Mobitelex 463 – 4 octobre 2024

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les décryptages de Mobilettre

RECIT

Trois jours à Strasbourg

On s’apprêtait à vivre un octobre plus morose que rose, marqué par l’instabilité politique et la déconfiture financière. Et voilà que dans la métropole alsacienne, à l’occasion d’EuMo Expo 2024, la prise de parole publique du ministre des Transports a tranché assez nettement avec les litanies ministérielles habituelles. Même sous contraintes fortes, l’écosystème des mobilités collectives veut continuer à chercher des réponses à la forte croissance de la demande. Le récit de Mobilettre.

Strasbourg, capitale des mobilités européennes en cette première semaine d’octobre, à peine quelques jours après le Congrès des Régions (lire Mobitelex 462). L’organisation, à Paris, un mois avant les Jeux, d’EuMo Expo 2024, un événement qui occupe autant d’espace et mobilise de si nombreux visiteurs, aurait été compliquée, compte tenu des stations de métro fermées, du montage des sites olympiques et… du prix stratosphérique des chambres d’hôtel. Sentant venir l’opportunité, la ville et l’Eurométropole de Strasbourg, appuyées par la région Grand Est, se sont donc engouffrées dans la brèche, explique Alain Jund, vice-président métropolitain. Strasbourg, championne des mobilités, première ville à lancer un réseau ferré métropolitain: pour un salon européen, ce n’était pas incohérent. Un argument supplémentaire semble avoir vaincu les réticences des organisateurs : « A Paris, la maire et la présidente de région se déplacent rarement pour le salon. Nous promettons la présence des dirigeants de chaque collectivité». «Et en plus nous avons eu le ministre», jubile aujourd’hui l’élu.

Le salon a effectivement débuté mardi dernier par des plaidoyers complémentaires des trois élus du cru : Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg, Pia Imbs, président de l’Eurométropole d’Alsace, Franck Leroy, président de la Région Grand Est. Un seul chiffre : 7000 immatriculations de véhicules légers individuels en moins depuis le début de l’année dans la métropole. La dépossession automobile n’est plus réservée aux hypercentres, elle gagne du terrain à mesure que croissent les solutions multimodales. Et c’est bien le cas à Strasbourg, même avec un Serm revu à la baisse après un excès d’ambition initiale. Malgré tout, la congestion routière aux heures de pointe persiste, aggravée par le trafic de report dû au relèvement des tarifs de la LKW Maut en Allemagne. La mise en place programmée du R-Pass, en 2027, rencontre pour l’instant les oppositions des routiers et du patronat. Voilà pour le tableau local.

De manière générale, à l’ouverture de cet EuMo Expo 2024, et malgré une affluence (exposants et visiteurs) un peu moindre qu’à Paris, c’est somme toute logique, le contexte était en place : des élus engagés, des opérateurs motivés, des industriels sous pression (on reviendra sur Alstom). Il n’y avait plus, et c’est rituel, qu’à attendre la réponse de l’Etat, d’abord l’après-midi même avec le discours de politique générale du Premier ministre, puis deux jours plus tard avec le ministre délégué chargé des Transports François Durovray. Le tout dans un climat de franche lassitude, voire davantage, d’une majorité de participants à l’égard de la scène politique nationale. Ce qui ne les a pas empêchés de se montrer attentifs aux signaux envoyés par le nouveau pouvoir.

En guise de préambule, voici ce qu’a dit Michel Barnier à la tribune de l’Assemblée nationale, mardi après-midi :

«Les transports pèsent lourd dans les dépenses des ménages. Là aussi, je veux soutenir l’initiative locale. C’est la logique du rattachement du ministère des Transports à un grand ministère des Partenariats avec les collectivités. Nous travaillerons donc, avec les collectivités et les acteurs économiques, pour investir en priorité dans les transports du quotidien et offrir des solutions de transport aux Français des zones périurbaines et rurales, à ces millions de travailleurs qui font des dizaines de kilomètres par jour et n’ont pas aujourd’hui d’autre choix que la voiture.»

Une telle déclaration d’intention n’était pas gagnée d’avance, au cœur d’un discours très politique. Elle a servi deux jours plus tard de référence au ministre Durovray, venu à Strasbourg pour vanter une méthode – le dialogue avec les élus et les acteurs économiques – et une finalité – le choc d’offre. «Oui mais les moyens ?», a relancé sans animosité Louis Nègre, président du Gart. «Je ne vais pas faire de fausses promesses, a répondu le ministre. Sur le fonctionnement nous devons chercher ensemble – pourquoi pas quelques marges de manœuvre sur le Versement Mobilité et l’affectation à la mobilité d’une part des ETS (NDLR l’UTPF et le Medef ont préconisé ensemble l’affectation de 150 millions d’euros sur 2,2 milliards récoltés pour la France). Pour les investissements en infrastructures, en revanche, il faudra plus de temps pour inventer un nouveau modèle.» On a compris que les futures concessions autoroutières seraient au centre des enjeux… et que le ferroviaire ne verra pas les 100 milliards annoncés bien imprudemment par Elisabeth Borne. Sur France Bleu Alsace, François Durovray a été très clair: «Il faut que sur les infrastructures les plus lourdes, le fer, qui engage pour des dizaines et des dizaines d’années, on ait une feuille de route qui n’impacte pas le budget de l’Etat comme il l’a impacté auparavant.» Du coup, on a l’impression que les dirigeants de la SNCF insistent désormais en priorité sur les crédits de régénération afin de ne pas affecter la qualité de service au quotidien. Les échos de l’audition de Jean-Pierre Farandou devant les députés, ce mercredi 2 octobre, sont parvenus jusqu’à Strasbourg: «Il faudra mettre 1,5 milliard d’euros supplémentaires par an dans l’entretien du réseau à partir de 2027».

Mais au-delà des engagements prudents sur le fond («Faire plus avec moins», c’est plus facile à dire qu’à faire), c’est probablement le style et la franchise du ministre qui ont marqué les professionnels venus l’écouter en nombre, et manifestement tentés de jouer le jeu malgré la situation budgétaire très délicate de leurs collectivités.

Vu les finances elles-mêmes désastreuses de l’Etat central, soit on en rajoute dans le cynisme politique façon Gérald Darmanin qui veut voter contre le PLF 2025 après avoir largement contribué à la déconfiture des finances publiques, soit on travaille ensemble à sauver les meubles. «Que pouvons-nous faire pour vous aider ?», a même lancé Marie-Ange Debon, présidente de l’UTPF. «Nous nous réjouissons d’avoir comme interlocuteur un élu issu des collectivités et qui connaît particulièrement bien les enjeux», s’est officiellement réjoui le Gart, à peine quelques heures après l’échange public.

Franchement on le comprend, au regard d’une partie du casting gouvernemental. Les personnels de l’Education nationale, eux, ont hérité d’une ministre qui à peine arrivée invite à venir la voir au ministère un Tiktokeur à succès qui plaide pour la fin des cours à midi… avant de se raviser. Un peu comme si le nouveau ministre des Transports avait décidé de recevoir dès sa nomination un collectif en faveur de la gratuité des transports… Manifestement tous les ministres n’ont pas compris la consigne du Premier ministre: agir avant de communiquer, ne pas succomber au buzz démagogique. Le contrepied de Gabriel Attal, pour faire simple.

Justement… Sur ce sujet ô combien sensible de la tarification, qui paralysait jusqu’ici les autorités publiques, François Durovray a pris le contrepied très net de son prédécesseur Patrice Vergriete : pas question d’aider des collectivités qui jouent la gratuité au même niveau que les autres. Du coup, on a retrouvé une phrase un peu passée inaperçue du discours de politique générale de Michel Barnier: «Réduire les dépenses, c’est renoncer à l’argent magique, à l’illusion du tout-gratuit, à la tentation de tout subventionner.» Voilà un gouvernement, tout faible et instable qu’il est, qui dit tout haut ce que la plupart pensent tout bas, sans pour autant remettre en question la libre administration des collectivités locales. A chacun ses choix, mais il y a des conséquences…

Résumons : le mur des investissements et les besoins de fonctionnement sont toujours aussi impressionnants, mais la situation des finances publiques, la compétence et le parler-vrai du ministre peuvent éviter la reproduction sans fin d’éléments de langage que ne supportent plus les acteurs de la mobilité. «Dites-nous la vérité, ne nous baladez pas», auraient supplié les élus en cercle restreint, un peu plus tard.

Dans cet esprit, François Durovray avait adressé un peu plus tôt un message de fermeté à Alstom, dont il visitait le stand : la multiplication des retards de livraison n’est plus acceptable. Dernière victime en date, Transdev, qui vient d’être averti que seules deux rames TER seront fournies à temps pour le démarrage de l’exploitation de Marseille-Nice en juillet prochain. On aimerait qu’à un niveau encore plus haut de l’Etat, Alstom soit sommé d’en finir avec une telle désinvolture dans les délais (lire aussi ci-dessous la commande de trains à grande vitesse par Proxima).

On en avait fini à Strasbourg avec la politique? Pas encore, puisque de Paris sont parvenus quelques échos de l’audition de Jean Castex devant les sénateurs, dans le cadre du renouvellement de son mandat proposé par le Président de la République. Le PDG de la RATP s’est montré très offensif sur l’international : «Il y a sûrement une meilleure articulation à faire avec une autre entreprise publique concurrente. J’insiste: tel est le souhait du PDG de la RATP.» Empêtrée dans le désastre des bus londoniens, loin d’être sortie d’affaire dans les imbroglios judiciaires en Toscane, engagée depuis peu dans une offensive risquée en Australie alors que Transdev et Keolis y étaient solidement implantés, RATP Dev voudrait donc chasser en meute à l’étranger avec Keolis… contre laquelle elle mène une guerre pas courtoise du tout en ce moment dans l’Hexagone. Le ministre devra-t-il aussi se mêler de ce dossier-là?

Disons que les déclarations de Jean Castex n’ont guère amélioré un climat déjà très tendu entre RATP d’un côté, Transdev et Keolis de l’autre – au demeurant ni Jean Castex ni Hiba Farès, patronne de RATP Dev, n’avaient fait le déplacement dans la capitale alsacienne, laissant le chevronné et respecté Serge Reynaud diriger le stand maison. RATP Dev est clairement accusé de pratiquer des prix exagérément agressifs, à partir de prévisions de trafic trop optimistes, voire de formules d’indexations de charges un peu trop favorables. Comme Mobilettre l’a souvent écrit, gagner n’est pas le plus difficile, délivrer dans le respect des engagements l’est bien davantage. «RATP Dev n’a jamais gagné de bataille défensive quand il y avait un concurrent en face», constate justement un de ses concurrents. De fait, Vannes, Valenciennes et Saint-Malo n’ont pas été renouvelés.

Selon nos informations les pertes 2023 de RATP Dev ont largement dépassé les 100 millions d’euros. Une recapitalisation paraît inéluctable, mais avec quels fonds ? Ceux de l’Epic opaque? Et qu’en dira IDFM ?

Déjà se profile la bataille de Rouen, au printemps prochain, avec les trois groupes français, alors qu’à Angers la bonne entente entre le maire revenu à son poste, Christophe Béchu, et Jean Castex semble dissuader les concurrents de dépenser de l’énergie et des euros.

La bande des trois est donc en pleine bataille, mais où en sont leurs éventuels concurrents ? A Strasbourg seul l’espagnol Moventis montrait le bout de son nez. Renouvelé à Montbéliard, gagnant à Grasse, il vient de promouvoir comme directeur général France son expérimenté et dynamique directeur de Montbéliard Gregory Carmona. Son PDG Josep Maria Marti, présent à Strasbourg, confirme à Mobilettre son retrait de la compétition en Ile-de-France (des DSP trop lourdes et trop contraintes pour ses capacités du moment) et cherche des opportunités dans des villes moyennes. Il s’agira, pour le coup, d’une concurrence raisonnable et modeste.

Comment résumer l’ambiance générale d’EuMo Expo 2024? En parallèle des débats sur le financement des offres et les futurs modèles de financement des infrastructures, plus personne ne doute de l’opportunité du choc d’offre, dans une conception résolument multimodale. Mais du fait de la situation budgétaire de la France, les cars Express et le vélo semblent les plus aisés à développer à court terme car les moins coûteux, avec l’enjeu majeur des lieux d’intermodalité qui sont les clés de leur attractivité (emplacement, design, services, y compris la recharge de véhicules électriques…). Le ministre a d’ailleurs reporté à l’hiver (c’est-à-dire au plus tard mars 2025) la conférence de financement des Serm, initialement fixée à juin 2024. Le temps de dégager, après le rapport commun de l’IGEDD et de l’IGF, quelques lignes et cadres clairs… et de voir avec Bercy les marges de manœuvre budgétaires?

La semaine prochaine Mobilettre évoquera plusieurs sujets ciblés – les mobilités transfrontalières, le vélo, les nouvelles lignes de métro en Europe…

Proxima, une commande à grande vitesse

L’annonce ce jeudi 3 octobre au matin a marqué une nouvelle étape décisive dans l’ouverture à la concurrence du marché français de la grande vitesse ferroviaire. Quatre mois seulement après la proclamation publique de leur ambition de développement, Rachel Picard et Tim Jackson ont commandé à Alstom douze trains Avelia Horizons, dotés de voitures articulées à deux étages, assortis d’un contrat de maintenance sur quinze ans, pour la somme de 850 millions d’euros. Cette commande fait suite à un bouclage financier réalisé intégralement par Antin Infrastructures Partners, qui fait un sacré pari puisqu’aucun revenu ne sera perçu avant 2028… si Alstom tient ses délais.

Le puzzle se met donc en place, avec en parallèle de cette commande ferme la construction par Lisea à Marcheprime, au sud de Bordeaux, d’un centre de maintenance tout neuf – les premières opérations de nettoyage des terrains viennent de commencer. Alstom y assurera la maintenance des rames pour le compte de Proxima, ce qui constitue un élément majeur d’innovation dans le modèle industriel choisi par le nouvel opérateur. C’est la récompense d’une stratégie audacieuse: un gestionnaire d’infrastructure qui investit dans un centre de maintenance pour attirer de nouveaux clients et trafics. Il y a quelques années, SNCF Réseau avait refusé d’accompagner Lisea dans cette aventure…

La question des sillons s’annonce essentielle dans le cadre des contrats-cadres mis en place par SNCF Réseau. Selon nos informations, le gestionnaire d’infrastructures a demandé des informations complémentaires aux opérateurs candidats, notamment sur leurs modèles de répartition horaire, avant de décider des attributions de capacité sur le Grand Ouest.

Cette commande de Proxima, qui va devoir désormais élaborer sa société d’exploitation et mettre au point son offre commerciale, intervient alors que SNCF Voyageurs vient d’annoncer fort opportunément dans les grandes villes de l’ouest une augmentation très substantielle de sa propre offre, avec à terme d’ici 2028 4 millions de places supplémentaires par an (rames Océane plus capacitaires, multiplication des rames doubles, développement des Ouigo etc). Pour ce faire, et notamment pour ajouter des rotations de rames, une décentralisation de la maintenance courante aboutira à la construction d’une nouvelle station de maintenance à Nantes d’ici à 2028 (50 salariés), et au doublement de la capacité de la station de Bordeaux.

Côté offre commerciale, d’ici la fin de cette année les clients Inoui dotés d’un tarif Pro pourront circuler en cas de besoin sur un train Ouigo du même jour.

Quelle accélération… Il y a moins de dix ans Rachel Picard alors à la tête des TGV résistait à l’augmentation des capacités sur Bordeaux, aujourd’hui non seulement au vu de la demande en croissance exponentielle elle crée une offre nouvelle massive avec douze rames sur le Grand Ouest, mais elle provoque aussi une vive réaction commerciale et industrielle de SNCF Voyageurs. Pour que le nouveau paysage concurrentiel soit complet la balle est désormais dans le camp des deux autres compagnies en gestation (Kevin Speed/ilisto et Le Train), qui travaillent encore au bouclage de leur tour de table financier.

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