Paris et intitulé «La route, cet impensé de la transition écologique ?»

Les polémiques sont restées au vestiaire. En organisant ce colloque, Vinci Autoroutes avec la Fabrique écologique, L’Hémicycle et Mobilettre, voulait poser sur la table la question de la décarbonation de la route : comment, à quel rythme, avec quelle gouvernance et quels financements ? Des échanges consistants ont d’ailleurs plutôt mis en évidence les collaborations nécessaires avec le transport public et les mobilités actives que les habituelles jalousies modales – certains réseaux sociaux s’en chargent eux-mêmes avec la délicatesse et la mesure qui les caractérisent.

La pénurie de pôles d’échanges modernes et confortables n’encourage pas nos concitoyens à l’évolution de leurs comportements

L’argumentaire est simple : avec au moins 80% du nombre des déplacements, la route et ses véhicules concentrent les pollutions, et il va donc bien falloir s’y attaquer, sauf à rêver d’une décroissance fulgurante ou d’un miracle technologique – ou plutôt, si l’on série les priorités, se concentrer sur les déplacements du quotidien entre 10 kilomètres et 80 kilomètres. Développement de l’intermodalité voiture individuelle-transport collectif, généralisation des cars express, encouragement du covoiturage : les solutions sont nombreuses, à condition de faire tomber les murs et de construire des gouvernances multimodales. A Madrid ou à Londres, cela existe : pourquoi pas en Ile-de-France et de manière générale dans les grandes métropoles ? La pénurie de pôles d’échanges modernes et confortables n’encourage pas nos concitoyens à l’évolution de leurs comportements. Pour les mobilités routières de proximité (moins de dix kilomètres voire cinq kilomètres), un mélange d’autodiscipline et d’alternative à l’autosolisme (transport public, vélo, marche, covoiturage) pourrait progressivement contribuer à la décarbonation.

Et puis il y a le grand défi, l’électrification du parc de véhicules routiers. Si on parle encore assez peu du camion électrique ou à hydrogène, la date de 2035 (l’interdiction de la vente de véhicules thermiques) est dans toutes les têtes. Pourtant, le chemin n’est guère balisé à l’attention de nos concitoyens, faute, à ce stade, de dynamique systémique. Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique, en a conscience et a tenu un discours de la méthode structuré. Mais manifestement, sur le terrain, l’ensemble des acteurs (Etat, collectivités, gestionnaires d’infrastructures, sociétés concessionnaires, énergéticiens, opérateurs de bornes de recharge, financeurs etc) ne partagent pas suffisamment des objectifs et des plannings communs. Un modèle existe, pourtant, abondamment vanté ces dernières semaines: l’équipement de la France en fibre optique.

Allait-on finir la journée sans évoquer ou presque les contrats de concession qui fâchent et suscitent tellement d’envies? Le ministre Clément Beaune s’en est chargé en clôture: il est favorable aux contrats de concession au regard de la qualité des infrastructures ainsi gérées (aéroports, autoroutes), encore faut-il en imaginer dès maintenant la prochaine génération, avec un partage des bénéfices au profit de la décarbonation et des transports collectifs classiques. Pas de grand soir de la re-nationalisation, donc, mais des changements dans la contractualisation. On n’en saura pas davantage, mais d’ores et déjà des consultations sont engagées avec l’Etat… auquel le régulateur (l’ART) vient fort opportunément de proposer quelques idées neuves (lire Mobitelex 399).


GOUVERNANCE

Ile-de-France :
poursuivre la réflexion

Si les Assises du financement du transport public en Ile-de-France ont permis de sortir des invectives politiques de l’automne autour du pass Navigo, la question de la gouvernance globale de la plus grande région d’Europe reste intacte. Le mille-feuilles n’a jamais aussi bien porté son nom   Etat, région, Métropole du Grand Paris (MGP), intercommunalités, départements, communes ! Six échelons, est-ce bien raisonnable ? Que faire pour simplifier, fluidifier, accélérer ?

Nous donnons la parole cette semaine à Nicolas Samsoen, le maire de Massy (par ailleurs président du comité stratégique de la Société du Grand Paris)

Sa double lecture est instructive, celle d’un élu essonnien passionné et d’un professionnel des transports passé notamment par la SNCF et Transdev. On pourrait même ajouter un troisième levier d’engagement, qui n’est pas que de raison mais aussi «de tripes, de cœur, de racines»: son ancrage francilien. «Né en Ile-de-France, de deux parents nés en Ile-de-France, de trois grands-parents nés en Ile-de-France, je suis une anomalie statistique et un amoureux de la région parisienne », aime-t-il à raconter. «Notre pays dispose d’une métropole de rang mondial ; il serait fou de ne pas en tirer parti». Voici son analyse et ses propositions.


TRIBUNE

«Un autre Grand Paris est possible»

Par Nicolas Samsoen, maire de Massy

Il y a dix ans, le Gouvernement a voulu doter le Grand Paris d’une gouvernance ad hoc en créant la « Métropole du Grand Paris » (MGP) et de grandes structures intercommunales. L’intention était juste : le Grand Paris a besoin d’institutions adaptées à sa réalité métropolitaine. Et pourtant, l’échec est flagrant.

Depuis des décennies s’entend la même rengaine : « commune, département, région, il faut supprimer une couche » ; en Ile-de-France… on en a ajouté deux !

Il y a donc aujourd’hui cinq strates : commune, intercommunalité, département, MGP, région, voire six tant l’Etat est présent. Lorsque pour chaque grand sujet, il faut mettre d’accord six acteurs, le système se grippe inexorablement.

En sciences physiques pour « un système de corps ayant entre eux plus de liaisons qu’il peut en exister entre solides indéformables », on parle de système hyperstatique. « Hyper-statique » : pris au pied de la lettre, ce mot me semble bien décrire la réalité francilienne.

Alors j’en suis convaincu : un autre Grand Paris est possible ! Et redéfinir une gouvernance efficace est une question d’intérêt national et une question urgente avant que les nouvelles strates ne soient calcifiées.

Car on a commis une faute cardinale : on a défini une organisation sans dire pour quoi faire. Or, les enjeux sont immenses :

Le système de transports en commun francilien est à la fois d’une puissance remarquable et d’une grande fragilité. Et nous avons devant nous une immense impasse financière que nous devrons bien traiter collectivement, le débat ouvert à raison par la Région et l’Etat sur leur financement l’a clairement posé.

Alors que le mal logement est une réalité terriblement prégnante en Ile-de-France, on a empilé les « schémas »… et on a grippé la construction. Simultanément, les inégalités territoriales se creusent et les logiques de ségrégation portent en elles des tensions redoutables.

On n’a pas traité le rapport entre Paris et sa banlieue : aujourd’hui rien ne pousse à l’ombre de la ville lumière ! Pourquoi dans le match Paris-Londres, le PSG est-il si seul face à Chelsea, Arsenal, Tottenham… Pourquoi plus de 90% des restaurants étoilés franciliens sont-ils parisiens, faisant de la banlieue un désert gastronomique ? Pourquoi l’Etat concentre-t-il à ce point ses dépenses culturelles à l’intérieur du périphérique ?

L’hyperconcentration est la grande faiblesse de l’Ile-de-France ; en termes d’équité et même d’efficacité : aucune des grandes métropoles mondiales avec lesquelles Paris est en compétition n’est à ce point concentrée. L’organisation du Grand Paris à laquelle je crois doit donner à la banlieue la chance de se développer vraiment.

Il faut, je crois, repartir de la commune

La commune, c’est la « petite République dans la grande », c’est le lieu de la proximité et de la légitimité démocratique la plus forte. Et les communes franciliennes sont fortes. Hors de la très grande couronne où une structuration intercommunale intégrée est nécessaire, l’émiettement communal français avec ses 36 000 communes n’est pas une réalité francilienne ; dans la zone dense où vivent 90% des franciliens, les communes comptent en moyenne 25.000 habitants.

Bien sûr, les communes doivent coopérer entre elles. Depuis plus d’un siècle, elles ont su créer des syndicats intercommunaux pour l’eau, les déchets, l’énergie, avec des coopérations adaptées à chaque sujet. Mais en passant de coopérations intercommunales à la carte, fondées sur des besoins, à des intercommunalités institutionnelles aux périmètres artificiels en l’absence de ville-centre – car la seule ville-centre, c’est Paris ! – on a étouffé les communes. Il faut réinterroger l’intercommunalité « politique » en Ile-de-France et retrouver des coopérations techniques, plus souples et plus efficaces parce que librement consenties. C’est ce que suggère le récent manifeste de l’Association des Maires d’Ile-de-France.

Symétriquement, les sujets stratégiques, transports, aménagement du territoire, transition écologique, enseignement supérieur… doivent être traités à l’échelon le plus large. La question du périmètre est essentielle. Celui de la MGP est trop restreint : comment être un acteur stratégique sans prendre en compte les RER dont aucun ne s’arrête en petite couronne, Roissy, le château de Versailles, le pôle d’enseignement et de recherche de Saclay ou Eurodisney ?

La seule solution c’est de fusionner Région et MGP, pour créer une Métropole régionale ou une Région métropolitaine, qu’importe… Elle doit être l’interlocutrice privilégiée de l’État et l’outil d’attractivité de Paris dans sa compétition avec les métropoles mondiales.

Entre la Métropole régionale et les Communes, un – et un seul ! – échelon est nécessaire

Cet acteur, à mes yeux, c’est le Département. Réunissant chacun entre 1 et 1,5 millions d’habitants, les Départements franciliens ont la puissance nécessaire tout en restant des acteurs de proximité. Du haut de leurs 70 ans, ils sont des institutions, et l’identité départementale est inscrite dans l’imaginaire collectif. Le couple historique Département-Commune permet d’allier puissance et proximité. Et en lien avec la Région, les Départements doivent être les acteurs opérationnels qui mettent en œuvre les politiques élaborées au niveau métropolitain.

L’organisation actuelle des transports, sujet métropolitain par excellence, préfigure bien cette organisation. Ile-de-France Mobilités qui réunit déjà Région et Départements pour les transports en commun, doit devenir une véritable agence des mobilités, incluant la gestion de la route, dont la stratégie serait définie au niveau régional et mise en œuvre au niveau départemental.

Emerge alors une gouvernance radicalement simplifiée : des Communes libres dans leurs projets et libres de coopérer ; des Départements acteurs opérationnels puissants, en lien avec les Communes pour les projets concrets, en lien avec la Métropole régionale pour la stratégie ; une Métropole régionale concentrée sur les questions stratégiques et libérée des questions de proximité. J’insiste sur « radicalement » simplifiée car des « petits pas » n’aboutiraient qu’à complexifier encore le mille-feuille francilien

Pour être complète, cette simplification radicale nécessite de réfléchir au mode de scrutin, en rapprochant l’élection des conseils départementaux et de la métropole, en conciliant représentativité des maires, suffrage universel assurant la légitimité de la présidence de la métropole régionale et prise en compte de la spécificité de Paris.

Il faudra surtout parler argent

L’Ile-de-France, globalement, est riche et peut autofinancer son développement, ses transports et sa transition. Mais cela suppose un préalable incontournable : remettre à plat le système actuel, issu d’un empilement illisible de péréquations et d’un double dessaisissement des communes au profit des intercommunalités puis de la MGP. Pour le dire encore plus clairement, l’argent aujourd’hui capté par des intercommunalités artificielles et par la métropole, devrait pour partie retourner aux communes, pour partie revenir à la région métropolitaine pour des sujets vraiment métropolitains, à commencer par les transports.

Ces débats doivent avoir lieu. Nous disposons d’une occasion unique : des Communes à l’Etat, des Départements à la Région, aucun renouvellement démocratique n’est prévu avant 2026. Sachons utiliser cette parenthèse électorale pour définir ensemble une gouvernance durable et efficace du Grand Paris ; la France a tout à y gagner !

Rappel : les douze ans de Mobilettre, c’est maintenant !

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