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Vacance(s)
La dernière fois que la France a connu en une seule année civile quatre chefs de gouvernement différents, c’était en 1934. Ils s’appelaient Camille Chautemps, Edouard Daladier, Gaston Doumergue, Pierre-Etienne Flandin.
90 ans plus tard, Elisabeth Borne, Gabriel Attal, Michel Barnier et François Bayrou co-détiennent ce record des Républiques – on écarte l’année 1848, avec six chefs de gouvernement, mais à cheval entre la Monarchie de Juillet et la Deuxième République. Un autre décompte serait instructif, le nombre de jours de gouvernance avec ministres démissionnaires : on en est, en cette année 2024, à 69 – sans les 28 jours du premier gouvernement Attal squelettique. Et l’année n’est pas terminée…
La rotation des équipes depuis un an est très excessive
Dans un système aussi verticalisé que le nôtre, cette instabilité n’est pas sans conséquences en matière de continuité des politiques publiques et de management des administrations. Certes, les ministres démissionnaires parent aux urgences, et on connaît même quelques administrations qui soufflent de n’avoir pas des cabinets inexpérimentés leur «pourrir» leur quotidien. Mais la rotation des équipes depuis un an est très excessive. Sous la IIIè et la IVè, les présidents du Conseil valsaient mais souvent les ministres restaient.
François Bayrou affirme vouloir une équipe resserrée et compétente. Acceptons-en l’augure. Mais ses premiers pas montrent qu’il n’est pas aisé de passer de chef de parti à chef de gouvernement, ni de sortir d’une posture «molle et morale». Le centrisme est à bien des égards une utopie de la synthèse et du surplomb. Sans basculer dans le «tout pour la com», il y a des moments où il faut bien plonger dans la marmite de la décision et de la communication. Nous sommes en 2024 et le temps politique et social s’est accéléré.
Il est justement temps d’en prendre un peu, du temps, et de partir en vacances, celles qui régénèrent et oxygènent, et que nous vous souhaitons les meilleures possibles. Vous nous lirez encore avant de basculer en 2025, pour un bilan de cette étonnante année 2024 et, peut-être, pour le casting Bayrou. Car il faut aussi savoir finir une vacance. G. D.
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SCENARIOS
De la charge financière des projets, et de leur transparence
L’estimation des charges financières de la SGP pour le Grand Paris Express, réalisée par la Cour des Comptes au printemps dernier et reprise dans notre dernier numéro (lire Mobitelex 473), suscite de nombreuses réactions. Cela mérite quelques précisions.
Et cela aurait pu être bien pire… Les 29,5 milliards d’euros de charges financières pour la réalisation du schéma d’ensemble du Grand Paris Express ont ébahi de nombreux lecteurs de Mobilettre, au regard du coût de construction lui-même (environ 45 milliards d’euros). Mais dans le très complet rapport de la Cour des Comptes de 2017, l’estimation du coût de construction à terminaison à 38,5 milliards s’accompagnait de charges financières à… 133,7 milliards d’euros (contre 68 milliards pour l’estimation initiale à 28 milliards)!
L’addition s’est considérablement réduite avec une forte activité sur les marchés obligataires puis, surtout, grâce à la baisse historique des taux d’intérêt en 2019/2020, aux environs de 0,5%, dont a pu profiter la Société du Grand Paris qui a multiplié les emprunts jusqu’au début de l’année 2021. Aurait-elle dû poursuivre avant la hausse des taux fin 2021/début 2022 ?
Aujourd’hui, l’estimation de 29,5 milliards d’euros basée sur le scénario de référence de juin 2023 pourrait être affectée par de nombreux facteurs, et la Cour des Comptes s’est livrée à plusieurs scénarios, dans les deux sens (amélioration/aggravation)… qui peuvent être cumulables, et aboutir éventuellement à une non-soutenabilité évidente.
Persistance de l’inflation à haut niveau ou asymétrie inflation/taux d’emprunt : baisse des charges possible jusqu’à un étiage de 17,38 milliards.
Demi-redevance d’IDFM (incluse dans l’accord de 2023 avec le gouvernement et Clément Beaune) : + 15 milliards.
Baisse de l’assiette des taxes de bureau : de +23 à +60 milliards selon son amplitude et sa durée !
Mises en service postérieures à 2028 décalées de deux ans : + 9 milliards.
Enfin, et le scénario ne manquera pas de susciter l’intérêt du gouvernement: si la ligne 17 Nord, dont l’utilité est très loin d’être évidente, n’était pas réalisée, cela se traduirait par une baisse des frais financiers de 7 milliards…
La sensibilité du modèle financier de la SGP aux évolutions de ses recettes fiscales et de ses péages, mais aussi de la consistance finale du réseau et de ses délais et coûts à terminaison, est assez spectaculaire. Pourtant, l’Etat et Bercy communiquent rarement sur le sujet, et cette discrétion vaut pour l’ensemble des grands projets soumis à emprunts – c’est-à-dire aujourd’hui quasiment tous au vu de l’état des finances publiques, affectées par le niveau des dépenses de fonctionnement de l’Etat.
En tout état de cause, la Cour des Comptes recommande de garantir une durée d’amortissement de la dette de la SGP sur quarante ans à compter de la livraison du dernier tronçon, soit 2070 selon les derniers calendriers. Autrement dit, il y a des limites au portage par les futures générations des coûts d’une infrastructure.
EUROPE
Paris-Berlin, ou Paris-Berlent ?
La desserte directe de jour via Strasbourg de la capitale allemande en TGV, désormais proposée par la SNCF et la DB, ce n’est pas de la grande vitesse…
Petit devoir de vacances. Sachant que vous mettrez environ huit heures pour relier Paris à Berlin, soit 988 kilomètres, quelle sera votre vitesse moyenne ? Réponse : 123 km/h. Voilà donc ce que proposent SNCF et DB depuis le début de la semaine : un long trajet dans un train à grande vitesse, mais à vitesse très moyenne.
Entre Paris et Strasbourg, 1h45 environ, pour 396 kilomètres, c’est effectivement de la grande vitesse. En revanche, après, c’est presque un tortillard, avec une moyenne à moins de 100 km/h.
On peut aujourd’hui aller de Paris à Berlin par train de jour, avec une ou deux correspondances. Un Paris-Berlin via Francfort, c’est 8h10mn. Donc pourquoi passer par Strasbourg ? Pour les Strasbourgeois ? Ils évitent effectivement avec la nouvelle liaison un changement en Allemagne… mais ne gagnent quasiment pas de temps (Strasbourg-Berlin via Mannheim, c’est 6h21mn). Le réseau à grande vitesse allemand est extrêmement morcelé et lacunaire et ne ressemble pas du tout aux réseaux français, espagnol voire italien. D’où les vitesses réduites entre Strasbourg et la capitale allemande. Quelle est la rationalité économique à faire rouler un actif aussi coûteux que le TGV aussi longtemps à vitesse réduite?
Voilà donc un train symbole, le Paris-Berlin de jour, dont le seul atout véritable tient à l’absence de rupture de charge pour le passager de bout en bout. La France essaie d’exporter son modèle jacobin, au détriment d’une logique de réseau avec correspondances, celle que pratiquent les Allemands sur leur territoire. On verra assez vite si le relatif succès des réservations pendant les vacances se confirme en saison creuse, et résiste aux probables retards liés aux difficultés d’exploitation en Allemagne. Plus de huit heures en train, comme le chantait Voulzy, c’est lourd, c’est lent. C’est Paris-Berlent.
ETUDE
Pour leur temps libre, ce que les Français privilégient comme modes de déplacement
Une enquête et un Forum citoyen du think tank Forum Vies Mobiles mettent en évidence la priorité à la proximité et la recherche de solutions moins stressantes que la voiture.
Le temps libre est le temps dégagé de toute contrainte, qu’il s’agisse du travail, des études, des tâches domestiques, des formalités administratives etc. Selon l’enquête réalisée par FVM (Forum Vies Mobiles), auprès d’un large panel de 12 000 personnes sollicitées en ligne, les Français disposent en moyenne de 36 heures de temps libre par semaine, souvent de façon très fractionnée, et passent autant de temps à se déplacer pour l’exercer que pour le travail. Cela s’est traduit dans les chiffres de fréquentation des transports en commun en zones denses : les pointes du matin et du soir se sont arasées, notamment du fait de la progression du télétravail, au profit des fins de journées et de semaines, dédiées au temps libre.
Par opposition au temps contraint lié à une activité professionnelle, le temps libre est souhaité plus continu, plus apaisé, y compris en matière de déplacements. Pour les loisirs de proximité, c’est plutôt la marche à pied voire le vélo, pour les soirées un transport public qui allège la charge mentale du retour au volant. Pour la vie familiale et la sociabilité amicale qui se sont spectaculairement dispersées sur le territoire hexagonal, le train – voire le car pour les plus jeunes – est préféré à la voiture, qui reste malgré tout majoritaire. Une telle tendance va probablement encourager les opérateurs alternatifs à booster les offres non radiales.
De façon complémentaire à l’enquête en ligne, 120 personnes interrogées en présentiel pendant deux jours et demi par quatre groupes de trente, représentatifs de la diversité de la société française, ont nourri l’expression d’une demande de temps libre apaisé, grâce à des espaces publics inclusifs et agréable qui mettent le piéton au centre des zones denses (Paris notamment) ou des cadres de vie améliorés (tourisme vert et culturel).
Maintenant, c’est IKEA-sur-Seine!
Comme une sorte de confirmation des tendances nouvelles dégagées par l’enquête de FVM, on a appris récemment au cours d’un instructif «atelier flottant» (sic) organisé par Haropa sur la Seine qu’en quelques années, la part des achats en ligne d’Ikea en Ile-de-France était passée de 8% à 26%. C’est devenu bien moins tendance d’aller en voiture en banlieue arpenter les allées des magasins suédois et de charger son véhicule tant bien que mal, place désormais à la commande en ligne… et donc à la livraison à domicile.
C’est là que le fleuve intervient. Mis à part pour les livraisons estampillées urgentes, IKEA a mis en place depuis décembre 2022 une logistique d’acheminement par le fleuve via l’entrepôt de Gennevilliers. Des caisses mobiles de 6m3 sont transportées la nuit jusqu’au quai de Bercy, où des camions électriques prennent le relais jusqu’aux domiciles des clients.
Cette stratégie d’«omnimodalité» est une première pour Ikea en Europe. En moins de deux ans, ce sont 12 000 camions en moins sur les routes, et 300 clients livrés par jour (soit 60% des commandes en ligne). Objectifs désormais : passer à 400 livraisons, trouver des flux retours, migrer à Limay en 2026 pour accroître la capacité, raccourcir les créneaux de livraison sur deux heures.
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MOUVEMENT
Isabelle Delon, la deuxième fois est la bonne
L’avis défavorable rendu en février dernier au projet d’évolution professionnelle d’Isabelle Delon (lire MobiAlerte 115) avait beaucoup fait parler. Pour la Commission de déontologie du système ferroviaire, le passage de la directrice Clients et Services du gestionnaire d’infrastructure, SNCF Réseau, à la direction de l’Engagement social, territorial et de l’environnement à la SA SNCF posait d’évidents problèmes au regard notamment du droit de la concurrence.
Cette fois-ci, selon des informations concordantes, le régulateur a validé le passage d’Isabelle Delon à la direction de l’audit interne et des risques Groupe, en remplacement de Marie Savinas.