Mobitelex 412 – 12 mai 2023

Voir dans un navigateur

Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

/ / /

Le fond de l’air n’est pas très fret 

La Commission européenne va préciser les termes de la discontinuité juridique imposée à Fret SNCF dans l’affaire des aides d’Etat illégales depuis 2006. Pour l’instant, la réponse de l’Etat français est faible.

Dans quelques jours la Commission européenne notifiera sa décision relative aux aides d’Etat dont a bénéficié Fret SNCF depuis 2006 (lire Mobitelex 406). Et que se passe-t-il ? Rien, ou presque. La maison va brûler, et le gouvernement bricole.

On a compris que dans le contexte politique actuel il était davantage préoccupé par des considérations d’ordre général: parler aux Français de leur vie quotidienne, éviter les casserolades, obéir au grand chef, et accessoirement pour certains ministres préparer la suite. Alors, la vieille histoire de Fret SNCF, pfft, on la gère en catastrophe, alors même qu’elle aurait pu donner lieu à une nouvelle vision stratégique, partagée avec l’ensemble des acteurs. Gouverner c’est anticiper ?

La crise Covid n’a pas rendu la Commission amnésique sur les aides d’Etat

Certes, ce sont les exécutifs d’avant 2017 qui portent l’essentiel des responsabilités – le gouvernement d’Edouard Philippe a plutôt bien œuvré au rétablissement de l’activité par sa filialisation, sa «contribution» aux 5 milliards d’aides se limitant à 170 millions versés le 1er janvier 2019. En pure perte, d’ailleurs : la crise Covid n’a pas rendu la Commission amnésique, elle a juste retardé de deux ans l’inéluctable application du droit européen. Mais quand on est aux affaires de la France, on assume tout… d’autant que nombre des dirigeants actuels (Emmanuel Macron et Elisabeth Borne, pour ne citer qu’eux) ont cautionné ces aides illégales dans leurs postes précédents.

Et pourtant ils savaient… Présidents, Premiers ministres, ministres, hauts fonctionnaires, dirigeants de la SNCF, tous savaient qu’à partir de 2006 les recapitalisations et les aides diverses étaient prohibées. Le régulateur (l’Araf puis l’Arafer) ne s’est pas privé de les alerter, comme tant d’autres. Qu’ont-ils pu se raconter pour ignorer si superbement l’évidence ? Que les dirigeants de la Commission allaient changer? Qu’ils n’oseraient pas faire ça à la France? Qu’on allait pouvoir négocier en loucedé ? Ou, encore plus lâchement, que les successeurs verraient plus tard ?

Sauf à ce que la France choisisse la voie aventureuse d’une contestation juridique (la matérialité des aides d’Etat est établie, malgré l’argument hallucinant interjeté par nos autorités : «Puisqu’elles n’ont pas marché on ne plus les qualifier ainsi »), les impératifs de la discontinuité juridique imposée par Bruxelles vont provoquer des dégâts, c’est-à-dire un démantèlement de la structure actuelle. Jusqu’où ? Dans quelles proportions ?

Au lieu d’aider la filière dans son ensemble à relever le défi de la croissance et de la décarbonation du transport de marchandises, le gouvernement tergiverse et semble pétrifié : annulation cette semaine d’une visite du ministre Beaune à Valenton, report d’une réunion au ministère avec 4F. Pendant la grève des retraites SNCF Réseau a fermé des postes de signalisation la nuit, ce qui a affecté les opérateurs de fret et poussé des milliers de camions supplémentaires sur les routes, dans le silence général.

A rebours des déclarations d’amour aux camions sur les trains depuis vingt-cinq ans et plus, le fond de l’air n’est décidément pas fret du tout, et cela ne va pas vraiment favoriser la lutte contre le réchauffement climatique. G. D.

. . .

GRAND PARIS EXPRESS

Keolis, une victoire importante

En remportant l’exploitation des lignes 16 et 17 du Grand Paris Express au détriment de RATP Dev et d’ATM/Egis (lire notre MobiAlerte 106), la filiale de la SNCF et de la CDPQ s’octroie une référence de choix dans le métro automatique et accroît sa présence en Ile-de-France.

L’Histoire retiendra peut-être que le 30 mai prochain, Ile-de-France Mobilités confiera à un autre opérateur que l’opérateur historique du métro parisien l’exploitation de deux nouvelles lignes, les 16 et 17. Une petite révolution. Même si le Grand Paris Express est un nouveau réseau dont la maîtrise d’ouvrage lui avait déjà échappé, même si elle garde le monopole de la gestion de l’infrastructure, même si la mise en concurrence comportait de facto l’hypothèse de la fin de son monopole d’exploitation, la RATP est brutalement placée devant une nouvelle réalité qui la ramène à un statut un peu plus «normal», dans un cadre ouvert et régulé. Même si sans surprise la gauche de la gauche hurle à la privatisation, confondant encore une fois privatisation et délégation de service public.

Qu’a-t-il manqué à la RATP pour prolonger son bail, ou qu’est-ce que Keolis a mieux fait qu’elle ? Le prix, la maintenance du matériel, les services ? A ce stade il est difficile d’établir les éléments de la décision d’une autorité organisatrice qui fait un sans-faute depuis le lancement de la procédure, aussi bien en termes d’organisation que de confidentialité. Mais on peut émettre quelques hypothèses.

D’abord Keolis s’est présenté seul.

Dans un contexte déjà compliqué, avec l’Etat qui a imposé RATP GI comme gestionnaire d’infrastructure des lignes du nouveau réseau Grand Paris Express, c’était probablement un facteur de réassurance. A l’inverse, la RATP avait fait le choix de partir avec deux alliés, Alstom pour la maintenance et le singapourien ComfortDelGro pour les services. Mais une logique de cohérence sur le papier n’est pas forcément un atout dans la préfiguration des situations réelles. Alstom fournit le matériel roulant et entendait aussi le maintenir ? Et si finalement pour l’autorité organisatrice, cette «gourmandise» était source d’inquiétude ? D’ailleurs, selon nos informations, sur l’appel d’offres de la ligne 18 RATP Dev montera seul à la bataille…

Candidater seul, avec une équipe projet compacte et expérimentée, ne signifie pas pour autant que Keolis ne s’est pas entouré de précieux conseils. Selon nos informations TFL (Transport for London) lui a fourni une sorte d’audit externe ; vu l’excellente réputation de l’autorité organisatrice londonienne, cela a pu crédibiliser son dossier. Tous les détails comptent.

Le retentissement de cette attribution est bien supérieur aux montants en jeu.

Pour Keolis, c’est en effet une référence supplémentaire dans les métros automatiques, très visible dans le monde entier, dans une région Ile-de-France dont elle a fait un terrain de croissance prioritaire.

Pour autant les années qui viennent seront compliquées. D’abord du fait du calendrier des mises en service: fin 2026 pour Saint Denis-Pleyel/Clichy Montfermeil + la branche nord de la 17 jusqu’au Bourget, fin 2028 pour le bouclage Clichy Montfermeil/ Noisy-Champs et le prolongement au nord vers le Parc des Expositions. Il n’est jamais simple de raccorder un tronçon en pleine exploitation, même s’il s’agit d’infrastructures neuves. Ensuite, quand dans un an, mi-2024, Keolis prendra en charge la gestion de la gare Saint-Denis Pleyel, elle y trouvera… la RATP, qui y aura préparé l’arrivée de la ligne 14. Bon, on gage que les deux entreprises, qui ont été capables de s’allier pour CDG Express, sauront faire taire leurs rivalités sur le terrain.

La suite de l’Histoire et de cette rivalité commerciale Keolis/RATP sur le Grand Paris Express s’annonce particulièrement intéressante. En recueillant les BAFO (best and final offer) pour l’exploitation de la ligne 15 mercredi 10 mai, c’est-à-dire la veille de l’annonce du candidat pressenti pour les lignes 16 et 17, IDFM a opportunément évité que le perdant ne choisisse de se refaire la cerise en cassant les prix sur la ligne 15. Le jeu paraît donc totalement ouvert sur la suite. Malin.

C’est la dernière leçon de ce premier d’appel d’offres : IDFM a montré une compétence très fine dans son rôle d’AO adjudicatrice de contrat de service public. Avec une durée de sept ans, y compris la pré-exploitation, + trois fois une année supplémentaire, pour ces lignes 16 et 17, cela lui permet d’affronter tous les scénarios pour le bouclage de la ligne 17 vers Le Mesnil-Amelot, «à l’horizon 2030». Gouverner, c’est anticiper…


TET, TER

La concurrence en zig-zag

Nombre d’opérateurs privés se montrent désabusés et renoncent à aller au bout des procédures, au vu des difficultés des autorités organisatrices à organiser la compétition.

Une précaution, pour commencer : le ferroviaire interconnecté, c’est bien plus compliqué que des lignes de métro automatiques en site protégé (lire ci-dessus). Mais quand même, la mise en place très laborieuse des procédures d’appels d’offres des TER et des Intercités pose problèmes. AMO insuffisamment expérimentées, autorités organisatrices sous-staffées voire lacunaires sur certains sujets (le matériel notamment), toujours est-il que les critiques s’accumulent sur leurs capacités à bien mener les opérations d’ouverture à la concurrence.

Pour les Intercités, il y a d’abord eu un premier marché déclaré infructueux sur Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon – seule la SNCF avait répondu il y a deux ans et demi. Pour la deuxième tentative, actuellement en cours, la phase de pré-candidatures était prometteuse : au moins quatre entreprises et groupements se sont vus récemment communiquer le DCE (dossier de consultation des entreprises), pour une réponse à l’automne. Las ! l’euphorie sera de courte durée pour la DGITM : selon nos informations Arriva aurait déjà décidé de renoncer, et sera probablement imité par le duo Renfe-CAF. Ne resteraient plus que la SNCF et Le Train, le jeune pousse du sud-ouest alliée à deux partenaires industriels hexagonaux. Vous avez dit intensité concurrentielle ? La question du centre de maintenance, qui avait déjà dissuadé Transdev d’aller au bout en 2020, semble cristalliser à nouveau les critiques des opérateurs privés.

Pour les TER, après la belle entrée en matière de la région Sud-Paca en novembre 2021 (une attribution à Transdev, l’autre à la SNCF), c’est aussi plus chaotique. Grand-Est n’en finit pas de galérer, Bourgogne Franche-Comté a foncé tout droit puis s’est rétracté, Aura entretient encore le flou, quand la plupart des autres régions choisissent de repousser courageusement l’échéance en renouvelant leurs conventions. Certes, Hauts-de-France est allé au bout, avec la victoire de SNCF Voyageurs sur l’étoile d’Amiens, mais la dernière ligne droite fut un brin confuse.

On attend désormais le verdict des Pays-de-Loire sur le lot Sud et Nantes-Chateaubriant. Arriva aurait été exclu de la compétition en fin de parcours, ne resteraient en lice que SNCF Voyageurs, RégioNéo et Transdev.

Sur le front de l’open access, les choses sont assez différentes. Les difficultés de Railcoop, notoirement sous-capitalisé, qui vient de renoncer à son activité fret trop déficitaire et consommatrice de cash, ne sauraient assombrir le succès de Trenitalia, dont les taux de remplissage sur Paris-Lyon s’améliorent aux alentours de 60% et qui contribue à la fois à la croissance de l’offre sur le faisceau sud-est et à une baisse des prix (-7%). Mais sur ce marché, pas besoin de courbe d’apprentissage pour les autorités organisatrices…


COLLOQUE


1er juin 2023, colloque d’Avenir Transports avec Mobilettre
Maison de la Chimie, 28, rue Saint-Dominique – 75007 Paris


La décarbonation pour tous

Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre obligent l’ensemble des acteurs de la mobilité à améliorer leurs bilans carbone. Cette matinée d’Avenir Transports a pour objectif de dresser un panorama des stratégies à l’œuvre dans le secteur.

Inscriptions

Le programme du colloque

BILLET

Le vélo, point trop n’en faire

Et hop ! tous les six mois une annonce vélo par la Première ministre, avec de plus en plus de ministres dans sa roue. Plus la communication gouvernementale est entravée, plus l’équation politique de l’exécutif est compliquée, et plus le vélo fait figure d’objet politique facile à manipuler.

Une annonce vélo ne coûte pas très cher (2 milliards sur plusieurs années, c’est rien à l’aune du quoi qu’il en coûte), elle permet d’embarquer les collectivités locales et la plupart des associations tout heureuses d’être à pareille fête. Quelques belles images, dans la cour de Matignon ou sur le macadam, qui font le tour de la France!

La croissance de l’usage du vélo tient beaucoup à la qualité des aménagements

Pourquoi ce zeste d’ironie, alors que Mobilettre défend depuis longtemps la nécessité de la croissance des modes actifs ? Parce que la succession d’annonces verticales néglige la construction d’un écosystème et la diffusion d’une culture vélo seules à même de pérenniser les pratiques.

Rassurez-vous, on va dire les choses plus simplement : la croissance de l’usage du vélo tient à la qualité des aménagements et pas seulement aux millions alignés, à la compétence des ingénieurs et des urbanistes qui vont organiser la voirie et les trottoirs de façon apaisée et harmonieuse, à l’absence de discontinuités des pistes cyclables, à la sécurisation des parcours et des stationnements, à la pédagogie des plus jeunes, à la répression des conducteurs motorisés irrespectueux – on pourrait continuer longtemps.

Autrement dit, il est indispensable que le développement patient et continu des modes actifs se fasse désormais à l’ombre des passions politiques, qui par nature sont temporaires. Le vélo n’est plus tant un enjeu de communication national qu’une priorité industrielle, urbanistique et routière. Au travail. G. D.



Abonnement à Mobilettre

Choisissez votre expérience de Mobilettre. Livré par mail, disponible en lecture sur tous les supports.

En savoir plus

Suivre Mobilettre     icone-twitter   icone-facebook

www.mobilettre.com

Les Editions de l’Equerre,
13 bis, rue de l’Equerre, 75019 Paris

logo-footer

Se désinscrire