Mobitelex 420 – 7 juillet 2023

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Vertige de l’histoire

La SNCF va produire elle-même de l’électricité solaire à partir de ses emprises. Il y a vingt ans elle vendait la Shem, aujourd’hui le troisième producteur français d’énergie hydraulique.

Le projet fut d’abord repoussé par Jean-Claude Gayssot en 2001 : pas question de privatiser la Shem (Société hydroélectrique du Midi). Tombée dans l’escarcelle de la SNCF lors de sa création en 1938, elle assurait à la fin du siècle dernier un tiers des besoins en électricité de traction ; un petit groupe d’ingénieurs passionnés lui assurait une performance continue et un développement original, qui rendaient malades les «maîtres» d’EDF.

Et puis, on l’oublie souvent, les raisonnements financiers ont fait la loi dans de nombreuses entreprises publiques, dès les années Jospin. La Shem n’étant pas «un actif stratégique» eu égard le métier principal de la SNCF, à savoir l’exploitation ferroviaire, s’il est bien valorisé sur le marché il n’y a pas de raison de le garder : ainsi argumenta Louis Gallois. Après le retour de la droite au pouvoir en 2002, le projet de vente est relancé ; il aboutit en 2006 à une cession à Electrabel (groupe Suez), pour un peu plus de 500 millions d’euros.

Rappelons le contexte : il y a vingt ans, à la fois les dirigeants de la SNCF luttaient contre la culture de l’intégration verticale (on voulait ou on savait tout faire dans la maison) et surtout, il fallait tellement trouver des ressources financières nouvelles que l’Etat était prêt à vendre quelques bijoux de famille. La privatisation des autoroutes, après une première ouverture du capital sous Jospin/Borne, c’est aussi en 2006…

Là où l’Histoire bégaie sérieusement, c’est que l’argent ainsi récupéré a servi à acheter les fameuses loc fret, qui allaient deux ou trois ans plus tard passer à zéro en valeur nette comptable. Ou comment un dirigeant pouvait tout à la fois se montrer un gestionnaire rigoureux (et vendre l’actif Shem) et un piètre stratège (se tromper si lourdement sur le fret). Le bilan n’est pas très brillant.

On serait tenté aujourd’hui de refaire l’Histoire, à l’aune d’une énergie rare et chère. Et si… L’exercice est un peu facile : il n’y a que les conservateurs et les idéologues qui ne se trompent pas. Mais on peut quand même regretter l’excès d’influence des logiques budgétaires et comptables, au détriment d’une vision industrielle. Sur le palier de l’immeuble de la rue du Commandant Mouchotte, au moment de quitter la SNCF en juillet 2006, Louis Gallois nous confiait ne pas regretter de ne plus devoir se coucher devant ces jeunes cadres de Bercy qui lui corsetaient ses achats. Les mêmes, ou leurs successeurs, ont-ils influencé la forte diminution du parc de rames TGV qui place aujourd’hui la SNCF à contre-temps de l’Histoire (lire ci-dessous)? G. D.

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STRATEGIE

SNCF Renouvelables, pour renouveler la SNCF ?

Si Jean-Pierre Farandou tient autant à porter le projet d’installations de 1000 MWc de capacités photovoltaïques sur 1000 hectares d’ici 2030, c’est aussi parce qu’il redonne ainsi à la SNCF une force stratégique, après tant d’années sous la férule des comptables de la République.

Après tout, SNCF Réseau et Gares & Connexions auraient pu largement porter le projet «Renouvelables», puisque c’est très majoritairement sur leurs emprises que seront installés les panneaux photovoltaïques destinés à produire 15 à 20% de l’électricité qu’elle consomme en 2030 (et pourquoi pas dix fois plus en 2050, soit une perspective d’autosuffisance). Mais le PDG de la SNCF a voulu donner une toute autre ampleur à son ambition énergétique, que les budgets contraints des gestionnaires d’infrastructures auraient probablement altérée.

Au-delà du clin d’œil appuyé à l’Histoire et à la Shem (lire ci-dessus), symbole d’une «SNCF en grand» qui était capable de tout faire, il essaie de s’émanciper de l’encombrante tutelle d’un Etat à l’affût de ses marges retrouvées grâce au succès de fréquentation du TGV et à l’efficacité redoutable du yield management. La SNCF voudrait se ménager un peu d’air (pur) qu’elle ne s’y prendrait pas autrement.

Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, et Clément Beaune, ministre des Transports, ont évidemment adoubé l’initiative en la parrainant personnellement ce jeudi 6 juillet au siège de la SNCF à Saint-Denis : comment auraient-ils pu ne pas le faire, ou s’en attribuer une part de responsabilité, alors que la planète est en surchauffe et que la mise au point des nouvelles centrales nucléaires est aussi lente qu’un sprinteur fatigué dans l’ascension du Tourmalet ?

«SNCF Renouvelables», c’est aussi et surtout une façon pour la SNCF de reprendre l’initiative sur ses fonds propres (1 milliard d’euros d’investissement amortis probablement en une quinzaine d’années), sans que Bercy n’y trouve à redire, et sur le foncier considérable qu’elle détient sans souvent savoir quoi en faire. Ajoutez à cela une bonne dose d’innovation (comment exploiter des panneaux le long des voies, par exemple), et le recours à des partenaires (territoires, industriels, financiers) à la recherche de solutions décarbonées à court terme, et vous obtenez un projet d’utilité citoyenne digne de la grande SNCF… A l’heure où les 100 milliards du ferroviaire ressemblent de plus en plus à l’arlésienne parce que Bercy reste foncièrement convaincu qu’ils arroseront le sable, la SNCF (re)prend son destin énergétique en mains. La priorité écologique fait des miracles.


MATERIEL

Rames TGV : pour réduire la pénurie, Botox et dentelle

SNCF Voyageurs cherche à augmenter le nombre de rames en circulation par la prolongation de leur durée de vie et une optimisation de l’utilisation du parc.

Les rames TGV de la SNCF étant pourtant un actif public, avec les obligations qui s’y rattachent, leurs statistiques (nombre, âge, radiations) sont aussi bien protégées que l’Elysée un jour de manifestation place de la Concorde. Mobilettre a de bons espoirs de les récupérer, histoire de mieux comprendre la pénurie actuelle de rames eu égard la demande exprimée par les Français. «Nous ne pouvons assurer 15 à 20% de la demande longue distance», évaluait récemment devant nous Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF.

Selon nos décomptes, le parc actuel avec la livraison des dernières rames Océane se stabilise aux alentours de 400 rames aptes à circuler, alors qu’à son apogée, en 2013, il était à 520 rames. A confirmer… D’importantes radiations (TGV Sud-Est, TGV Atlantique) ont été programmées depuis dix ans, jusque ces dernières années, en 2020 et 2021, quand l’envoi de 14 rames en Espagne a aussi contribué à dégarnir les rangs. Les nouvelles commandes passées (Océane) et à venir (TGV-M) ne suffiront pas à absorber la croissance de la demande, réelle depuis la fin de la pandémie et la prise de conscience écologique, ou planifiée («le X2 en dix ans»).

Comment faire ? Nos confrères des Echos ont évoqué récemment le programme Botox, destiné à prolonger la durée de vie des rames aujourd’hui en circulation jusqu’à cinquante ans. Il est en cours de validation par SNCF Voyageurs. Ce n’est pas une mince affaire, il s’agit même d’un très grand défi industriel : méthodes et calendriers de révision, évaluation et surveillance de la résistance des organes et composants, adaptation de la maintenance prédictive…

Mais on comprend l’enjeu : les premières rames TGV-M ne sont pas attendues en service commercial avant 2024 (si tout va bien…), et l’accélération de leur calendrier de livraison que souhaite – ou va exprimer ? – la SNCF n’est pas évidente, vu la tension de production sur tous les sites d’Alstom. La direction du Matériel est donc contrainte de faire dans la dentelle, afin de faire circuler le parc cet été au maximum de sa capacité, sans prendre de risque avec le nombre de rames de réserve en cas d’incident matériel.

Pendant ce temps, les concurrents avancent et prennent des initiatives…

Trenitalia, Renfe, Le Train : l’effervescence

A tout seigneur tout honneur, commençons par Trenitalia, le premier opérateur à affronter la SNCF sur son marché domestique. Selon nos informations l’été s’annonce très bon : beaucoup de trains complets, un taux moyen de réservation entre 80 et 85% sur Paris-Milan, et cet été sur Paris-Lyon à au moins 70%. On attend la suite : amplification de l’offre sur ces deux origines-destinations et/ou ouverture de nouvelles lignes ? Malgré une offre encore limitée sur Paris-Lyon (cinq aller-retours quotidiens), une notoriété encore insuffisante et l’absence de distribution sur SNCF Connect (même si la Commission souhaite une ouverture complète des plates-formes), Trenitalia compte sur un bouche à oreille positif et une croissance continue de la demande pour continuer son développement, avant de devoir absorber le coût de péages sans ristourne.

Nul doute que son directeur France, Roberto Rinaudo, dont le mandat a été récemment renouvelé, observe avec attention les appétits de la Renfe. En lançant vendredi prochain une liaison Lyon-Barcelone à 19 euros en prix d’appel, puis le 29 juillet un Marseille-Madrid à 29 euros, l’opérateur public espagnol entend faire payer à la SNCF son désengagement d’Ellipsos (qui exploitait en commun le trafic transfrontalier) et son offensive commerciale et tarifaire en Espagne. 31 000 billets déjà vendus, a annoncé la Renfe hier jeudi : c’est plutôt un bon début, même si la dynamique des liaisons reste à confirmer hors période estivale. Il faudra aussi surveiller la qualité de l’exploitation et la régularité des trafics, car jusqu’ici, les méthodes d’implantation de la Renfe sont apparues parfois désordonnées, au regard de ce que demande une exploitation ferroviaire quotidienne. Enfin, l’arrivée sur des parcours intégralement domestiques en 2024, comme Paris-Lyon ou Paris-Marseille, signera une nouvelle ère sur le réseau français, à l’image de ce qui se passe en Espagne où sont déjà présents les trois rivaux français, espagnols et italiens.

Pour Le Train, la nouvelle compagnie du Grand Ouest qui vient de lever 8 millions d’euros supplémentaires, l’heure est à la construction d’un système d’information solide, à même de permettre un parcours client novateur et enrichi. C’est la solution Paxone de Wiremind qui a été choisie par le directeur général Alain Gétraud et ses équipes pour assurer l’inventaire et la personnalisation du parcours client. Prochaine étape, d’ici la fin de l’année, la poursuite et la fin du plan de financement, dédié au lancement des recrutements et aux opérations de pré-exploitation. Rappelons que le partenariat industriel signé avec Talgo en janvier dernier prévoit la livraison de dix rames neuves en vue d’une exploitation commerciale en 2026.

Enfin, Rachel Picard, ex-patronne des TGV de la SNCF, a confirmé la semaine dernière à Mobilettre préparer l’arrivée sur le marché d’un nouvel opérateur grande vitesse. Le petit milieu des fonds d’investissements, pourtant habituellement discret, bruisse depuis plusieurs mois d’un tel projet. Le premier défi de Rachel Picard consiste à convaincre lesdits investisseurs à se lancer sur un marché à fort investissement capitalistique d’entrée, sans vrai référentiel existant de rentabilité. La forte croissance de la demande de mobilité ferroviaire, en France et en Europe, constitue à cet égard un élément d’encouragement, couplé aux perspectives d’un marché européen de l’occasion qui diminuerait le risque financier sur les actifs matériels.

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BILLET

Chat ne va pas très bien

Les Français s’étaient enflammés pour l’affaire du chat Neko mort sous un TGV à la gare Montparnasse. Le verdict du Tribunal de police a été rendu dans l’indifférence générale. Le voici.

On s’était promis de traiter l’histoire de l’affaire du chat de Montparnasse par un très discret miaulement dans nos colonnes, à l’exact opposé de son écho médias et réseaux sociaux, absolument considérable, jusqu’à provoquer une pétition de 100 000 signatures, une (petite) manifestation de soutien à Bordeaux des deux plaignantes et un commentaire public du ministre Clément Beaune. Non pas que nous ne partagions pas à Mobilettre la sensibilité contemporaine à la cause animale, mais enfin, on ne voyait pas très bien ce que nous avions à rajouter à cette polémique publique. Il y a une hiérarchie dans les problèmes du monde.

Et puis le verdict du tribunal de police (puisque la qualification de l’infraction par le procureur était contraventionnelle et non délictuelle) est tombé en début de semaine, sans la présence à l’audience d’aucune des parties. Très peu de reprise médiatique cette fois-ci, tout le monde s’en fout désormais. La justice passe dans l’indifférence presque générale.

Alors voici le verdict: la SNCF a été reconnue coupable de négligence, et condamnée à verser 1000 € d’amende et 1000€ de dommages et intérêts à chacune des deux plaignantes, propriétaires du chat Neko.

Tout chat pour ça?

Les verdicts équilibrés ne font pas le poids face aux buzz. Celui du 4 juillet va inciter la SNCF à revoir ses procédures, peut-être sur le modèle des Anglais chez lesquels la cause est animale est mieux prise en compte. Mais il évite l’hallali : on a quand même publiquement accusé une entreprise d’avoir «sciemment écrasé» un chat qui avait disparu sous la rame à quai, alors que ses agents ont privilégié la continuité de service un jour de grande affluence plutôt qu’un blocage des circulations, faut d’assurance de retrouver ledit félin dans des délais raisonnables, ni aucune certitude, évidemment, sur son funeste destin. G. D.


TER

Sur Marseille-Nice, 30 salariés se portent volontaires pour aller chez Transdev

Prochaine étape, la désignation fin juillet des salariés transférables

Faute de référentiel, on va se garder d’appliquer un qualificatif définitif à ce chiffre : 29,8 salariés de la SNCF se sont portés volontaires pour aller chez Transdev Rail Sud Inter Métropoles, futur exploitant du service TER Marseille-Nice, soit 30% des effectifs transférables (au nombre de 102). Si l’on regarde dans le détail, les conducteurs (11) et surtout les agents de maintenance (15) sont les plus séduits, alors que les agents de la relation client n’ont guère envie de changer de crèmerie.

On aurait tendance à dire que cette proportion révèle une certaine attractivité du nouvel opérateur, qui a pu envoyer aux agents SNCF, le 23 février dernier, des informations sur leur entreprise. La majorité des agents restent dans l’expectative, en attendant la suite de la procédure.

Justement, la prochaine étape c’est la désignation des salariés transférés. Ces derniers recevront une lettre de la SNCF vers le 20 juillet. Des rencontres collectives sont d’ores et déjà prévues à Marseille et à Nice, dans la foulée, et sur leur demande les agents transférables pourront solliciter des entretiens individuels avec Transdev – qui ne disposera pas à ce stade des coordonnées des agents désignés, lesquels auront deux mois pour, s’ils le souhaitent, refuser leur transfert.

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Franck Tuffereau va quitter l’Afra

Délégué général de l’Afra (association des opérateurs alternatifs), Franck Tuffereau s’apprête à passer la main à l’automne prochain, à l’issue du colloque annuel de l’association.

PRECISION

Notre dernier article sur l’AFA (autoroute ferroviaire alpine), lire Mobitelex 419, faisait état des difficultés à sortir l’appel d’offres consécutif aux menaces de la Commission européenne d’arrêter le service de ferroutage en fin d’année. C’est trop hâtivement que nous avons attribué la première responsabilité de ces difficultés à l’Etat français victime de sa «nébuleuse administrative» tout en saluant la mobilisation des Italiens. Car selon nos nouvelles informations, après de premières discussions bilatérales au printemps, ces derniers ont tardé à déterminer leur position définitive sur le contenu de l’appel d’offres et à la communiquer aux Français, impatients quant à eux d’aboutir lors de la réunion de la Commission intergouvernementale du 22 juin. Manifestement, les sanctions européennes consécutives aux aides d’Etat en faveur de Fret SNCF nous convainquent de ne plus procrastiner en la matière. Dont acte.

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