Mobitelex 437 – 11 janvier 2024

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Transports, l’absence

Il n’y a pas eu de miracle pour Clément Beaune: les chefs de l’exécutif viennent d’exclure du gouvernement son «dissident» le plus célèbre, fût-il très temporaire puis contrit. Un ministre, il ferme sa gueule ou il démissionne ? En l’occurrence, il est remercié, malgré un compagnonnage de dix ans avec Emmanuel Macron. Gabriel Attal n’a plus de rival trentenaire au gouvernement. La politique est impitoyable.

Personne ne lui succède avec rang de ministre – peut-être un secrétaire d’Etat à venir, confié à Jean-Marc Zulesi ? Les transports sont au cœur de la vie quotidienne et des enjeux de transition écologique, mais ils sont à nouveau mal traités, comme avant 2017. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les professionnels du secteur : un secrétaire d’Etat pèsera moins dans les arbitrages. Rien ne dit que Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, s’emparera d’un sujet qu’il avait délégué à Clément Beaune. Et tout se passe comme si Bruno Le Maire, furieux de l’activisme de Clément Beaune sur plusieurs sujets, reprenait la main de facto sur les investissements et l’économie de la mobilité.

Vendredi 12 janvier, triste jour pour un secteur qu’on avait cru devenir, au fil des années, un enjeu politique de premier ordre. Retour à l’ingratitude. G. D.

Beaune, un premier cru ?

Mobilettre avait salué son arrivée en juillet 2022 avec un jeu de mots : «Clément Beaune, sous les meilleurs auspices». On le quitte sur une question : «Beaune, un premier cru ?»

A son grand regret il n’aura pas eu le temps de prétendre à un bilan sur le temps long : dix-huit mois aux Transports, c’est aussi frustrant qu’une semaine pour découvrir Paris. Jeune homme pressé, il n’a pas réussi à faire de son exercice ministériel un tremplin politique, malgré ses efforts. Le Passe Rail, ce n’est pas aussi efficace que l’interdiction de l’abaya. Surtout, c’est trop court pour récolter les fruits d’un authentique investissement personnel, notamment sur l’Ile-de-France et les Jeux Olympiques.

Mobilettre écrivait en juillet dernier : «Clément Beaune, c’est trop», pour critiquer ses nombreuses sorties sur les contrôleurs SNCF ou les tarifications (lire Mobitelex 419). Boulimique de médias pour se construire une notoriété, il a fini par se brûler les ailes sur la loi Immigration, par une initiative maladroite sur la forme, fort honorable sur le fond – on retiendra qu’il fut condamné pour une boucle Whats App nommée valeurs… Il pourra peut-être se consoler: sortir d’un gouvernement où rentre Rachida Dati, c’est estimable.

Il s’est attaqué à quelques sujets structurants qui lui ont valu l’animosité de Bruno Le Maire

C’est difficile de reprocher à Clément Beaune une forme d’impatience quand on mesure la «réussite» parallèle de Gabriel Attal, qui a choisi des sujets périphériques pour marquer l’opinion : l’abaya, le harcèlement, l’uniforme. Pour le relèvement d’une Education nationale en grave crise, on attendra. Clément Beaune, au contraire, s’est attaqué, en parallèle à ses marottes médiatiques, à quelques sujets structurants qui lui ont valu l’animosité de Bruno Le Maire, comme la stabilisation des budgets d’IDFM grâce notamment au relèvement des plafonds du Versement Mobilité, ou le projet de réforme des péages ferroviaires.

Clément Beaune est remercié à quelques mois des Jeux olympiques dont il avait pris à bras-le-corps la préparation de l’offre de mobilité avec le préfet Cadot, Valérie Pécresse et les opérateurs. Il en conçoit certainement de l’amertume… après s’être séparé sans ménagement de son DGITM Thierry Coquil pourtant irréprochable. Une injustice chasse l’autre ?

Après plusieurs années dans un ministère de la parole (aux Affaires européennes), Clément Beaune avait fait le choix de se construire une stature politique dans un domaine plus «consistant», les Transports. Sa trajectoire est entravée. Il va devoir passer par la case député de base pour se (re)construire une identité politique. G. D.

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ANALYSE

Fret à la SNCF : une nouvelle organisation pour préparer la suite

Objectif : ouvrir le capital de Rail Logistics Europe à des actionnaires minoritaires. La moitié des membres du comité exécutif changent d’affectation.

C’est par un match en trois manches que se joue l’avenir du fret à la SNCF, depuis l’annonce du plan de discontinuité de Fret SNCF négocié par la France avec la Commission. La première, c’est la cession de 23 flux de trafic, déjà réalisée aux deux tiers et qui sera achevée le 1er juillet prochain (lire Mobitelex 433). La deuxième, c’est la transformation de Fret SNCF au 1er janvier 2025 en deux sociétés nouvelles, une entreprise de transport mutualisé («New EF») et une entreprise de maintenance de locos fret («New EM»), avec à la clé une cession de 40% des actifs (matériel, terrains etc).

La troisième manche, c’est l’ouverture du capital de Fret SNCF à un ou plusieurs nouveaux actionnaires «avisés», de préférence publics, en co-contrôle. Et c’est celle-ci, décisive pour l’avenir du fret à l’intérieur du groupe SNCF, que Frédéric Delorme, président de RLE (Rail Logistics Europe) et de Fret SNCF a décidé de préparer dès aujourd’hui par un changement d’organisation et de gouvernance.

Le choix stratégique qui vient d’être validé par Bruxelles obéit à la loi de l’attractivité : il sera plus facile d’attirer des investisseurs sur un ensemble RLE performant que sur la seule «New EF» résultat du démantèlement partiel de Fret SNCF. Par conséquent, la mise en ordre de la holding RLE, qui intègre cette «New EF», apparaissait indispensable dès maintenant pour en vanter la valeur opérationnelle et financière au cours de l’année 2025, une fois le big bang juridique achevé, dans douze mois.

Frédéric Delorme, en authentique patron industriel, a saisi l’occasion pour à la fois adapter la gouvernance et redynamiser son équipe. Pas de grand mercato externe, mis à part le recrutement à venir d’un patron pour Naviland Cargo et Viia, mais une réorganisation de la holding RLE et une redistribution de plusieurs responsabilités.

Jérôme Leborgne, actuel directeur général de Fret SNCF, devient secrétaire général de RLE. Il sera notamment chargé de l’institutionnel, de la relation à 4F, de la mise en œuvre du plan de discontinuité en liaison avec la Commission, mais aussi de la RSE, dans le cadre d’un futur projet d’entreprise. Nicholas Giraud, actuel président De Captrain, devient directeur stratégie et développement de RLE, dans une logique 100% client, clairement business.

Charles Puech d’Alissac, actuel président de Naviland Cargo et Viia, deviendra le président de la «New EF» au 1er janvier 2025 – d’ici là il est directeur général de Fret SNCF.

Nicolas Gindt, actuel directeur de la stratégie et de l’innovation de RLE, devient le président de Captrain.

Tristan Rouzès, actuel directeur Performance, Transfoirmation et numérique de RLE, va préfigurer la «New EM», avant d’en prendre la présidence au 1er janvier 2025.

On prend les mêmes et on invente la suite ? Frédéric Delorme assume : «Je les garde tous ! Ensemble nous avons tenu compte des souhaits de chacun et des cycles de management pour nous projeter dans l’avenir de RLE», explique-t-il à Mobilettre. Cinq autres membres du Comex de RLE ne changent pas d’affectation : Cécile Gourdon (DRH), Sabine Parmentier (Forwardis), Luc Chaumette (directeur industriel), Anne-Laure Demory (communication et marques), Benoît Audhuy (Finances).

Cette réorganisation relative à une stratégie globale pour RLE a aussi probablement comme objectif de tourner le dos définitivement à une évolution «à la belge», suite aux déboires de Lineas, ou à un moratoire, tel que demandé mi-décembre par le rapporteur de la commission d’enquête sur le fret ferroviaire. En ouvrant la porte à un ou des actionnaires en co-contrôle, la SNCF veut se donner les moyens d’un futur développement. A vérifier, désormais, si les intentions des pouvoirs publics en matière d’investissements dans les infrastructures seront bel et bien concrétisées.


INDUSTRIE

Patrick Jeantet : ««On parle trop d’argent et pas assez de projets»

Le nouveau président de la FIF (fédération des industries ferroviaires) explique à Mobilettre les priorités pour la filière : visibilité des investissements, réforme de la commande publique, simplification des conceptions industrielles.

On a retrouvé Patrick Jeantet fidèle à lui-même : engagé, énergique, direct, persuadé que le ferroviaire est la solution d’avenir pour la grande vitesse, le mass transit, les relations intermétropoles et le fret. Adoubé en décembre comme successeur de Louis Nègre à la tête de la filière, il entend lui donner les moyens de mieux influencer les pouvoirs publics. Car le paradoxe actuel est terrible : on n’a jamais autant vanté les mérites du ferroviaire, mais on peine à produire et à attirer les capitaux nécessaires à son développement massif. Pire, Alstom est à court de cash et les sous-traitants trinquent.

«Le choc d’offre n’existera qu’à la condition d’une planification concrète des investissements»

L’ancien PDG de SNCF Réseau énumère pour Mobilettre les causes du hiatus. D’abord un manque de visibilité : pour un secteur qui dépend quasi intégralement de la commande publique, l’absence de programmation digne de ce nom pénalise lourdement la pérennité d’un appareil industriel performant et productif, sur la matériel roulant et encore davantage sur l’infrastructure. «Le choc d’offre n’existera qu’à la condition d’une planification concrète des investissements», affirme-t-il. Les quartiers généraux se gorgent d’annonces à milliards, mais ça ne suit pas en matière d’identification des projets. «On parle trop d’argent et pas assez de projets», déplore-t-il. Jean-Pierre Farandou et Patrick Jeantet sur la même ligne, décidément l’Histoire est pleine de rebondissements.

Deuxième lacune, la réforme de la commande publique, trop lente, qui provoque des trous de fabrication et s’adapte mal à l’innovation. Il faut parfois quatre ans de mise au point des cahiers des charges, puis deux ans de procédure avant qu’un industriel puisse engager son processus de fabrication. Pourquoi ne pas encourager davantage le dialogue compétitif ?

On en arrive à l’indispensable transformation des façons de faire des entreprises d’Etat (SNCF Réseau, SNCF Voyageurs, RATP), qui surspécifient leurs solutions au lieu de rentrer dans une co-conception simplifiée, plus standardisée, avec les industriels. «Je demande un planning par spécialité sur cinq ou dix ans afin de basculer dans un système de production massifiée», explique Patrick Jeantet.

On comprend que Patrick Jeantet aimerait bien faire grandir et grossir la FIF, afin d’influencer davantage l’Etat, les collectivités et les entreprises publiques, au service d’une programmation systémique plus ordonnée.

Roberto Rinaudo, la bella storia

Roberto Rinaudo a été sollicité il y a quelques semaines par ses dirigeants pour un nouveau challenge en Europe – et quel challenge : selon nos informations, il va diriger Hellenic Trains, en Grèce. Il est d’ores et déjà remplacé par Marco Caposciutti, directeur technique de Trenitalia depuis 2012.

Roberto Rinaudo incarnait depuis huit ans l’émergence de la concurrence ferroviaire en France, à la tête de Trenitalia. Il a su faire preuve de patience et d’obstination pour lever un à un tous les obstacles à la circulation de ses Fresciarossa, sachant élever le ton quand il le fallait sans jamais céder au plaisir de la polémique publique facile. Cet exercice d’équilibriste avec les différentes entités du groupe SNCF lui a permis de lancer une offre de qualité sur Paris-Lyon et Paris-Milan, là où certains prédisaient le chaos.

L’éboulement de septembre dernier en Maurienne a contrarié la poursuite d’une croissance des taux de remplissage et de rentabilité ; c’est à la mi-2024 que Trenitalia doit annoncer la suite de ses développements en Europe… et en France?

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AMENAGEMENTS

Vélo rural, le changement de doctrine

En milieu rural aussi des collectivités assument de renoncer à l’optimisation prioritaire du service automobile et choisissent de baisser les vitesses et de prendre de l’espace au bénéfice d’autres usagers de la route. Un séminaire du Cerema sur les aménagements cyclables hors agglomérations vient de faire un tabac.

Un record historique pour le Cerema. Malgré la technicité du sujet, pas moins de 1200 participants, agents des collectivités ou de l’Etat, consultants, associatifs, ont suivi pendant deux heures et demie, le 14 décembre, un webinaire consacré aux aménagements cyclables hors agglomération.

Contrairement aux idées reçues, les distances parcourues ne sont pas plus longues à la campagne qu’en ville. En revanche, la sécurité fait défaut. « La mortalité cycliste a progressé de 44% entre 2018 et 2022, alors que la pratique rurale n’a augmenté que de 18% dans la même période », note Valentin Puister, du Cerema.

Pour créer de toutes pièces un réseau sécurisé entre des villages ou dans les régions périurbaines peu denses, il existe trois manières de faire, résume Thomas Jouannot, expert vélo au Cerema depuis 13 ans : « construire des pistes en site propre, aménager des voies cyclables sur une partie des routes existantes, ou transformer le réseau secondaire pour améliorer sa cyclabilité ».

L’Ille-et-Vilaine a fait le choix numéro 1. De superbes rubans rouges de trois mètres de large ont été tracés le long de départementales et en franchissement de voies rapides, sur un pont ou en souterrain. Pour l’heure mal reliées au réseau existant, ces pistes constituent une partie du plan de 70 millions d’euros que le département consacre au vélo durant le mandat 2021-2027. Mais le principal enseignement réside sans doute dans le basculement des services départementaux, des « ex » de la DDE habitués à construire des routes, convertis à la création d’aménagements cyclables.

En Savoie, Nicolas Mercat, vice-président de l’agglo du lac du Bourget et ancien d’Inddigo, constate qu’« un réseau continu imparfait » convainc davantage que des pistes très réussies mais discontinues. Il en résulte un mélange de routes à faible niveau de trafic, de voies de bord de lac réservées aux piétons et cyclistes, de pistes en zones inondables. Il reconnaît que des solutions imaginées au départ ne sont pas aussi efficaces que prévu, que certaines propositions des associations pêchent par idéalisme, ou que tel aménagement mériterait une correction. Une humilité rare chez un élu, mais un atout pour convaincre ses pairs.

Dans la Manche, c’est le choix numéro 3 qui a été fait. Le réseau routier départemental, 7800 kilomètres, est suffisamment dense pour que les élus, qui ont la compétence voirie, aient décidé d’en soustraire une petite partie au profit des voies vertes. Un décret d’avril 2022 élargit opportunément la définition de ces voies qui ne sont plus seulement réservées à la marche et au vélo, mais peuvent être ouvertes aux riverains et aux engins agricoles. Ceci permet de convertir davantage de kilomètres sans bloquer le trafic local. Pour l’heure, dans le Cotentin, seuls deux tronçons ont été transformés, mais le département ne compte pas en rester là.

A voir les réactions dans le « chat » qui se déroulait à côté des présentations, ce qu’il est convenu d’appeler la « doctrine » en matière de vélo rural est encore mouvante. On s’interroge sur la pertinence des bandes cyclables, la couleur des pistes, leur éclairage, la forme des barrières ou le contrôle de la vitesse automobile. Mais le succès de la formation du Cerema montre que « les territoires » sont prêts, loin de l’image figée de campagnes forcément isolées où la voiture serait l’unique destinée.

A l’échelle du pays, le sort de l’immense réseau routier, 1,1 million de kilomètres toujours plus coûteux à entretenir, est posé. « Pendant des années, on a cherché à optimiser le service automobile, en rendant la conduite plus sûre et plus confortable. Aujourd’hui, des collectivités assument de percuter cette tradition et de baisser les vitesses, de prendre de l’espace routier pour le donner à d’autres usagers », conclut Thomas Jouannot.

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