Mobitelex 448 – 19 avril 2024

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Capacité ferroviaire, continuons le débat!

Faire circuler plus de trains n’est pas uniquement un problème d’investissement.

«Il y a de la place sur le réseau» : justement martelée par Matthieu Chabanel, PDG de SNCF Réseau, cette constatation se heurte à plusieurs contraintes. Le manque de rames pour la longue distance et les difficultés financières des régions, en premier, mais aussi une «organisation amont» pas assez fluide et efficace, au-delà même des travaux qui continuent de peser sur la capacité et la fiabilité des circulations.

Si, avec l’exemple d’un train de nuit si difficile à tracer, nous prolongeons aujourd’hui le débat sur la capacité ferroviaire après la formidable table ronde du 4 avril à Dauphine (lire Mobitelex 447), ce n’est pas pour asséner des solutions miraculeuses, mais parce qu’il nous semble que la révolution culturelle du gestionnaire d’infrastructure ferroviaire, en faveur d’un réseau plus ouvert et plus exploité, mérite d’être soutenue et encouragée. On peut dire les choses autrement: la gestion de la capacité (traçage de sillons, règles d’attribution et routines d’exploitation) reste bien trop opaque et compliquée.

Le ferroviaire peut-il être accessible à d’autres opérateurs que les grandes compagnies nationales historiques?

«C’est pas facile le ferroviaire» : on ne peut plus se contenter de cette excuse trop facile. Certes, il s’agit d’un système compliqué qui ne supporte ni l’amateurisme ni les modèles économiques incertains (cf notre analyse sur la faillite prévisible de Railcoop, lire Mobitelex 447). Mais de multiples exemples en Europe montrent qu’il peut être accessible à d’autres opérateurs que les grandes compagnies nationales historiques, qui souvent se concentrent par opportunisme commercial ou contrainte de gouvernance sur les axes majeurs.

Encore faut-il qu’il le soit dans les faits, au-delà des discours, y compris quand les demandes des opérateurs sont «complexes», plus difficiles à tracer qu’un Paris-Lyon sur LGV. On entend régulièrement le fret se plaindre de la lourdeur du processus, c’est maintenant au tour des nouveaux opérateurs voyageurs d’exprimer leur «surprise» ou leur désappointement.

Nous avons donc interrogé Elmer Van Buuren, président-fondateur d’European Sleeper, qui exploite déjà des trains en Europe et se plaint depuis quelques semaines de n’avoir pas de réponse satisfaisante à ses demandes exprimées dès… 2022. Nous sommes entrés dans les détails où se niche souvent le diable. Le récit nous semble instructif, à plusieurs titres, y compris parce qu’il remet en cause certaines routines établies de SNCF Voyageurs ou les réservations parfois trop nombreuses des EF Fret.

Faute des 100 milliards promis par Elisabeth Borne, l’optimisation des capacités est une absolue nécessité pour répondre à l’explosion de la demande. Elle est conditionnée par une meilleure maîtrise des travaux et de la maintenance, mais aussi par une amélioration du process de gestion et d’attribution des capacités, dont on vous laisse juge de la qualification. G. D.

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DECRYPTAGE

Voyage au bout de la nuit pour European Sleeper

Un train de nuit international qui coince suite au processus d’attribution des capacités de SNCF Réseau : Mobilettre a interrogé Elmer Van Buuren, président et fondateur de European Sleeper, qui ambitionne de traverser quotidiennement la France du Nord au Sud mais se heurte depuis 2022 à de très sérieuses difficultés. Bienvenue dans la boîte à sillons… et accrochez-vous !

Elmer Van Buuren n’est pas un novice. Président et fondateur de European Sleeper, il exploite déjà plusieurs trains de nuit en Europe, notamment un Bruxelles-Prague via Berlin. Surtout, il a bien voulu raconter dans le détail à Mobilettre ses discussions manifestement déceptives avec SNCF Réseau, qui s’est contenté, jusqu’ici, de rappeler publiquement (chez nos confrères du Figaro) son processus d’allocation.

L’Entreprise Ferroviaire (EF) néerlandaise ambitionne de créer un Amsterdam-Barcelone de nuit via la France. Ainsi, European Sleeper a initié ses discussions avec SNCF Réseau dès le printemps 2022. L’offre envisagée étant quotidienne, le sillon est éligible à la phase dite de préconstruction du graphique horaire, «une bonne idée mais spécifique à la France», constate Elmer Van Buuren. Jusque-là, rien de très surprenant…

La demande, saisie dans l’outil de SNCF Réseau Gesico, réside dans des arrêts commerciaux à Lille-Flandres, Avignon, Nîmes et Montpellier (avec un arrêt technique dans le nœud dijonnais pour relève des conducteurs), puis vise Perpignan – et la LGV vers Barcelone. Son passage à Lille-Flandres doit avoir lieu vers 22h pour être en Avignon entre 6h30 et 7h00. Perpignan doit être traversé vers 9h30.

Les problèmes commencent… SNCF Réseau répond qu’il est obligatoire de saisir un itinéraire de passage. Difficulté : il existe plusieurs itinéraires possibles Lille-Dijon-Avignon. L’opérateur demande alors un itinéraire sans travaux et avec un temps de trajet raisonnable. En réponse, la proposition de sillon préconstruit par SNCF Réseau prévoit un passage à Perpignan à… 15h! A ce rythme-là, on est en passe d’inventer le train de jour/nuit.

Très surpris, Elmer Van Buuren demande à SNCF Réseau de recalculer l’ensemble de sa marche, ne correspondant en rien à sa demande. On lui répond que ses temps ne sont pas bons. Ouvert d’esprit, il les recalcule aussitôt. Différence : 10 minutes. Comment expliquer alors la réponse d’une arrivée à Perpignan à 15 heures ?

Essayons de comprendre, en prenant par exemple le temps d’arrêt à Lille-Flandres, objet d’âpres discussions. European Sleeper utilisant une rame tractée, une manœuvre de la locomotive est requise, avec un temps d’arrêt calculé par l’EF de 15 minutes. SNCF Réseau rejette ce temps et indique un temps minimum de 30 minutes! Elmer Van Buuren constate que ce temps est utilisé par SNCF Voyageurs pour ses propres opérations. Mais European Sleeper n’est pas SNCF Voyageurs… Elmer Van Buuren regrette que les horairistes de SNCF Réseau ne prennent pas en compte les temps calculés par d’autres EF que l’opérateur historique.

D’autant plus que durant la préconstruction, seule une proposition de sillon est étudiée par SNCF Réseau. De par la multiplicité des itinéraires possibles, l’étude de variantes parait impérieuse et est demandée à plusieurs reprises par European Sleeper. Cela est systématiquement refusé par SNCF Réseau, arguant d’une inscription requise dans le catalogue des sillons préconstruits, donc sans variante possible. Les temps de trajet en France proposés par SNCF Réseau n’étant pas en adéquation avec ceux demandés, European Sleeper refuse donc intégralement la proposition de sillon préconstruit.

Arrive alors la phase de construction du sillon. Au Forum Train Europe, les gestionnaires d’infrastructures européens se coordonnent pour les horaires des trains internationaux, cas du Amsterdam-Barcelone de European Sleeper. A la grande surprise et incompréhension d’Elmer Van Buuren, SNCF Réseau a refusé de traiter son cas avec ses homologues européens. Argument avancé: il y a une proposition établie et elle ne doit pas bouger d’un iota – ce qui est jugé illégal par European Sleeper.

Une évolution est dans le même temps décidée par European Sleeper : ne plus desservir Lille et transiter via Longwy et Longuyon. Pour le reste, les temps de trajet demandés sont de 10h30 au maximum en France et en ayant pris en compte tous les itinéraires alternatifs et détours possibles.

Mais c’est cette fois le DRR (Document de Référence du Réseau) qui vient contrarier le projet, notamment le point 4.5.4. Celui-ci indique qu’un train de voyageurs dont le trajet est supérieur à 250 kilomètres peut voir son sillon être modifié unilatéralement par SNCF Réseau dans une amplitude de plus ou moins une heure. Elmer Van Buuren comprend cette règle, qui permet de donner de la flexibilité à SNCF Réseau. Il est en revanche en opposition avec une autre disposition de ce même point: la priorité donnée aux sillons préconstruits en cas de conflit résiduel sur les sillons. Cela revient selon lui à attribuer la capacité avant la période effective d’attribution de ladite capacité. Les demandeurs n’ayant pas pris part à la préconstruction doivent obtenir leurs sillons dans la capacité résiduelle. Ils ne sont donc pas sur le même pied d’égalité avec les demandes préconstruites, ce qui est illégal et contraire aux règles européennes, précise Elmer Van Buuren. Rappelons qu’il a refusé la proposition de sillon préconstruit. Selon le point 4.5.4, il n’est donc plus prioritaire sur l’intégralité de son parcours français…

Plus globalement, les plages travaux imposées par SNCF Réseau sont trop nombreuses par rapport aux travaux effectivement réalisés, estime Elmer Van Buuren. La nuit, les trains de fret circulent en batteries, sans possibilités d’insérer un train de nuit comme le sien. Mais il déplore que les EF fret commandent un nombre de sillons supérieur à leurs besoins, afin d’avoir une garantie de capacité. Problème: cette capacité attribuée n’est pas utilisée, obérant les possibilités de circulation, notamment des trains de nuit…

Comment s’en sortir ? Afin de garantir de la capacité, Elmer Van Buuren souhaite la signature d’un accord-cadre de capacité avec SNCF Réseau, sur le modèle de celui signé par Kevin Speed. Impossible du fait d’un trop faible nombre de sillons, répond SNCF Réseau. Cela l’a poussé à se rapprocher de l’ART (Autorité de Régulation des Transports) pour approfondir la question et connaître la position du régulateur. En conclusion, il lance un appel à Matthieu Chabanel: « Comment pouvez-vous m’aider pour que je puisse opérer mon train?» Son combat continue, le débat n’est pas fini!

SNCF Voyageurs: l’équipe de nuit dissoute!

On ne sait pas si les trains continuent de susciter des nuits dissolues, dans la lignée des légendes ferroviaires, en tout cas SNCF Voyageurs vient d’inventer l’équipe de nuit… dissoute! Selon nos informations, une petite équipe de trois personnes créée il y a environ trois ans pour booster l’activité, au sein de SNCF Voyageurs, ne se réunit plus chaque trimestre avec les pontes de SNCF Réseau, et pour cause: elle n’existe plus…

C’est d’autant plus surprenant que les chiffres sont flatteurs : 350000 voyageurs en 2019, avant la crise Covid, 770000 en 2023, soit +120%! Les taux d’occupation moyens atteignent désormais 70%. L’activité est portée par le Paris-Nice et le Paris-Toulouse, qui selon nos propres observations battent tous les records depuis quelques mois. Trains de jour saturés et/ou trop chers + envie de train = un nouvel espace pour le train de nuit!

Mais revenons à la disparition de cette équipe dédiée à la nuit. Elle ne se contentait pas d’imaginer et de concevoir le développement de l’activité et les futurs «produits», elle s’attachait aussi bien avec SNCF Réseau qu’avec les directions opérationnelles de SNCF Voyageurs à assurer la meilleure qualité de service possible. A savoir la permanence des circulations malgré les travaux (en imaginant des itinéraires alternatifs), mais aussi l’amélioration continue de la fameuse expérience voyage.

Loin des radars des statistiques de la ponctualité, la suppression (parfois très tardive) des trains de nuit… nuit, c’est le cas de le dire, à leur réputation. Ainsi le Paris-Berlin, dont le retour a été inauguré en grandes pompes l’année dernière : il est devenu à peu près aussi rare qu’un cadre de Renaissance confiant avant les élections européennes du 9 juin. La pérennité des trains de nuit, pourtant, ne peut rimer avec irrégularité, leur lente érosion depuis les années 2000 en témoigne.

SNCF Voyageurs voyait d’un très mauvais œil le retour des trains de nuit, au sortir de la crise Covid : leur modèle économique était jugé impossible, en tout cas leurs marges sont ridicules par rapport aux TGV. Pourtant les injonctions gouvernementales l’ont obligée à s’y recoller, notamment via cette petite équipe dédiée. La disparition de cette dernière, aujourd’hui, est d’autant plus surprenante, et paradoxale eu égard l’engouement du public.

On en est réduit aux conjectures : fait-elle les frais d’une priorité absolue aux Intercités de jour, après la crise de mi-janvier sur le Paris-Clermont ? Prenait-elle trop d’énergie aux directions opérationnelles ? Est-ce une «anecdote» de gouvernance interne à SNCF Voyageurs dont on peinera à comprendre les ressorts?

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PALMARES

Dirigeants: la mobilité du quotidien n’a pas bonne presse

Tous les deux ans, en alternance avec les entreprises du CAC 40, Vincent de la Vaissière de «V com V» interroge près de 180 journalistes économiques sur les dirigeants des entreprises publiques et parapubliques (et leurs dircoms/relations presse). En résulte un classement, basé sur des appréciations notées, mais aussi une lecture qualitative enrichie par des centaines d’heures d’entretiens.

Cette étude indépendante, de par son volume et sa méthodologie, n’est que le produit des observations de journalistes – mais elle révèle à chaque fois des tendances d’ensemble instructives, et constitue un miroir d’images individuelles plus ou moins valorisantes.

Cette année, le classement fait la part belle à un énergéticien, Luc Rémond, PDG d’EDF (1er), à l’aérien avec Guillaume Faury, Airbus (2ème), et Ben Smith, Air France/KLM (3ème), et à la Défense (Thalès, Safran, Naval Group…) Autant d’entreprises et de patrons portés par la conjoncture et la demande stratégique, et qui s’en sortent très bien grâce à la dynamique de leurs recettes et ce que Vincent de la Vaissière appelle «une synthèse réussie entre la culture du privé et le sens du service public». En parallèle, le transport public et ferroviaire, dont les promesses réitérées de développement se heurtent à la situation des finances françaises, reste engoncé dans les contraintes d’une gouvernance publiques dont a pu en partie se libérer Air France.

Il faut aller à la neuvième place pour trouver le premier représentant du secteur, Matthieu Chabanel, PDG de SNCF Réseau, suivi de Marlène Dolveck, DG de Gares & Connexions (10ème) et Thierry Mallet, PDG de Transdev (14ème). C’est manifestement la récompense de la compétence alliée à l’expérience et au dynamisme. A cette aune-là Jean-Pierre Farandou aurait dû s’imposer, mais il n’est pourtant que vingtième, probablement atteint à la fois par le syndrôme fin de mandat (comme Augustin de Romanet qui dégringole en deux ans de la 3ème à la 8ème place), les atermoiements de l’Etat sur les 100 milliards et la gouvernance «particulière» du groupe SNCF que les journalistes nourris à la verticalité des pouvoirs goûtent assez peu – il n’intervient pas sur tous les sujets mais doit «assumer» de fait les vents contraires qui affectent les activités quotidiennes du groupe.

A ce titre, Christophe Fanichet, PDG de SNCF Voyageurs, (31ème) et Marie-Ange Debon, présidente du directoire de Keolis (34ème) incarnent manifestement imparfaitement leurs entités pour lesquelles l’image envers les clients (voyageurs et autorités organisatrices) est pourtant essentielle. Jean-François Monteils, président du directoire de la SGP (33ème) est à la peine lui aussi, faute d’une politique de communication ambitieuse – les futures mises en service des lignes du Grand Paris Express devraient davantage l’exposer.

A noter enfin l’improbable duo Jean Castex, PDG de la RATP (22ème)/Laurent Probst, DG d’IDFM (23ème). Un ancien Premier ministre à la notoriété très conséquente mais encore dénué de bilan durable et substantiel, et un directeur général dans l’ombre de Valérie Pécresse mais compétent et résilient depuis 2016, rivalisent dans les appréciations. Comme quoi la majorité des journalistes, quand ils se confient, font la part des choses entre les paillettes et les fondamentaux.


PRECISION

Rassurons nos lecteurs qui s’étaient montrés inquiets à l’annonce de notre information du premier avril dernier: non, Mobilettre ne sera pas vendu à Rodolphe Saadé (CMA-CGM)! Nous ne sommes pas une proie à la merci d’investisseurs industriels dont les appétits pour la presse ne sont pas dénués de pensées ni d’arrière-pensées, et encore moins un poisson (d’avril) pour armateur phocéen…


RENDEZ-VOUS

L’espace public est-il encore un bien commun ?

Pourquoi le piéton s’obstine-t-il à rester piéton ?
Pourquoi le cycliste peine-t-il à s’arrêter ?
Pourquoi le conducteur a-t-il tous les droits ?
Pourquoi les terrasses débordent-elles ?
Et le public vulnérable dans tout ça ?

Mercredi 24 avril 2024, de 18h précises à 20h30, 8 rue Louis Armand, Paris 15ème, une Table Ronde organisée par Archinov avec le soutien de Mobilettre et en partenariat avec la SMABTP abordera quelques-unes des questions relatives à l’évolution de l’espace public, bousculé par les nouvelles mobilités et pratiques urbaines.


Intervenants

  • Isabelle Baraud-Serfaty, Fondatrice d’Ibicity et autrice de Trottoirs ! Éditions Apogée.
  • Iris Chervet, architecte et urbaniste, atelier Iris Chervet.
  • Gilles Dansart, journaliste, directeur de Mobilettre.
  • Florent Giry, Adjoint au Maire de Paris Centre en charge de la voirie, des mobilités et de la gestion des chantiers.

Programme et inscriptions

Entrée libre, inscription obligatoire

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