Réforme ferroviaire : ça s’accélère

L’itinéraire de la réforme ferroviaire s’apparente un peu au parcours moyen d’un convoi de fret conventionnel au long cours : on pressent qu’il va arriver à destination, mais que c’est difficile… Un mois après les rapports Bianco et Auxiette, une phase de prise de parole gouvernementale s’annonce, la semaine prochaine. Selon nos informations, Jean-Marc Ayrault devrait s’exprimer devant les syndicats cheminots mardi 28 mai, à l’occasion de la visite d’un poste d’aiguillage. Objectif : prouver la consistance de l’Epic de tête du futur système ferroviaire (lire ci-dessous), alors que les syndicats ont prévu une grève «carrée» le jeudi 13 juin. Le lendemain, lors du conseil des ministres, c’est Frédéric Cuvillier qui devrait faire une courte communication sur les principaux axes de la réforme.

La pression de la SNCF et de RFF pour qu’un texte de loi soit déposé au Parlement à l’automne reste extrêmement forte. Un premier brouillon issu de la DGITM, daté du 24 avril, que Mobilettre a pu consulter, circule, précisant les principaux éléments de la réforme. Il est sans surprise, dans la continuité du rapport Bianco. Mais rien n’est simple. Le problème de son eurocompatibilité est au cœur des tensions, de même que la modification du rôle de l’Araf, qui serait dessaisie de sa capacité d’analyse économique et de sa conciliation de première instance au profit du haut comité des parties prenantes. Comment faire un système intégré tout en respectant les principes élémentaires de libre concurrence posés par Bruxelles ? Indépendance des fonctions essentielles du gestionnaire d’infrastructures, absence de flux financiers entre Epic, procédures strictes d’échanges de personnel : les dispositions voulues par Bruxelles se heurtent-elles à la logique d’intégration portée conjointement par les syndicats cheminots, l’encadrement SNCF, Guillaume Pepy et Jacques Rapoport ?

Dans une lettre conjointe à Frédéric Cuvillier, datée du 26 avril, que s’est procurée Mobilettre, les présidents Guillaume Pepy et Jacques Rapoport précisent d’ailleurs très clairement leurs souhaits : «L’intégration est indispensable à l’amélioration structurelle de la qualité de service et de l’efficacité économique du système et peut se faire dans le respect des règles européennes […]. L’établissement public SNCF (NDLR l’Epic de tête) serait chargé du pilotage et de la coordination du gestionnaire d’infrastructure SNCF Réseau et de l’opérateur SNCF Mobilités.» Un peu plus loin ils enfoncent le clou : «Nous considérons que la pertinence d’ensemble du dispositif ferroviaire public repose à la fois sur une réelle autonomie de gestion des deux opérateurs et sur l’exercice effectif d’un pilotage intégré.»

Dans la dernière ligne droite de la réforme, ils insistent ensuite sur deux points qui leur semblent essentiels : la consolidation fiscale et financière («qui s’impose») avec à la clé la détention des deux établissements opérationnels par l’établissement-mère (NDLR l’Epic de tête), mais aussi la gouvernance du groupe public : «L’établissement-mère serait placé sous le contrôle d’un conseil de surveillance et administré par un directoire composé des présidents des deux établissements opérationnels (et présidé par le président de l’opérateur de mobilité).» En clair, Pepy président du directoire, Rapoport vice-président.

Les deux présidents mettent donc la pression. En écho, les syndicats montent un peu le curseur, juste ce qu’il faut pour obtenir le maximum de garanties sur la consistance de l’Epic de tête, et la confirmation d’une unité économique et sociale avec notamment un CCE. Dans le rôle de la tranche de jambon, le gouvernement, peu désireux d’ouvrir un nouveau front social. Sa marge de manœuvre est étroite : pressé par Bruxelles de respecter les textes, conscient que la question essentielle de l’amélioration de la productivité n’est pas résolue par les incantations de l’intégration, il ne peut pourtant plus vraiment faire machine arrière sur la voie d’un système plus intégré, après le rapport Bianco. En outre, ce qui aurait pu se transformer en annonce et en signal politique (la réintégration dans le système ferroviaire des dividendes d’Etat et de l’impôt sur les sociétés, pour diminuer la dette) a été en partie gaspillé par les souhaits en la matière exprimés par les présidents Rapoport et Pepy, le mois dernier dans les Echos.

Les symboles en disent souvent plus long que les discours. En revendiquant, noir sur blanc, l’appellation globale SNCF pour l’Epic de tête, avec à la clé la disparition du nom RFF et la promotion de SNCF Réseau et SNCF Mobilités, Guillaume Pepy et Jacques Rapoport franchissent un nouveau pas vers l’intégration. Une bonne part des fonctions transverses de la SNCF actuelle, utiles au bon fonctionnement du système ferroviaire, migreraient ainsi vers l’Epic de tête : accessibilité, bruit, énergie, qualité, transparence modale, performance, sûreté, gestion des situations perturbées, R&D…, de même que des fonctions mutualisées (finances, gestion du foncier et de l’immobilier…), la stratégie RH, le soutien au développement international et tout ce qui a trait au pilotage stratégique du pôle unifié.

Une telle perspective commence à effrayer certains personnels de RFF, qui avaient été séduits par la perspective d’une fin des rivalités et des suspicions réciproques, et l’arrivée réussie du pragmatique Jacques Rapoport. Dans plusieurs régions, la perspective de l’intégration a tendance à être vécue comme un renoncement à l’indépendance d’expertise du gestionnaire d’infrastructure, et comme une victoire de fait des structures SNCF Infra. Loin de Paris, les subtilités politiques laissent place au rapport de forces : que deviendront quelques dizaines de cadres RFF face aux équipes SNCF ?

In fine, malgré toutes ces tensions, le calendrier semble fixé. Dans un document-bilan un an après son arrivée à la tête du ministère, Frédéric Cuvillier écrit : «La réforme ferroviaire sera présentée au Parlement à la rentrée.» Mais avant cela, il y a un passage (toujours risqué) devant le conseil d’Etat, qui pourrait inciter le gouvernement à présenter un texte light, avec de nombreuses dispositions réservées à la voie réglementaire. Ce que redoutent les syndicats, l’Araf et quelques parlementaires… Le convoi de la réforme n’est pas encore arrivé à destination.
G. D.

UTP : le futur successeur de Bruno Gazeau est choisi

Il y avait eu une première phase de recrutement à l’automne dernier, mais le candidat choisi avait finalement renoncé, convaincu par Gérard Collomb de rester à Lyon. Cette fois-ci semble la bonne : selon nos informations, Claude Faucher, 50 ans, DGS de la Haute-Savoie, sera prochainement nommé délégué général adjoint de l’UTP. Il a vocation, au terme d’une période de «tuilage» d’environ six mois, à prendre la succession de Bruno Gazeau, actuel délégué général.
Le comité de nomination qui a auditionné les cinq «très bons candidats» (selon l’aveu de plusieurs de ses membres) de la short list finale ont été séduits par la prestation orale de Claude Faucher mais aussi par son itinéraire, très complet (ONF, ministère de l’Agriculture, collectivités locales). Alors que Jean-Marc Janaillac s’apprête à succéder en juillet à Michel Bleitrach comme président de l’UTP, une nouvelle page de l’histoire de l’UTP semble se dessiner, dans un contexte de négociations sociales dans le secteur ferroviaire très tendues, d’abord entre représentants des entreprises, puis avec les syndicats. Par ailleurs, la capacité de l’UTP à porter haut et fort, dans le débat politique national, la parole du transport public reste à prouver.

Avenir Transports : deux co-présidents aux manettes

C’est mardi prochain, le 28 mai, que sans surprise Gilles Savary et Alain Gest deviendront co-présidents d’Avenir Transport, sur le modèle de TDIE qui depuis plus de dix ans résout le problème des alternances majoritaires par une présidence partagée. La modification des statuts a été effectuée lors d’une récente assemblée générale, au cours de laquelle le nouveau conseil d’administration de 18 membres a été élu : 5 UMP (Gest, Herbillon, Hérisson, Nicolin, Reitzer, 5 PS (Savary, Duron, Soulage, Rogemont, Ries), et huit «experts» (Jouffroy, Le Bras, Lieure, Pelhate, Quidort, Tran-Thiet, Volant, Ziv). Le tout sous le regard bienveillant de Dominique Bussereau, premier président et fondateur de l’association.

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