Mobiteloex 407 – 24 mars 2023

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Le printemps à l’envers 

Les Français et les acteurs économiques espéraient tourner enfin la page du traumatisme Covid et des conflits sociaux. Raté.

Et c’est reparti… La France s’embrase à nouveau, avec des manifestations records partout, des blocages et des incidents. Après deux mois de contestations calmes et dignes, l’utilisation du 49.3 et l’intervention télévisée du président de la République ont mis le feu aux poudres, ce jeudi 23 mars.

La répétition des conflits expose la responsabilité du pouvoir exécutif

Depuis le début du premier quinquennat Macron, seule la pandémie a permis l’accalmie sociale. Printemps 2018 les cheminots contre la réforme ferroviaire, automne 2018 les gilets jaunes, fin 2019-début 2020 le premier conflit sur les retraites, et depuis début janvier le second, d’ampleur bien supérieure. Même à penser que les Français sont d’incorrigibles rebelles à la réforme, une telle répétition expose la responsabilité du pouvoir exécutif.

Mettons volontairement de côté le débat de fond sur le financement de la retraite par répartition, pour n’en évaluer que son opportunité. Porter une telle réforme en pleine crise inflationniste des produits du quotidien et de l’énergie, cela revient à proposer une choucroute comme plat de résistance pendant une canicule estivale. Pour les acteurs économiques qui retrouvaient quelques couleurs après les chocs du Covid et du prix de l’énergie, cela équivaut à placer des ralentisseurs sur une autoroute.

Les certitudes successives et désordonnées d’Emmanuel Macron et de son aréopage n’ont d’égales que la désillusion des Français devant la gouvernance publique, qui s’accroît depuis vingt ans. La rigidité techno d’une Première ministre sans identité politique ni empathie parachève le tableau d’une élite déconnectée. Sans doute faudra-t-il collectivement payer les excès des quoi qu’il en coûte successifs. Mais sans sentiment d’équité dans la répartition des efforts, sans perception d’une forme de sincérité dans les communications publiques, la sanction est inévitable: rejet de la démocratie représentative, montée des populismes. Ce printemps 2023 est déjà incandescent sans attendre la fatalité du réchauffement climatique. G. D.

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FERROVIAIRE

Régionéo, avis de turbulences

Selon nos informations la mésentente est sévère entre les deux actionnaires de Régionéo, Getlink et RATP Dev. Jusqu’à provoquer une prochaine modification de la répartition de son capital?

Commençons par les réponses officielles des protagonistes à nos interrogations sur leurs désaccords au sein de Régionéo, leur entité commune créée pour répondre à l’ouverture du marché des TER. «Rien de plus que la vie d’entreprise et des relations de partenaires, avec des discussions sur les sujets mais l’entente est bonne entre Yann [Leriche] et Hiba [Farès]», commente Getlink. Circulez… La communication des sociétés cotées est toujours prudente. Côté RATP, c’est plus disert, plus étayé… et un peu plus nuancé : «Notre partenariat avec Getlink, en combinant nos forces, nous a permis de tester notre capacité à pénétrer ce nouveau marché – en particulier sur l’appel d’offres en cours dans les Pays-de-la-Loire. Ce partenariat n’est pas exclusif : selon leurs priorités stratégiques, adaptées à chaque lot mis en appel d’offres, RATP Dev comme Getlink peuvent envisager de se positionner ensemble via Régionéo, ou séparément. Dans tous les cas, quel que soit le véhicule utilisé, RATP Dev est déterminé à se développer sur ce marché.»

Venons-en à nos informations. C’est depuis l’été dernier que les désaccords entre les deux actionnaires sont patents, sans que l’on puisse en affirmer avec certitude l’origine factuelle. L’appel d’offres des TER en Hauts-de-France, duquel RégioNéo s’est retiré ? Toujours est-il qu’à l’automne, l’alliance bat franchement de l’aile. Getlink prend ses distances, RATP Dev se retrouve clairement aux manettes de l’appel d’offres Pays-de-la-Loire.

Les deux dirigeants à l’origine de la filiale commune ont eux aussi pris du champ, de façon définitive pour Catherine Guillouard, parce qu’il n’est désormais que le président du conseil d’administration pour Jacques Gounon, qui a laissé la responsabilité exécutive de Getlink à Yann Leriche. Ils ne portent plus personnellement l’ambition des débuts. C’est probablement un handicap quand il s’agit de faire face à des désaccords au sein des équipes. En outre Yann Leriche ne cache pas, y compris publiquement, son scepticisme sur l’ouverture du marché conventionné des TER.

Toujours est-il qu’en décembre dernier Ronan Bois, directeur général RATP Dev Rail et Régionéo, quitte l’entreprise – il sera recruté quelques semaines plus tard par… la SNCF, comme directeur régional en Bourgogne Franche-Comté (et remplacé à Régionéo par Bertrand Gaillard). RATP Dev se retrouve de plus en plus seule au gouvernail quotidien de Régionéo – elle en possède 55% des parts. Sur l’appel d’offres Pays-de-la-Loire, c’est un secret de polichinelle que c’est elle qui mène le dossier.

Selon nos informations, l’hypothèse d’une modification de la répartition du capital de Régionéo a été posée sur la table. RATP Dev pourrait monter à 90%, Getlink passant à seulement 10%. On comprendrait alors mieux les phrases diplomatiques de la RATP vis-à-vis de son partenaire, et affirmatives quant à sa propre stratégie sur les marchés ferroviaires…


RESULTATS 2022

Transdev prend le large

Forte augmentation du chiffre d’affaires, avant le rachat effectif de First Transit en Amérique du Nord qui l’emmènera sur la voie des dix milliards d’euros.

+ 10% par rapport à 2021, mais combien par rapport à 2019, l’année de référence avant-crise ? +4%. C’est substantiel, et cela confirme la bonne sortie de crise de Transdev, porté par ses développements, un peu en France et beaucoup à l’international (Suède, Pays-Bas, Allemagne, Océanie, Colombie, Equateur…). La part de l’international représente déjà 65% du chiffre d’affaires, à 7,7 milliards, avant même l’intégration des activités de First Transit en Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada), qui générera 2,3 milliards de dollars US en année pleine.

Racheté par endettement juste avant la crise de la banque SVB, First Transit est a priori une bonne affaire : l’activité ne demande que peu d’investissements puisque les autorités organisatrices la plupart du temps acquièrent elles-mêmes les matériels roulants. Tout est surtout affaire d’intégration industrielle, de process et de management ; Laura Hendricks aux Etats-Unis et Arthur Nicolet au Canada en seront les pilotes.

Il faut donc s’attendre l’année prochaine à ce que la France n’assure plus que 30% du chiffre d’affaires de Transdev. Cette évolution est aussi due à quelques revers cuisants (Bordeaux) mais de manière plus générale il confirme le virage stratégique annoncé en juillet 2021 à Mobilettre par Thierry Mallet (lire Mobitelex 348): priorité à la rentabilité, et chacun sait qu’en France celle du transport public conventionné est faible. Plus question d’aller sur des appels d’offres pour faire de la figuration ou ne pas faire de marge : non au Grand Paris Express, et prudence sur le ferroviaire (lire aussi ci-dessous). En revanche, à Lyon comme en Ile-de-France, les opportunités de croissance sont claires.

Bon, en 2022, la rentabilité (20 millions d’euros de résultat net) fut aussi faible que la défense anglaise face à l’équipe de France de rugby il y a deux semaines. Mais comme Keolis, le retour à l’équilibre est là, et ce sont le coût de l’énergie (avec des mécanismes de couverture compliqués à mettre en place avec les AO) et le risque de pénalités pour offre non réalisée par manque de conducteurs qui risquent d’entraver cette année encore le retour à une meilleure profitabilité.


CONCURRENCE

TER : des résiliations anticipées pour repousser la concurrence

L’Occitanie vient de resigner avec la SNCF jusqu’en 2032, la Nouvelle-Aquitaine et Bourgogne Franche-Comté s’y préparent…

L’Autorité de la Concurrence a engagé à la fin de l’année dernière une enquête sectorielle dans le secteur des transports terrestres de personnes et lancé une consultation publique sur le sujet. Parallèlement, elle a saisi d’office l’ART (Autorité de régulation des Transports) sur les questions de sa compétence relevant du sujet et celle-ci, par souci de transparence a décidé de rendre public cet avis. Nous reviendrons plus en détail sur cette enquête. Mais nous voulions d’ores et déjà mettre en lumière le point d’alerte de l’ART « sur les risques de retard et de non-respect des échéances prévues pour l’ouverture à la concurrence des services conventionnés. »

En dépit de la période transitoire de quatre ans qui court entre le 3 décembre 2019 et le 24 décembre 2023, l’ART relève que seules cinq Autorités organisatrices de transport (Provence-Alpes-Côte d’Azur, Hauts-de-France, Ile-de-France, Grand Est et Pays-de-la-Loire) sur treize ont engagé des processus de mise en concurrence et un calendrier d’ouverture à la concurrence de leurs services ferroviaires conventionnés.

Certes, on peut invoquer des retards liés à la crise sanitaire, au calendrier de gouvernance des régions et à la complexité des compétences requises pour mener à bien ces processus.

Mais pour l’Autorité de Régulation des Transports, cette situation génère « à court terme, un risque de non-respect des échéances, compte tenu des délais d’élaboration des procédures d’appel d’offres et de la capacité limitée des entreprises ferroviaires à répondre concomitamment, au regard de la charge de travail que cela implique, à plusieurs appels d’offre à la fois ». Ce qui, dit en d’autres termes, avantage l’opérateur historique. « A moyen terme », poursuit l’ART, « il y a un risque de quasi-absence d’ouverture effective du marché des services de transport ferroviaire conventionnés de voyageurs et d’absence de matérialisation des bénéfices attendus de cette ouverture. »

Et ce report de l’ouverture serait encore accentué si certaines AOT usaient de ce qu’il faut bien appeler un détournement de procédure : « Il ne peut être exclu que certaines AOT décident de résilier de façon anticipée leurs conventions afin de pouvoir en conclure une nouvelle avec SNCF Voyageurs avant l’échéance du 24 décembre 2023. » Or, autant l’ART « est garante du bon déroulement de l’ouverture à la concurrence des services conventionnés en ce qui concerne les problématiques d’accès aux données nécessaires aux procédures de mise en concurrence ou de transferts de personnes », autant « les problématiques contractuelles telle que celle tenant à la résiliation anticipée des conventions de service public ne relèvent pas de sa compétence. » Certes, la résiliation anticipée d’une convention emporte normalement des pénalités mais il y a tout lieu de penser que SNCF Voyageurs les oublierait face à la garantie d’une nouvelle convention de gré à gré…

L’ART publie fort opportunément un tableau reprenant le calendrier des conventions ferroviaires et justifiant ces craintes.

Outre la région Occitanie, qui vient de signer une nouvelle convention de dix ans avec la SNCF alors que la précédente n’expirait qu’en 2025, des interrogations y sont exprimées sur la situation dans deux autres régions. La Nouvelle Aquitaine, dont la convention expire en 2024, mais qui selon nos informations est actuellement en discussion avec la SNCF pour une nouvelle contractualisation ; Bourgogne-Franche-Comté, dont la convention expire en 2025, mais sa présidente Marie-Guîte Dufay s’est prononcée en faveur d’une nouvelle convention jusqu’au 31 décembre 2032, à rebours de sa proclamation spectaculaire il y a un an d’une libéralisation complète. Enfin, l’ART remarque que la région Auvergne-Rhône-Alpes, dont la convention expire cette année, ne s’est pas engagée dans un processus d’ouverture et que, compte tenu des délais nécessaires, celui-ci semble compromis d’ici l’échéance de la convention…

Les craintes de l’ART sont encore alimentées par l’existence, une fois échue la période transitoire, d’exceptions dont pourraient se prévaloir les AOT et notamment l’existence d’une « situation exceptionnelle » en particulier lorsqu’« un certain nombre de procédures de mise en concurrence organisées par l’autorité compétente ou d’autres autorités compétentes sont déjà en cours et pourraient affecter le nombre et la qualité des offres susceptibles d’être reçues si le contrat fait l’objet d’une mise en concurrence », autrement dit lorsqu’il y a risque d’embouteillage. Le recours à une telle dérogation est bien soumis à l’avis conforme préalable de l’ART mais il n’y a pas de sanction en cas de non saisine de l’Autorité par les AOT. L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire conventionné de voyageurs dans les délais impartis, c’est donc loin d’être gagné !

L’ART épingle aussi la RATP…

Dans ce même avis, l’Autorité de régulation consacre trois paragraphes à un autre sujet, l’ouverture à la concurrence des lignes du Grand Paris Express. Certes, elle l’admet elle-même, « dans le secteur des transports guidés de voyageurs, le législateur a restreint géographiquement le champ de compétence de l’Autorité à l’Île-de-France et ne lui a pas confié de compétences particulières en matière d’ouverture à la concurrence ». Mais quand même… « Les missions confiées par le législateur concourent toutefois indirectement à faciliter la mise en œuvre d’une concurrence effective ». Du coup, le régulateur ne s’en prive pas, et émet sèchement une alerte sur l’effectivité de ladite concurrence sur les lignes du réseau de transport public du Grand Pairs Express (RTPGPE), ainsi rédigée : « Même s’il existe un plan de gestion des informations confidentielles en vigueur au sein de la RATP, ayant fait l’objet d’un avis conforme de l’Autorité, les activités de gestionnaire technique d’infrastructure et les activités d’opérateur de transport sont hébergées au sein du même établissement public et ne font pas l’objet d’une séparation fonctionnelle robuste en interne. » Tout est dans le robuste…

Contactée, la RATP nous précise qu’elle prépare un courrier d’explication à l’ART et à l’Autorité de la concurrence.

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ANALYSE

La FUB, entre think tank et mouvement militant

Forte de 520 associations locales et de centaines de milliers de réponses à ses « baromètres », la FUB (fédération des usagers de la bicyclette), qui tenait début mars son congrès annuel à Rennes, semble balancer entre une mission d’apporteur d’idées et une fonction de machine à faire valoir les revendications.

L’exemple qui illustre le plus l’ambivalence de la FUB est celui du stationnement des vélos dans les gares. Ses collectifs régionaux livrent aux collectivités locales des solutions précises. « La proximité n’est pas le seul critère. Les arceaux doivent surtout être visibles, signalés et accessibles », a expliqué Marie Wehner, pour le Collectif vélo Ile-de-France. La sécurité n’implique pas seulement des locaux cadenassés à triple tour : « Des arceaux en libre accès, dans un espace animé, sont plus sûrs qu’une consigne close, non visible de la rue », précise-t-elle.

En outre, un système efficace implique, dans les pôles les plus denses, non pas plus de vélos, mais moins de vélos. Ainsi, à la gare d’Utrecht, les parkings sécurisés « saturent, car les gens laissent leur deuxième vélo à la gare », a raconté Fannie Bélanger, experte à l’Adma. Dès lors, « il faudrait faciliter l’accès à la gare à pied pour les trajets inférieurs à un kilomètre ».

Problème : certains militants n’admettent pas facilement cette réalité. Dans la salle des congrès de Rennes, le public réclamait encore « l’emport du vélo dans le TGV », une revendication que l’on entend souvent dans les réunions locales. Pourtant, la FUB a claqué la porte, en janvier, du collectif « Mon vélo dans le train » qui veut en faire « un droit ».

Sur un autre sujet, la position de la FUB pourrait bien être en décalage avec les aspirations de ses adhérents : celui des « véhicules intermédiaires », ces « objets roulants non identifiés », mi-voitures, mi-vélos, appelés à concurrencer les SUV, trop encombrants, trop consommateurs de ressources, trop dangereux. Après l’Ademe, le Forum vies mobiles et la Fabrique écologique, et tandis que Michelin et d’autres équipementiers automobiles observent de loin cette mobilité du futur, la FUB s’en est emparée sans hésiter. L’Aveyronnaise Hélène Jacquemain, de l’association Innovation véhicules doux (InVD), a expliqué comment son « véloto » à pédales gravit les routes pentues, à peine moins vite qu’une voiture, « dans des zones où le vélo ne suffit plus ».

Or, les fabricants de ces voiturettes et autres quadricycles électriques sans pédales « demandent à bénéficier des pistes cyclables existantes », rapporte Nicolas Frasie, administrateur de la FUB et par ailleurs responsable du développement de l’autopartageur Communauto. En revanche, en dehors des zones urbaines, « nous ne voulons pas de routes spécifiques pour les vélos, plutôt une meilleure cohabitation », a précisé Hélène Jacquemain. Cette utilisation rationnelle de la voirie secondaire prend à rebours une partie des militants, habitués à promouvoir l’aménagement séparé, mais aussi les recommandations du Cerema, et enfin les associations d’élus pro-vélo très attachées aux pistes cyclables, au point de voir dans l’objectif ZAN (zéro artificialisation nette) une menace davantage qu’une opportunité.

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