Mobitelex 442 – 16 février 2024

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Notre hommage

Il ne suffit pas de louer les idéaux : écoutons aussi les critiques sur l’évolution d’une société qui nourrit le ressentiment social.

L’avocat Robert Badinter, le 13 avril 1981: «On ne peut pas construire une société sur le profit, sur la consommation, sur la rupture des liens de communauté et de solidarité, sur la rivalité entre les êtres et sur le repliement sur soi-même, avec tout ce qu’il implique de besoins matériels accrus, et espérer qu’on n’augmentera pas en même temps la criminalité de profit.»

Le procureur Patrice Amar, en mai 2016, lors de son réquisitoire contre les escrocs à la taxe carbone qui ont spolié l’Etat de plusieurs centaines de millions d’euros (cité par Fabrice Arfi, dans D’Argent et de sang, Collections Points): «Le marché des droits à polluer est un moment : celui où l’économie politique ne produit rien d’autre que l’argent et le besoin de l’argent. Le marché des droits à polluer est une psychologie . c’est la psychologie de la frustration, de l’horizon fuyant de la satisfaction ajournée, de l’avidité chaque jour renouvelée. Voilà pourquoi l’affaire de la fraude au CO2 nous offre le spectacle affligeant de la vie falsifiée, de ses addictions, de ses tables de jeu, de ses débauches étalées sur papier glacé. Au fond, la fraude aux droits à polluer n’est que le drame de la modernité.»

Ni l’un ni l’autre ne sont de dangereux idéologues. Robert Badinter il y a quarante-trois ans (!), Patrice Amar plus récemment trouvent des mots incroyablement justes pour décrire la mécanique systématique du profit qui tend les rapports sociaux et induit la systématisation des rapports de force. L’intérêt individuel balaie la régulation, la norme, le droit.

La colère sociale qui monte et trouve d’inquiétantes traductions politiques en passe de devenir majoritaires ne vient pas de nulle part. Le spectacle indécent des inégalités et des impunités, la valorisation systématique des réussites individuelles au détriment des performances collectives sont de puissants moteurs de la frustration.

A quoi bon se désoler des violences contemporaines à tous les étages de la société si l’on ne met pas des mots sur leurs causes ? Puisque le terme est à la mode, j’«assume» cet hommage alternatif à Robert Badinter. Une telle vie d’engagement n’est pas réductible à des étendards consensuels. G. D.

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SNCF

Grève : échecs et audimat

Pas grand-monde ne sort grandi d’une séquence contrôleurs assez désolante qui a focalisé l’attention des médias plusieurs jours durant.

Commençons par les contrôleurs. Probablement grisés par leur succès de 2022, ils ont choisi le rapport de forces sans nuances. Poser un préavis pour le deuxième week-end des vacances d’hiver à cheval sur deux zones, ce n’est pas seulement pénaliser des bobos qui partent au ski : les TGV des vacances sont plus populaires que le reste de l’année.

Signe des temps, le «Tous ensemble» de 1995 est devenu le «Chacun pour soi» de 2024. Les contrôleurs se sont lancés aveuglément dans une nouvelle bataille catégorielle qu’ils ne pouvaient gagner seuls. Leur octroyer davantage que dans le protocole d’accord de décembre 2022, en matière de CPA (cessation progressive d’activité) et de primes, c’eût été une forme de discrimination vis-à-vis d’autres métiers de l’entreprise. Les guichetiers et les agents de la Suge subissent aussi l’agressivité des clients, les agents des ateliers de maintenance connaissent aussi des horaires difficiles.

Pour la CGT, un tel mouvement va à l’encontre de la priorité accordée à l’unité des cheminots, pourtant elle s’est résolue à suivre Sud-Rail dans son soutien aux contrôleurs, de peur d’être accusée de trahir ses principes : toute lutte sociale est par essence légitime… Faute d’avoir pu modérer le mouvement en amont, elle se retrouve prisonnière d’un mouvement catégoriel.

L’Unsa d’abord, puis la CFDT, ont compris qu’au-delà des «cadeaux» faits à tous les cheminots (prime de 400€, hausse des indemnités de résidence, amélioration des conditions d’accès à la mutuelle, promotions supplémentaires etc) la plate-forme de progrès social proposée par Jean-Pierre Farandou pouvait rénover un dialogue social depuis longtemps engoncé dans des procédures et des pratiques antédiluviennes. Mais faute de relais suffisants chez les ASCT, ces deux syndicats n’étaient pas en mesure d’influencer le mouvement.

Si le PDG de la SNCF a vite réagi, contrairement à 2022, il n’a pas évité la grève, même s’il a probablement évité sa poursuite en supprimant toute cause de contagion aux autres catégories. Son intervention acte de fait l’échec d’une régulation sociale à l’intérieur de la SA SNCF Voyageurs. Dans le dispositif fixé par la loi de 2018, il appartient naturellement à chaque SA de gérer les relations sociales spécifiques aux métiers. Il est patent aujourd’hui que SNCF Réseau s’y emploie plutôt très bien, notamment avec sa DRH, Misoo Yoon, alors que l’obsession «business et performance» qui règne à la SA Voyageurs ne semble guère contribuer à la paix sociale, ou en langage plus techno à une anticipation stratégique des tensions sociales.

Personne n’a gagné, mais tout le monde a déjà perdu

Le Premier ministre et son nouveau ministre des Transports, dans une telle situation, n’avaient rien à gagner mais beaucoup à perdre. Gabriel Attal a choisi l’option sarkozyste : «Le droit de grève et le devoir de travailler.» La formule fait mouche, dans l’opinion publique, mais elle cristallise. Les contrôleurs, qui savent pertinemment ce qu’est le travail, s’en souviendront-ils cet été au moment des Jeux Olympiques ? Patrice Vergriete a imité son chef en parlant du droit à se déplacer, tout en se montrant «surpris» par le mouvement. Il va devoir plonger au plus vite dans la marmite ferroviaire surveillée par Bercy.

Jusqu’ici le gouvernement est incapable d’assumer publiquement sa stratégie pour le rail français : financer l’amélioration du réseau par l’usager plutôt que par le contribuable, par le fonds de concours bien davantage que par des subventions. Résultat : la SNCF ponctionne les usagers (et les autorités organisatrices) sans vergogne. Ce choix contribue à dégrader encore davantage la relation de confiance entre les Français et la SNCF.

Au moment où les Français souhaitent davantage se déplacer en train, voilà qu’un conflit social ramène la SNCF à la traditionnelle gréviculture cheminote – pourtant en net repli sur la durée. Quel désolant gâchis. Et les sénateurs centristes d’imaginer une restriction du droit de grève pendant soixante jours qui correspondraient aux départs en vacances. Une façon de dire aux voyageurs du quotidien: la grève, maintenant, ce ne sera que pour vous! Il semblerait préférable de mieux encadrer la prévisibilité des perturbations plutôt qu’engager un bras de fer risqué pour un pouvoir exécutif affaibli: déclencher un préavis de grève qui va affecter le retour de vacanciers partis en confiance quelques jours avant, c’est assez inacceptable.

En définitive, dans cette affaire, personne n’a gagné, mais tout le monde a déjà perdu. G. D.


CHANTIER

La nouvelle gare d’Eole à La Défense : bientôt prête

A quelques mois de la mise en service du prolongement du RER E à l’ouest, entre Haussmann-Saint-Lazare et Nanterre, nous avons accompagné le directeur du projet Xavier Gruz à La Défense. On a vu une nouvelle gare spectaculaire en voie d’achèvement après plusieurs années de travaux compliqués. Car en préalable au dégagement d’un tel espace, il a fallu reprendre le sous-œuvre du Cnit, excaver, creuser, consolider. Impressionnant.

Le résultat est une offrande aux voyageurs: la gare du RER E à cet endroit, ce sont des correspondances avec les lignes L et U du Transilien, avec le RER A et avec le tram T2 bien plus rapides et faciles que si elle avait été construite 500 mètres en amont. Sophie Mougard, directrice générale du Stif à l’époque, se souvient d’un choix difficile car coûteux, mais qui allait dans le sens d’une multimodalité fluide, annonciatrice de nouvelles pratiques. Le risque était judicieux.

Au demeurant, les couloirs de correspondance ont eux-mêmes été particulièrement soignés (du marbre au sol et le Corian, une matière blanche incroyablement lumineuse et résistante, pour les sols et les plafonds), comme pour bien souligner que l’intermodalité n’est plus une punition, avec des couloirs gris, sombres et anxiogènes, notamment pour les femmes.

Désignée par Jean-Marie Duthilleul, la nouvelle gare elle-même contraste avec les gares RER des années 80. Des parois brillantes éclatantes le long des voies (et débarrassées des affichages publicitaires!), des éclairages élégants qui tombent de la voûte, des volumes qui devraient apaiser l’ambiance au quotidien.

Il faut aussi relever l’accord noué avec Unibail qui a joué le jeu du projet et compte bénéficier dans ses espaces commerciaux des nouveaux flux voyageurs. Ce n’est manifestement pas l’état d’esprit d’Indigo, dont les parkings ont été modernisés à la faveur du chantier, mais qui a oublié de rénover ses propres accès extérieurs, que nous avons constatés toujours aussi gris que poussiéreux. Des gagne-petits, chez Indigo?

Du point de vue des circulations, les essais dynamiques sont finis depuis quelques semaines; ont lieu en ce moment les formations des conducteurs. Aucune inquiétude concernant les systèmes de signalisation. Seule la livraison tardive de rames empêchera des fréquences optimales jusqu’en 2025.

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COLLOQUE

Transition juste des mobilités, quelles attentes et quelles solutions ?

Le 27 février 2024 de 9h à 14h, chez Leonard, 6 place du colonel Bourgoin, 75012 Paris


Aujourd’hui, 13 millions de Français sont en situation de précarité liée à la mobilité. Comment la résorber tout en accélérant la décarbonation ?

Ce colloque est destiné à partager des analyses relatives à la diversité des besoins et des contraintes vécues par les habitants du territoire français. Il est organisé par la Fabrique de la Cité, La Fabrique écologique, l’Ecole des Ponts Paris Tech et le Lab Recherche environnement, avec Mobilettre qui en partagera l’animation et en assurera la conclusion. Pour avancer dans les débats, une méthode qui consiste à relier les savoirs et démarches scientifiques, l’expertise des opérationnels et l’expérience politique.

Il s’agira également de proposer des solutions, nécessairement multiples, flexibles et de différentes natures (développement d’une offre de mobilité décarbonée, évolution des pratiques de déplacement, transformation des filières industrielles, aménagement du territoire, etc…). Dans ce cadre, nous étudierons la contribution de ces solutions à la transition écologique et à la cohésion sociale. Cela suppose d’évaluer leur soutenabilité financière et l’adhésion de la population française à celles-ci. Contribuable, usager, citoyen, riverain… c’est un soutien massif, multiforme et durable qu’il faut susciter.

Dans quelle mesure la gratuité des transports en commun, la tarification différenciée, le soutien à l’acquisition de véhicules électriques, etc. apportent-ils des réponses à ces défis ? Comment mettre en place des services à un coût abordable, comment favoriser l’évolution des comportements ? Comment rassembler autour de la transition écologique, et faire enfin baisser les émissions de gaz à effet de serre des transports ?

Programme et inscriptions

Rappel

MobiAlerte 115 du mardi 13 février

Le Conseil d’Etat sanctionne SNCF Réseau sur la forme et renvoie les régions sur le fond; l’avis défavorable de la Commission de déontologie du système ferroviaire sur le transfert d’Isabelle Delon à la SA SNCF.

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