Mobitelex 409 – 14 avril 2023

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les décryptages de Mobilettre

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Le temps passe 

Un travers français: définir les investissements en infrastructures sans avoir assuré leur financement

La demande de transports collectifs et décarbonés est très forte en cette année 2023. Tout particulièrement, les trains longue distance sont pleins, et pas seulement pendant les week-ends de printemps. Comment passer durablement à une culture de la croissance ferroviaire ? La question est cruciale.

Il n’y a pas trente-six moyens d’y parvenir : par une autre politique de tarification (des péages moins élevés pour plus d’attractivité et de trafic), et par le réinvestissement public et/ou privé. Mais manifestement (lire ci-dessous) l’Etat n’est guère enclin à siffler la fin du malthusianisme ni à encourager la concurrence, alors même qu’il a pour ce faire chamboulé l’architecture ferroviaire en 2018.

L’«esquisse d’une ambition» peine à se transformer en chef d’œuvre

Le PDG de la SNCF Jean-Pierre Farandou est donc remonté au créneau ces derniers jours devant les commissions parlementaires pour défendre les 100 milliards pour le ferroviaire d’ici 2040 et suggérer des pistes de financement. Ce nouveau plaidoyer n’est pas encore une supplique, mais à bien des égards, il pourrait y ressembler tant l’«esquisse d’une ambition», pour reprendre l’expression que nous avons employée au soir de la remise à la Première ministre du rapport du COI (conseil d’orientation des infrastructures), le 24 février dernier, peine à se transformer en chef d’œuvre.

En réalité, faute de concrétisation rapide des conditions de financement de ces 100 milliards, l’annonce du gouvernement revient à faire sa liste de courses, à remplir généreusement son caddie, puis à se demander: «Tiens! comment je vais payer tout ça ?» Tout le contraire de nos voisins.

Et c’est reparti pour des mois et des années de discussions, autour de l’argent des autoroutes, des taxes sur l’aérien, de la captation des plus-values foncières, et bien sûr de la participation des collectivités territoriales. Démunies de fiscalité directe, ces dernières peinent à assumer la priorité aux mobilités décarbonées. Presque partout sur le territoire continuent à émerger des morceaux d’autoroutes, des rocades, des déviations… et des ronds-points. Il y en aurait entre 55000 et 65000 en France aujourd’hui (entre 500 et 1000 supplémentaires par an), pour un coût unitaire qui atteint souvent le million d’euros, sans compter leur décoration et leur entretien. Ce sont chaque année des milliards d’euros engloutis, sans qu’on puisse calculer vraiment leur contribution à la réduction de la mortalité routière.

On résume : le temps passe, et on tourne en rond. C’est par où la sortie ? G. D.

Puisqu’on parle de procastination…

Emmanuel Macron a pris l’habitude de prendre son temps pour la nomination des présidents d’entités publiques et administratives. Suite à la démission d’Arnaud Leroy de la présidence de l’Ademe, au printemps 2022, il n’avait proposé l’énarque Boris Ravignon qu’en novembre… quatre mois avant l’échéance du mandat de son prédécesseur. Pas vraiment le temps de s’imposer, d’autant que les commissions parlementaires ne l’avaient adoubé que de justesse le 14 décembre. Mercredi dernier, son deuxième passage devant les commissions s’est encore moins bien passé, puisque pour la première fois depuis la modification de la Constitution en 2008, un candidat proposé par le Président de la République est repoussé par une majorité des trois cinquièmes.

Il s’agit certes de la conséquence directe de l’entêtement de Boris Ravignon à cumuler ses emplois (maire de Charleville-Mézières et président de l’Ademe), malgré l’avertissement des parlementaires. Mais on peut aussi y voir une défiance croissante à l’égard d’un président de la République affaibli politiquement, et si peu respectueux des calendriers et des autorités indépendantes.

A cette aune-là, qu’adviendra-t-il de la candidature de Marc Papinutti à la présidence de la CNDP (Commission nationale du débat public) ? Considéré comme un fidèle collaborateur de l’exécutif, sera-t-il rejeté par des parlementaires nouvellement affranchis ? Les velléités d’Emmanuel Macron de réduire le rôle de la CNDP vont-elles aboutir à un deuxième et inédit rejet de son candidat, qui avait déjà dû retirer sa candidature pour la présidence de l’ART, en février dernier?

Au fait, monsieur le Président, cette dernière est toujours sans président depuis le 2 août 2022… Décidément le temps passe.

ANALYSE

Ferroviaire : qui veut vraiment de la concurrence ?

Trenitalia sur Paris-Lyon et Transdev sur Marseille-Nice, et après ? Aussi bien en open access qu’en conventionné, le rythme d’ouverture des marchés à la concurrence est particulièrement lent. La question du modèle économique accapare les nouveaux entrants. Voici pourquoi.


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Longue distance : Kevin Speed engage le combat

Alors que Le Train et Midnight Trains en sont à l’étape décisive de la commande du matériel roulant, et que Railcoop promet une première circulation sur Lyon-Bordeaux en 2024, Kevin Speed franchit une nouvelle étape de son développement en étayant sa stratégie, à l’occasion de sa réponse à la consultation publique lancée par l’Autorité de la concurrence. On peut la résumer en une phrase : une réponse capacitaire et attractive aux déplacements pendulaires interurbains.

De la même manière que Le Train entend prospérer sur la façade ouest par une offre nouvelle, Kevin Speed prend à revers la doxa SNCF qui privilégie les radiales parisiennes et quelques liaisons intersecteurs. « Les déplacements pendulaires interurbains ont doublé en trente ans, et pas seulement en Ile-de-France», affirment les trois associés à la tête de Kevin Speed, Laurent Fourtune, Jihane Mahmoudi et Claire Bonniol, entourés d’un conseil stratégique de haut niveau *. «L’impact du Covid n’a pas encore été mesuré mais c’est un segment de mobilité qui croît très rapidement à cause du télétravail», poursuivent-ils. 9% des déplacements du quotidien mais 29% de leur consommation de carburant et d’émission de CO2 : la fenêtre économique et écologique est largement ouverte.

Kevin Speed tape là où cela fait mal: l’offre SNCF est trop rare et trop chère

Mais une opportunité n’a jamais suffi à assurer un succès. Si Kevin Speed identifie d’abord la grande faiblesse de l’offre SNCF grande vitesse – trop chère et trop rare pour concurrencer efficacement l’usage individuel de la voiture -, il tape surtout là où cela fait mal : «Les capacités d’investissement des entreprises ferroviaires publiques ne permettent pas d’acquérir les trains supplémentaires nécessaires pour satisfaire la demande et ainsi faire baisser les prix des billets de trains». Et Laurent Fourtune d’enfoncer le clou : «Les investissements bien réels des compagnies Trenitalia et Renfe en France en matière de rames TGV […] suffisent seulemment à compenser les quatorze trains de SNCF Voyageurs modifiés à grands frais pour être désormais exploités sur le réseau espagnol et les quinze trains commandés par SNCF Voyageurs pour l’Italie.» Les choses sont dites: l’offre hexagonale ne bondit pas !

L’actualité (lire notre éditorial ci-dessus) confirme plutôt la réalité de ce malthusianisme public persistant, même si Voyages SNCF va chercher à optimiser encore davantage son parc. Par conséquent, pour Kevin Speed, il faut aménager des conditions favorables à l’investissement privé, par la sécurisation des revenus d’exploitation à long terme et la conclusion d’accords-cadres de répartition de capacités de long terme (trente ans).

Benoît Cœure (ART): «On ne réussira pas la transition climatique si on ne mobilise pas massivement l’épargne privée»

Quels renforts pour appuyer son développement ? Le soutien de l’ART (Autorité de régulation des transports), qui milite pour changer le modèle de tarification de l’usage de l’infrastructure, est acquis depuis longtemps; celui de l’Autorité de la concurrence est plus récent, mais son président Benoît Cœure a été très clair le 3 mars dernier: «On ne réussira pas la transition climatique si on ne mobilise pas massivement l’épargne privée». Plus inattendu, une citation de Jean-Pierre Farandou : «L’arrivée de concurrents associée à notre politique pour augmenter les volumes peut nous aider à atteindre l’objectif de doublement de passagers transportés d’ici à dix ans.» Quand le président de la SNCF challenge SNCF Voyageurs…

Kevin Speed précise aussi ses investissements : «Un milliard d’euros pour 20 trains à 300 km/h, 150 conductrices et conducteurs à former et des ateliers de maintenance de petite taille situés au milieu des lignes, dans des territoires à réindustrialiser, et qui permettent le retour express des trains à l’exploitation.» A noter que les quatorze portes par face (contre sept pour un Duplex) permettront de diminuer les temps à quai et donc d’accélérer les fréquences.

Le compte-à-rebours est enclenché. Le temps de livraison des nouveaux trains étant estimé à quatre à cinq ans, Kevin Speed doit pouvoir présenter à ses actionnaires, aux investisseurs et aux institutions bancaires et financières une sécurisation juridique et économique la plus crédible possible. Il sera intéressant de voir si dans les mois qui viennent, le gouvernement et SNCF Réseau oseront encourager ces investissements, au-delà des actuelles paroles de convenance.


*Composition du conseil stratégique de Kevin Speed : Dominique Bussereau, Pierre Cunéo, François Drouin, Cyrille du Peloux, Sophie Mougard, Jean-Pierre Trotignon, Pascale Roque.


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TER : les régions sous pression(s)

La résistance multiformes et vigoureuse de SNCF Voyageurs et une difficile mise au point d’un autre modèle économique et financier compliquent singulièrement les scénarios d’alternance. Ce vendredi c’est au tour des Pays-de-la-Loire de recevoir les BAFO (best and final offer) des opérateurs sur le premier lot ouvert à la concurrence (Sud-Loire et Nantes-Châteaubriant)

Il y a d’abord les régions qui repoussent franchement l’échéance en ayant signé ou en signant avec la SNCF de nouvelles conventions avant la fin de l’année (lire ci-dessous). Même avec des tickets détachables, la matérialisation de l’ouverture à la concurrence est aussi probable à court terme qu’un printemps serein au PSG. Au-delà du «risque social» soigneusement entretenu par les syndicats et une partie de la gauche, les «coûts de désimbrication» (sic) avancés par la SNCF, et plus globalement, l’ampleur des bouleversements consécutifs à l’arrivée d’un nouvel opérateur refroidissent bien des acteurs, quelle que soit leur étiquette politique. Quand une petite moitié de président-e-s de régions a des ambitions nationales plus ou moins affichées, il ne semble guère opportun d’aller chercher des ennuis, a fortiori si la SNCF new TER promet monts et merveilles sur le papier.

Au fond, les régions (et les assistances à maîtrise d’ouvrage) y sont-elles vraiment prêtes, à l’alternance ? Le sujet est tellement piégeux… Par exemple, sur la maintenance du matériel roulant, comment «neutraliser» le coût des pièces détachées ? Les nouveaux opérateurs ne sont pas à égalité avec la SNCF… Sur le plan financier, les régions semblent avoir quelques difficultés à «comprendre» leur modèle économique. Les coûts de préexploitation lissés sur la période du contrat ? Pas évident pour le directeur financier d’une entreprise privée de consentir une telle avance, quand c’est si indolore pour de grandes entreprises publiques.

Ajoutons également que l’enjeu stratégique que constituent les premiers appels d’offres TER exacerbent les tensions, et incitent les régions à «cristalliser» très vite les DCE (dossiers de consultation des entreprises), ce qui n’arrange pas forcément les nouveaux entrants. Les rumeurs vont en effet bon train d’une certaine «volatilité» des offres en amont des remises officielles. En Hauts-de-France, la récupération par la SNCF de l’offre Régionéo l’été dernier aurait conduit au retrait de cette dernière…

Qu’est-ce qui pourrait «banaliser» cette ouverture à la concurrence? Assurément la façon dont vont se dérouler dans les années qui viennent l’alternance sur Marseille-Nice et l’exploitation de l’étoile d’Amiens par la SNCF qui se succède à elle-même. Les régions disposeraient d’une forme de «modèle référentiel» susceptible d’étoffer leurs compétences… et de réduire leurs craintes.

Renouvellement anticipé des conventions : la vigilance de la Commission

Mobilettre s’est procuré une lettre de la commissaire Adina Valean à des parlementaires néerlandais. Renouveler une concession avant son terme pour échapper aux règles d’attribution concurrentielle qui s’appliquent à la fin 2023 serait considéré comme un moyen de tourner les règles de la concurrence…

Tout a commencé mi-2020 lorsque le gouvernement néerlandais a annoncé son intention d’accorder une concession de dix ans pour 95% des services de voyageurs ferroviaires à l’opérateur historique Netherlands Railways (NS). Cette nouvelle concession devait entrer au service en décembre 2024, soit à la date d’expiration de l’actuelle concession. Le gouvernement néerlandais justifiait cette décision par un besoin de « stabilité et de qualité ». Le « hic », c’est que le quatrième paquet ferroviaire n’autorise plus les attributions directes de services conventionnés à partir du 24 décembre 2023, sauf exceptions dûment justifiées. Qu’à cela ne tienne, le gouvernement néerlandais prévoyait de renouveler la convention de manière anticipée mais pour une application au service 2025. La Commission européenne ne l’entend pas de cette oreille, ni les potentiels concurrents des NS (Arriva Nederland, Transdev, Qbuzz, Keolis et EBS) qui estiment qu’il s’agit là d’un détournement et donc d’un non-respect des règles européennes. Ces derniers ont porté le différend devant les tribunaux néerlandais et déposé plainte auprès de la Commission. La Commission, de son côté, avait écrit en juillet 2022 au ministre néerlandais en charge des Transports pour lui demander des éclaircissements sur l’intention de son gouvernement d’accorder une concession aux NS jusqu’en 2035. Certains parlementaires européens néerlandais s’en sont émus auprès de la commissaire aux Transports Adina Valean qui vient de leur répondre. Mobilettre s’est procurée cette réponse qui rappelle quelques règles en matière de concurrence et de services conventionnés.

Rappel : la procédure de mise en concurrence devient obligatoire pour l’attribution de convention de service public ferroviaire à compter de décembre 2023.

En ce qui concerne le cas néerlandais, la Commission concède donc que les autorités gouvernementales ont tout à fait le droit de procéder à des attributions directes jusqu’en décembre 2023 et qu’elles peuvent encore le faire au-delà de cette date, mais dans des conditions limitées. En revanche, ce qui préoccupe la Commission c’est que ces mêmes autorités ont l’intention d’accorder directement un contrat de concession fin 2023, mais pour une entrée en application seulement début janvier 2025. Le contrat étant accordé au même opérateur, les NS, sur le même périmètre, un tel délai ne se justifie pas. Pour mémoire, la Commissaire rappelle que lors du dernier renouvellement, la période « intérimaire » n’avait duré que 17 jours. Donc, la Commission n’est pas dupe : l’obligation de mise en concurrence à compter de décembre 2023 ou de se conformer aux règles d’exception pour une attribution directe ne doit pas être détournée (« The obligation to use the competitive award procedure or to comply with the conditions to use the direct award procedure after December 2023 should not be circumvented »). Car c’est bien de cela dont il s’agirait : renouveler une concession avant son terme pour échapper aux règles d’attribution concurrentielle qui s’appliquent à la fin de cette année.

La Commissaire aux Transports rappelle également que s’il est toujours possible, dans une convention de service public, d’intégrer des services qui ne sont pas déficitaires, ceci doit rester justifié et dans une proportion acceptable. Dans le cas néerlandais, cela supposerait préalablement une analyse de marché. Et il y a fort à parier que le gouvernement néerlandais aurait du mal à en faire la démonstration, vu que la concession couvrirait la quasi-totalité du réseau et qu’il est fort peu probable que la totalité du réseau soit déficitaire (cela, c’est Mobilettre qui le dit…).


EXCLUSIF

Mise en concurrence des bus RATP : l’analyse juridique qui fragilise le choix du gouvernement

Allons tout de suite à la conclusion de cette analyse de 21 pages que nous nous sommes procurée : «Une loi dont l’objet serait de surseoir à l’ouverture à la concurrence du réseau des bus parisiens de la RATP et de différer celle-ci à décembre 2028 ou 2029 nous paraît présenter de très sérieux risques d’inconventionnalité et d’inconstitutionnalité, en particulier parce que la loi ne serait pas justifiée par des motifs d’intérêt général prééminents au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.»

Ce constat sans ambiguïté est l’œuvre de Philippe Terneyre, professeur de droit public réputé, ancien doyen de la faculté de Droit, corédacteur en chef du Bulletin juridique des contrats publics, président du jury d’agrégation de droit public etc. Un cador, s’il nous permet cette expression vulgaire au regard de ses états de service.

Etabli le 29 mars, ce constat a-t-il été communiqué au ministre Clément Beaune avant qu’il propose cette semaine à l’Assemblée nationale un report de deux ans de l’ouverture à la concurrence du réseau de bus RATP, lors de la discussion de la PPL du communiste Stéphane Peu, qui en suggérait quatre, jusqu’au 1er janvier 2029 ?

Il nous est aussi facile de résumer cette analyse fouillée que Guerre et Paix de Tolstoï en un paragraphe. Philippe Terneyre explique que la remise en cause du calendrier d’ouverture négocié en 2009 non seulement ne correspond pas à un motif d’intérêt général (ou alors, s’il s’agit de «sécuriser» les JO, eût-il fallu le faire dès 2017), mais qu’elle risquerait de ramener l’ouverture des marchés de transport guidés (RER et métros) à 2030… Comment résoudre un problème pour en récolter un nouveau, bien plus costaud: l’ouverture du métro et du RER, ce n’était pas prévu avant 2039…

Mobilettre tient cette précieuse analyse à disposition de ses abonnés sur simple demande par mail


CHRONIQUE

Trottinettes: sans free floating, plus de régulation de l’usage!

Par Julien de Labaca

Les électeurs parisiens (ou plutôt 7,5% d’entre eux) ont voté massivement contre le renouvellement des trottinettes en free floating à Paris. Cette consultation lancée par la Mairie de Paris ne concernait que les flottes de trottinettes électriques, opérées par les opérateurs Dott, Lime et Tier. Pour ou contre ces engins de mobilité: ce vote résonne comme l’échec d’une bonne politique publique de mobilité. Surtout, il montre à quel point certaines métropoles n’appréhendent pas encore les enjeux de la mobilité du XXIème siècle, particulièrement ceux liés au numérique.

Rentrons directement dans le vif du sujet : certains comportements néfastes de certains utilisateurs de trottinettes sont potentiellement régulables par des outils numériques. C’est là le paradoxe de la décision parisienne. En supprimant les trottinettes en free floating, on supprime des milliers de véhicules possédant des capteurs et générant des données d’usage. Pour le dire plus simplement, on supprime un levier de régulation majeur, qui devient quasi inexistant sur les trottinettes personnelles.

Les trottinettes appartenant à des flottes d’opérateurs possèdent un GPS et des dispositifs de télécommunication qui permettent à un gestionnaire de savoir où elles se trouvent, de leur interdire l’accès à certains espaces, à certains stationnements ou encore de limiter leur vitesse (on parle de geofencing). Cela ne résout pas tous les problèmes, certes, mais cela permet d’avancer. Ces engins produisent également de nombreuses données, qui, si elles sont communiquées et bien utilisées, permettent aux gestionnaires d’optimiser leur usage : répartition du déploiement, adaptation du volume à disposition, gestion d’évènements particuliers (un concert, une rencontre sportive)… Les trottinettes (et d’ailleurs tous les objets de mobilité appartenant à des flottes) ont cette capacité à être des capteurs d’usages dans nos villes.

Encore faut-il que cette technologie soit bien utilisée. L’élu parisien Florent Giry posait en novembre 2022 le débat sur les réseaux sociaux : «Quelles exigences de régulation ? La technologie le permet-elle ? Peut-on forcer les opérateurs à s’y engager, avec un lien juridique ?» En réalité, pour que la technologie embarquée dans ces véhicules soit réellement utilisée, il est primordial de disposer d’un cadre réglementaire plus solide. Pour le dire simplement, «gérer la mobilité dans une métropole, c’est un subtil dosage entre expertise numérique et expertise juridique». Et il y a évidemment là une montée en compétence absolument essentielle à réaliser chez les donneurs d’ordres. Prenons l’exemple de la vitesse : à Paris, selon Florent Giry, «les opérateurs n’ont pas suivi la demande de la Ville d’étendre la limitation à 10 km/h en dehors des zones piétonnes». Cela montre les limites du cadre non réglementaire, mais aussi et sûrement de décisions un peu trop «grossières».

Alors comment sortir du statu quo et faire de la technologie un levier de régulation ?

La démarche lancée par Clément Beaune est quoi qu’on en dise intéressante. Elle montre que le cadre réglementaire ne doit pas être uniquement traité par les municipalités : l’échelon national (voir même européen) est important. Et en même temps, le document partagé en ligne ne va pas assez loin sur le volet numérique. Côté opérateurs, on propose une simple charte dans laquelle, évidemment, chacun d’entre eux s’est déjà engagé. Celle-ci leur demande de «collaborer avec les collectivités pour faciliter le pilotage des services», à savoir «une réactivité quotidienne aux demandes des collectivités, un partage des données d’usage en temps réel (format MDS ou GBFS) et/ou par le biais de rapports mensuels et enfin la réalisation d’enquêtes régulières pour informer les collectivités de l’usage des services sur leur territoire». C’est cohérent mais pas assez précis, ni prescriptif. Cela ne dit pas non plus comment ces éléments s’articulent avec les prérogatives locales. Comment le cadre national et le cadre municipal peuvent-ils s’imbriquer ? cohabiter ? discuter en bonne intelligence? Rappelons qu’au-delà de Paris, 200 villes possèdent des systèmes de trottinettes en libre service.

Il va falloir aller beaucoup plus loin, car les trottinettes ne sont que le début. La métropole de demain, c’est un espace public utilisé par des vélos en libre service, avec ou sans station, des trottinettes, des engins hybrides entre ces deux objets, mais aussi des livraisons plus nombreuses, des VTC ou encore après-demain des taxis autonomes. On entend déjà la douce musique de certain-e-s élu-e-s qui souhaiteraient réguler Uber, ou d’autres mastodontes du secteur. Il va falloir être plus solides pour éviter les décisions clivantes. Sommes-nous à jour sur la digitalisation de notre espace public – pour mieux l’allouer ? De nos bordures de trottoirs (les Américains appellent cela le curbside management) pour gérer les potentiels conflits ? Avons-nous avancé sur l’ouverture des données d’usage, notamment des opérateurs privés – sinon comment les suivre et les réguler ? Sommes-nous au courant des derniers standards internationaux de données – sinon comment utiliser le numérique?

Plutôt que de «Smart City», concept assez fourre-tout, c’est bien d’une réelle collaboration numérique dont nous avons besoin, avec l’ensemble des acteurs des nouvelles mobilités, et en dépassant les simples limites des municipalités. JdL

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