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Tempêtes de janvier
L’affaiblissement de l’exécutif propulse de façon inédite sur la place publique des affrontements de coulisses. Certains fonctionnaires plient sous les offensives d’extrême-droite.
Le bordel est contagieux. Chacun pour soi et tous en liberté. François Bayrou autorise ses ministres à s’exprimer de façon personnelle. La désorganisation et l’inexpérience des cabinets déconcertent. Les concertations sont négligées. L’administration dysfonctionne. Ajoutez à cela le vent trumpien de la dérégulation et du muscle triomphant qui traverse l’Atlantique, et vous avez une fin de mois de janvier aussi tempêtueuse dans la vie publique que dans les cieux.
L’affaire du VM (Versement Mobilité) que nous relatons ci-dessous illustre la contagion de ce désordre. Dans le petit monde feutré des lobbies d’intérêt public, la lettre envoyée au Premier ministre par France Urbaine et Intercommunalités de France a fait l’effet d’une bombe : «Si les intercommunalités mesurent les difficultés financières auxquelles les régions sont confrontées, elles ne peuvent admettre que, sans aucune concertation, la seule ressource dont elles disposent pour financer leurs actions de développement des transports publics, soit fragilisée.» Agglos contre régions, la guerre est désormais ouverte. Au milieu, le Gart…
Il y a plus grave, et le spectacle du désordre gouvernemental est public.
Elisabeth Borne ministre de l’Education Nationale a dû envoyer aux recteurs une lettre leur rappelant que «les interventions des forces de police et de gendarmerie liées aux procédures d’éloignement sont strictement interdites dans le cadre scolaire», après l’arrestation d’une jeune burkinabé dans un collège de Moselle en vue de son expulsion en Belgique. Ce rappel était indispensable. Mais a-t-elle contacté son collègue Retailleau responsable des forces de police ? Qu’en pense le Premier ministre qui a ouvert la porte à la lutte contre la «submersion» ? Les tenants de l’ordre ne respectent pas l’ordre républicain : ce serait savoureux si ce n’était dramatique.
La cerise sur le gâteau de cette dernière semaine de janvier? Le Président de la République invite «à la constance et à la stabilité» en matière de politique économique. Jouer les modérateurs en janvier quand on a provoqué le désordre en juillet, il fallait oser.
«Nous étions fin janvier, en ce creux de l’hiver où les courages s’épuisent» (Clavel).
Demain, février. Quelques vers de «Février de cette année-là» (Maxime Leforestier). Libre choix de l’épilogue.
«Sur le calendrier
Au mois de février
Les jours s’allongent peu à peu
On se lève assez tard
Les yeux pleins de brouillard
Heureux ou malheureux»
G. D.
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ANALYSE
Appel d’offres TET : SNCF Voyageurs, sans surprise
L’Etat a choisi SNCF Voyageurs pour exploiter les deux lignes de Trains d’équilibre du territoire Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon, au détriment de la Renfe et de la compagnie Le Train. Voici ce qu’on peut en dire.
Le gagnant : «Nous sommes partis d’une feuille blanche pour aboutir à une très belle offre et nous avons gagné.» Le perdant (Alain Getraud, Le Train) : «Je n’ai pas à juger des critères d’attribution de l’Etat et ne conteste pas la conformité du processus. Je regrette que les critères liés à l’usager (les prix et les services) n’aient pas davantage été pris en considération.» Quant à la Renfe, si elle a bel et bien répondu, sa discrétion et son recours massif à des conseils posent question sur sa réelle intention.
Il semble clair que SNCF Voyageurs a tout fait pour gagner, sur l’ensemble des critères et notamment au niveau de ses propositions financières. En prévoyant des revenus de tarification très conséquents, par la croissance de la fréquentation (une cinquième fréquence sur Nantes-Bordeaux, et une sixième le vendredi et le dimanche) et le perfectionnement de sa tarification, l’entreprise a minimisé la contribution publique, probablement de dix points – en ces temps de disette budgétaire, l’Etat apprécie ! Le ministre Philippe Tabarot ne s’en est pas caché : «Les contribuables verront leur facture baisser.»
Le jeu était-il véritablement ouvert ? L’Etat était-il prêt à prendre le «risque» de ne pas confier ces deux lignes à l’opérateur dont il est l’actionnaire unique ?
«Oui», dit la DGITM, qui va jusqu’à parler de nouvel opérateur à propos de SNCF Voyageurs Océan, la société dédiée qui exploitera les lignes. De fait, elle a craint tout au long du processus qu’il s’achève en eau de boudin avec le retrait des deux challengers (comme lors du premier appel d’offres déclaré infructueux), par ailleurs susceptibles de déposer des recours. La façon dont le futur centre de maintenance de Blottereau a été traité (en cours de procédure il a été spécifié que sa construction serait financée par l’Afitf plutôt que par l’opérateur) confirme l’hypothèse d’une priorité au déroulement d’une compétition ouverte.
La Renfe et Le Train ont-ils joué les lièvres ? Selon nos informations Le Train a posé un modèle de tarification en rupture : prix fixe des origines/destinations, évolutif (à la baisse ou à la hausse) six jours avant le départ, mais sans yield management. Cela allait dans le sens d’une clarification au bénéfice du passager, pour une offre qui ne ressort ni de la grande vitesse ni de l’open access. Mais la conséquence, c’est une contribution publique qui baisse moins que dans l’hypothèse d’un yield management renforcé.
Manifestement, l’Etat n’a pas été sensible à cette révolution tarifaire et servicielle, et a succombé aux sirènes d’une tarification que SNCF Voyageurs maîtrise ô combien, étend et perfectionne progressivement mais sûrement. Aurait-il dû par conséquent indiquer dans son cahier des charges que la baisse de la contribution publique était prioritaire, et indiquer son choix de tarification, comme toute bonne autorité organisatrice urbaine ou régionale le fait pour ses transports en DSP ? C’est factuel : année après année, SNCF Voyageurs impose sa tarification variable, et l’Etat-Bercy y trouve son compte.
La suite ? «Ma détermination est intacte», confirme Alain Gétraud, «nous allons proposer aux voyageurs en open access et aux autorités organisatrices en DSP des choix originaux, des produits différents et performants.» Quant à SNCF Voyageurs, il lui faudra délivrer dans un an le service aux conditions auxquelles il s’est engagé : ce sera une autre paire de manches, à la fois en qualité d’exploitation et en termes financiers. Car le récit de la feuille blanche et du nouvel opérateur, c’est une chose, le défi de la transition dans les faits en est une autre.
COMMENTAIRE
Le monde à l’envers ?
Voilà donc une DSP qui se finit par la victoire d’un opérateur 100% public qui se comporte comme un opérateur 100% privé, au détriment d’un opérateur 100% privé qui n’a pas fait du niveau de la contribution publique son obsession. Certains diront que Le Train a été naïf, d’autres constateront que l’Etat et la SNCF généralisent de concert un modèle économique et un système de tarification qui mécontentent nombre de Français par leurs conséquences sur les prix et leur illisibilité.
Lors de la cérémonie de vœux de SNCF Voyageurs, lundi dernier, l’affirmation de son PDG Christophe Fanichet était claire : «Nous sommes devenus une entreprise au plein sens du terme, c’est-à-dire qu’on pilote cette entreprise par le marché, par notre profitabilité, avec des investissements durables et rentables.» Cette stratégie se comprend pour résister à des concurrences a priori plus agiles que la vieille maison. Son actionnaire public y trouve son compte grâce à une conjoncture trafic très favorable. Rappelons que les bénéfices du TGV réduisent considérablement la contribution de l’Etat au réseau. Si demain les TET pouvaient eux aussi être profitables…
Mais si cette trajectoire stratégique est confirmée, alors il faut aller au bout de la clarification et de la transparence (qui sont désormais acquises côté SNCF Réseau). Est-il sain que l’open access et le conventionné coexistent dans la même structure ? Pour l’instant SNCF Voyageurs multi-activités use de toutes ses influences, sur tous ses marchés. Ecoutons Christophe Fanichet au cours de son discours. «Je salue Rodolphe Gintz et les équipes de la DGITM avec qui nous travaillons main dans la main. […] Merci cher François Durovray d’avoir ouvert le chantier si important pour l’aménagement du territoire de la peréquation entre dessertes TGV rentables et dessertes TGV déficitaires, il doit aboutir.» Le PDG d’une entreprise en compétition doit-il dire cela ? G. D.
RECIT
L’affaire VM
La création d’un Versement Mobilité régional au PLF 2025 a crispé lundi dernier les agglomérations et les intercommunalités qui ont écrit une lettre très offensive au Premier ministre, rendue publique. Histoire d’une confrontation qui a démarré à l’automne dernier…
Finalement la Commission mixte paritaire de ce jeudi 30 janvier a tranché : création d’un Versement Mobilité Régional (VMR) à un taux de 0,15%, affectation d’une fraction d’ETS1 (la taxe écologique européenne) à hauteur de 50 millions d’euros (contre 250 millions espérés) à répartir entre toutes les AO, locales et régionales – avec 712 AOM locales + 13 régions, cela fait une moyenne de 69 000 euros par AO… Quelle manne! Mais pas d’augmentation du Versement Mobilité Urbain (VMU) à +0,2 pour les autorités organisatrices ayant un Serm (Service Express Régional Métropolitain).
Cette décision ne devrait pas calmer la guerre ouverte entre intercos et régions, enclenchée mardi dernier par une lettre à François Bayrou, rendue publique, des présidents de France Urbaine et Intercommunalités de France, Johanna Rolland et Sébastien Martin. Le texte est court mais clair : monsieur le Premier ministre, ne donnez pas de VM aux régions !
«Les élus de France urbaine et d’Intercommunalités de France souhaitent vous alerter de façon conjointe et urgente sur les graves conséquences qu’aurait la création d’un Versement Mobilité (VM) régional sur leurs politiques de mobilités. Si les intercommunalités mesurent les difficultés financières auxquelles les régions sont confrontées, elles ne peuvent admettre que, sans aucune concertation, la seule ressource dont elles disposent pour financer leurs actions de développement des transports publics, soit fragilisée. […] Créer un VM régional mettrait également les collectivités en concurrence les unes avec les autres sur une ressource déjà en tension. […] Nous comptons donc sur vous, Monsieur le Premier Ministre…»
L’histoire commence à l’Assemblée nationale mi-octobre, avec un amendement visant à transformer le VM «classique» en VM adapté à la gouvernance de la LOM, c’est-à-dire ouvert aux régions et aux syndicats mixtes.
C’est le point de départ de toute une série d’amendements : VM sur le périmètre des Serm, VM interstitiel pour les régions AOM locales, VM additionnel (VMA)… et augmentation du VM dit de droit commun (ou VM Urbain/VMU), LFI allant jusqu’à proposer d’augmenter le VM en cas de gratuité des transports !
Devant une telle surenchère, le ministre François Durovray tranche en faveur d’un VMR, dont le taux (0,2 ou 0,15 ?) nourrit des discussions sans fin au Sénat. Les collectivités urbaines s’émeuvent. Pendant le mois de décembre le Gart se montre globalement opposé au VM Régions – ce qui mécontente plusieurs régions qui menacent de quitter le Groupement -, avant d’adopter lors de son conseil d’administration du 15 janvier une position définitive: déplafonnement du VMU et soutien à la création d’un VMR. De son côté le VMA se retrouve en lisière puis abandonné, enfoui dans une telle avalanche de complexités qu’on vous les épargne…
Le nouveau ministre Philippe Tabarot ayant confirmé son soutien à la création d’un VM Régions (qu’il avait soutenu comme sénateur), et à l’aune de l’évolution des rapports de force, France Urbaine et Intercommunalités de France décident de défourailler à quelques jours du vote. Assises sur 5 milliards d’euros de VMU elles n’entendent pas laisser les régions s’inviter au festin, avec la perspective de 500 millions d’euros de VMR, a minima, certaines estimations allant au-delà. Mais leur lobbying public, violent et tardif n’est pas récompensé, en tout cas à l’heure où nous publions…
Il faut sans doute aussi regarder la décision de la CMP encouragée par le gouvernement sous l’angle budgétaire : un déplafonnement du VM Urbain se serait traduit dès juillet par une augmentation des prélèvements aux entreprises, tandis que le temps de mise en œuvre de la gouvernance du nouveau VM Régional aurait probablement retardé son prélèvement au premier janvier 2026. Parfois les petites économies expliquent les grandes décisions.
TDIE/MOBILETTRE
Financement des infrastructures : la fin des concessions autoroutières n’est pas un boulevard
Photos: Véronique Tarka Partouche.
Organisé mercredi 28 janvier par TDIE en partenariat avec Mobilettre, le débat sur l’avenir des financements des infrastructures a mis en évidence les enjeux liés à la fin des actuelles concessions autoroutières, mais pas seulement. Les trois questions clés, et le replay.
L‘amphi de la FNTP est resté plein de 9h à 13h, et plus de 100 personnes ont assisté aux débats depuis leurs écrans. Il faut dire que TDIE préparait son coup depuis plus d’un an, avec notamment l’élaboration d’un rapport du conseil scientifique qui a permis de lancer les échanges sur de bonnes bases (lire Mobitelex 476), complété par une virée instructive à Bruxelles et des entretiens préalables avec les parties prenantes.
Difficile de synthétiser à chaud des prises de parole souvent pesées au trébuchet, d’autant que le sujet ne s’est pas limité, loin de là, à la fin des concessions autoroutières. Mais elle focalise logiquement les attentions, vu l’ampleur des sommes dégagées et des besoins identifiés par Thierry Dallard (600 milliards d’euros d’ici 2050). Voici trois questions clés posées aux pouvoirs politiques et plus largement à l’ensemble des parties prenantes.
1) Comment conserver l’acceptabilité du péage?
En ouverture le ministre des Transports Philippe Tabarot a mis les pieds dans le plat, en imaginant l’entre-deux tours de la prochaine élection présidentielle en 2027, avec des candidats tentés de jouer la nationalisation ou la gratuité. Même si la première échéance de concession (celle de la Sanef) est le 31 décembre 2031, il est urgent de travailler dès maintenant à la justification de la perception pérenne de redevances d’usage et de taxes. L’«exemple» espagnol, avec le passage à la gratuité qui génère une hausse de l’accidentologie et une diminution de l’entretien parallèlement à la disparition des revenus de péages, est déjà dissuasif. Il faut y ajouter la perspective de la baisse progressive de la TICPE à mesure de l’électrification des véhicules.
Tout le monde semble d’accord pour consolider le consentement à payer, même si l’on pressent, en écoutant le sénateur Olivier Jacquin (PS), que les voitures pourraient être moins sollicitées que les camions, qui participent bien davantage à l’usure des infrastructures. Encore faudrait-il qu’au sein des partis politiques, une telle unanimité percole jusqu’aux grands chefs à plumes, toujours tentés de jouer l’effet waouh. En 2017, ce n’est ni le RN ni LFI qui ont proposé la suppression de la taxe d’habitation, qui a bien contribué à attirer les électeurs vers le candidat Macron. Conclusion: surtout ne pas jouer au c… avec les péages autoroutiers!
2) Comment la puissance publique peut reprendre le contrôle?
Là aussi il y a une forme d’unanimité, préparée par Thierry Dallard: la puissance publique a montré trop de faiblesses dans son rapport aux SCA et plus généralement dans l’exercice de la maîtrise d’ouvrage. «Il faut bien finir les actuelles concessions pour mieux préparer la suite», a résumé Thierry Guimbaud, le patron du régulateur, l’ART, qui a insisté sur le retour indispensable de la confiance entre tous les acteurs, y compris les collectivités locales qui devraient s’inscrire de plus en plus dans le paysage.
Dans ce contexte, la position des SCA était très attendue. Arnaud Quémard, DG de la Sanef, a avancé un argument de poids en faveur des concessionnaires: le contrat protège le puissance publique (de ses faiblesses et turpitudes, a rajouté un orateur). Interrogé sur l’attitude qu’il adopterait si les concessions n’étaient pas renouvelées: «Un contrat d’opérateur ne nous intéresse pas.» On comprend qu’elles n’entendent pas, à ce stade, dissocier leur ingénierie financière de leurs compétences techniques, qu’elles ne valorisent d’ailleurs pas excessivement.
L’enjeu est donc plus que jamais urgent, d’autant que le DGA de la DG Move Herald Ruijters et l’universitaire Frédéric Allemand ont posé les cadres européens qui douchent sérieusement les enthousiastes de l’endettement sans limite. Où l’on a par exemple découvert que les trois ans supplémentaires accordés à la France du fait de ses niveaux de déficit public (jusqu’en 2027) étaient subordonnés à une liste précise d’investissements, fournie à la Commission, sur laquelle ne figureraient que de rares projets transports. Tiens! et cette liste n’est pas transmise aux parlementaires et aux citoyens?
3) Jusqu’où peut aller la redistribution des produits de redevance?
Chacun imagine déjà l’affectation des revenus autoroutiers: à la route seulement, à toutes les infrastructures de transport, au budget de l’Etat? Si les textes européens excluent de faire tout n’importe et n’importe quoi avec la redevance d’usage versée par les usagers des autoroutes, l’utilisation d’une écotaxe poids lourds serait un peu plus souple, au regard de sa finalité écologique.
Une semaine avant le débat TDIE/Mobilettre, les Assises de la route organisées par Départements de France avaient mis en évidence les énormes besoins pour les réseaux locaux, aussi bien en entretien et régénération que pour l’adaptation au changement climatique et à la décarbonation. De son côté Rodolphe Gintz, le DGITM, quoique très prudent, n’a pas caché qu’il était essentiel de mettre à niveau le réseau national non concédé, qui souffre de la comparaison avec les autoroutes concédées. Dans ce contexte, que restera-t-il pour les autres modes… et pour l’Etat, dont il faut rappeler que les SCA versent aujourd’hui avec constance à son budget général des milliards chaque année?
L’actuel ministre et son prédécesseur François Durovray ont appelé à un débat ouvert, large et transparent pour retrouver la confiance tout autant défendue par les sénateurs Olivier Jacquin et Hervé Maurey, et faire émerger quelques solutions claires et partagées. Rendez-vous donc à la prochaine conférence des financements, en mai prochain… si d’ici là une censure n’a pas plongé l’exécutif dans une nouvelle incertitude.
Le replay du débat
La sagesse des présidents
Ils ont confirmé qu’ils ne feraient pas une année de plus, ou l’année de trop, après leur long pilotage unanimement salué d’un think tank qui compte plus que jamais dans le secteur des transports. A l’issue du débat, les deux co-présidents de TDIE Philippe Duron et Louis Nègre ont tenu à préciser qu’ils préparaient leur départ au 31 décembre prochain. Une succession pas si facile, puisqu’il reste encore un successeur ou une successeure à trouver. Un premier profil sera proposé au prochain conseil d’administration du think tank.
PUBLICATION
Ce que disent les lieux communs de notre monde
Le quartier d’affaires, la tribune de stade, l’Ehpad, le ghetto de riches… Nous connaissons tous, ne serait-ce que de nom, ces lieux qui racontant la société et l’économie de la première moitié du 21ème siècle. Le romancier et géographe Michel Bussi a eu la bonne idée de demander à des universitaires une courte monographie d’une centaine de « lieux communs » *.
Emmenant leurs lecteurs de Frontignan à Shinjuku, de Mérignac à Djakarta, sans oublier Instagram, les auteurs explorent l’histoire et l’actualité de l’appartement Airbnb, de la rue de la Soif ou de l’entrepôt Amazon.
Un tableau impressionniste qui complète les exposés sentencieux opposant la «France périphérique» aux «centres des métropoles». L’urbaniste Éric Charmes porte d’ailleurs un regard nuancé sur «le pavillon», rappelant la diversité du modèle, «des maisons de village sans jardin aux rares châteaux» et s’interrogeant sur la manière de convaincre ses habitants de souscrire à la transition écologique. De son côté, le village, investi par les citadins, est devenu «une banlieue déguisée en village», à moins que le terme ne désigne un centre commercial de luxe ou un complexe résidentiel fermé.
Le livre raconte le destin du casino, où, en absence de fenêtres, s’installe «une temporalité inédite, excitante, celle d’un champ des possibles toujours renouvelé», celui du bureau de vote, éphémère point de rendez-vous, doté d’une «micro-géographie interne», et détaille la mort du Macumba et le déclin du quartier gay, concurrencés par les soirées privées et les applis de rencontre.
Naturellement, une quinzaine d’entrées, regroupées dans un chapitre baptisé «En mouvement», s’intéressent aux infrastructures de mobilité. Avec la «priorité à la vitesse» qu’incarne le périphérique de la grande ville, «on est passé de l’urbanisme cousin de l’architecture à l’aménagement urbain, techniciste». La gare routière, moins monumentale que son pendant ferroviaire, est qualifiée d’«auxiliaire sans gloire du tout-automobile», tandis que l’auto-pont, moche mais pratique, incarne «un idéal de fluidité de l’urbanisme moderne» qui génère une «ségrégation verticale» entre ceux qui passent au-dessus et ceux qui vivent en-dessous.
Dans le métro, «espace clos et complexe», voire anxiogène, estime la géographe Marion Tillous, «la confiance dans le système implique la confiance dans les autres usagers».
Le col est une «icône géographique», au point que son seul nom, Indiana Pass, Stelvio, Galibier, suffit parfois à convoquer un mythe. Le portique de sécurité, né des détournements d’avion dans les années 1970, se sophistique de manière proportionnelle à nos angoisses, jusqu’à la reconnaissance par les empreintes digitales ou la pression sanguine. Les auteurs consacrent à l’aéroport (où « nous abandonnons la liberté de nous comporter comme bon nous semble »), au terminal et au ciel, métaphore de trafic aérien, une entrée chacun, mais réussissent tout de même à passer à côté de la piste cyclable.
Enfin, les lieux communs s’étendent à la géographie des «anti-mondes» ces lieux invisibles et pourtant indispensables, comme le data-center, la réserve des musées ou la décharge. Instructif.
* Nos lieux communs, une géographie du monde contemporain
Sous la direction de Michel Bussi, Martine Drozdz et Fabrice Argounès.
Fayard, 29 euros.
DISPARITION
Anne Faure, la dernière marche
Urbaniste, présidente de l’association Rue de l’Avenir qu’elle avait cofondée en 1988, Anne Faure est décédée le 24 janvier à 82 ans. Cette adepte infatigable de la marche défendait la ville à 30 km/h, les quartiers apaisés, la ZTL plutôt que la ZFE. Pour elle, la marche n’était pas seulement un moyen de déplacement, mais aussi une manière de vivre la ville. Toujours curieuse, Anne Faure puisait des idées parmi les exemples européens, entretenant des liens chaleureux avec ses homologues suisses, belges ou italiens. En 2020, l’urbaniste avait contribué à créer le « Baromètre des villes marchables », qui invite les citadins à noter la « marchabilité » de leur ville, afin de faire pression sur les municipalités. La prochaine édition aura lieu en 2026.