MobiEdito. 2023, l’incertitude

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par Gilles Dansart


2023

L’incertitude

En cette très chaude fin d’année on ne va pas jouer aux aruspices qui interprétaient le désordre des éléments – ils sont tellement nombreux, de la crise énergétique aux risques géopolitiques en passant par les évolutions sociétales et les variations de conjoncture. Et s’il fallait profiter de l’accumulation des perturbations pour penser autrement ? Ou comment la révolution des mobilités peut accompagner la transformation des modes de vie au quotidien.


Que fait-on quand on ne sait pas quoi faire ? On réfléchit, dans le meilleur des cas. Si le nombre de sollicitations adressées à Mobilettre depuis quelques semaines pour organiser et animer des colloques en 2023 correspond au niveau d’incertitude dans lequel nous plongent les contextes du moment, alors on ne devrait pas être loin des sommets himalayens – ou des abysses des Mariannes, c’est selon l’humeur de chacun.

Ce besoin de réflexion collective n’est pas très étonnant : entre les bouleversements géopolitiques, la crise énergétique, l’inflation, les désordres climatiques, les tectoniques sociales et sociétales post-Covid et notre propre confusion politique hexagonale, il n’y a que les irréductibles idéologues du marché rédempteur et de l’économie administrée à ne pas chercher des voies nouvelles et originales, rassurantes et dynamiques. Mais de côté-ci de l’Europe, l’écroulement de l’ambition politique que fut le macronisme complique singulièrement les choses.

Malgré tout la situation actuelle nous semble un puissant stimulant plutôt qu’une source de découragement: tel un Mbappé terrassant à la vitesse éclair sa déception qatarie, on ne va pas quand même pas se laisser submerger par quelques perturbations décembrales.

En parallèle de nos crispations récurrentes (la réforme des retraites, les jalousies public/privé, l’insécurité) émergent en effet des dynamiques nouvelles à même d’inverser le cours de la sinistrose hexagonale. C’est tout l’intérêt des regroupements noëlesques, qui favorisent la cristallisation d’opinions et de convictions. En ce 31 décembre on ne va pas prétendre lire instantanément dans le Glühwein, mais si la crise sanitaire et les désordres du monde induisent une évolution générale, c’est bien celle-ci et elle traverse toutes les classes sociales:

Une autre façon de vivre devrait être possible.

Disons-le autrement, en paraphrasant Desproges *: «Vivons mieux en attendant la mort !» On en rabat de nos ambitions: à l’absolu succèderait le possible, à l’accumulation le qualitatif, au sacrifice individuel l’effort partagé. C’est à la fois une sacrée rupture par rapport aux générations nourries au primat de l’effort individuel, et l’obligation d’une considérable mutation des politiques publiques.

On y arrive donc, fatalement, à notre passion commune: les mobilités. Elles sont au cœur de ces transformations, parce qu’elles constituent un élément majeur d’amélioration de la vie quotidienne et parce qu’elles doivent contribuer majoritairement à la décarbonation de l’économie. Tout le monde en parle, en cette fin d’année, qu’il s’agisse d’un sujet d’inquiétude (le passage au véhicule tout-électrique, le coût des déplacements, l’avenir de l’aérien), d’une opportunité de rupture de mode de vie (un déménagement, le télétravail) ou d’un changement de vie au quotidien (plus de mobilités actives ou partagées). Mobilettre vous racontera la semaine prochaine la réussite de la start-up «1 kilomètre à pied», qui propose aux grandes entreprises et aux administrations de rapprocher leurs salariés de leur domicile en analysant leurs déplacements. Ou comment une sorte d’intelligence collective peut compléter des politiques publiques d’aménagement assez largement mises en échec.

Moins d’autosolisme au quotidien, plus de transport partagés et/ou décarbonés : pour l’instant le gouvernement a les slogans mais ne met pas les moyens.

Il contribue à ne pas réduire l’incertitude inhérente à ces transformations majeures. C’est très bien d’investir 150 millions d’euros dans le vélo, autant dans l’incitation au covoiturage: l’effervescence citoyenne et entrepreneuriale autour de ces solutions est formidable. Mais l’importance des flux quotidiens confrontés à l’évolution des métropoles et des déplacements dans les territoires impose de s’attaquer aussi aux modes lourds. Le sous-financement de l’exploitation des mobilités collectives en général et ferroviaires en particulier, et le sous-investissement dans la modernisation des infrastructures, quelles qu’elles soient, n’est plus un sujet polémique, c’est une réalité que ne doivent plus occulter des propagandes gouvernementales indignes. Par contraste, la façon dont les collectivités territoriales s’emparent du sujet, parfois, certes, avec maladresse, témoigne de la tragique distance des instances exécutives nationales, qui est un mélange de technocratisme et de mépris de classe si peu déguisé.

Eh oui, on en remet une couche, à notre exaspération de Noël consécutive au coup de chaud contre la grève SNCF des contrôleurs (lire MobiNoël). On voudrait que les projecteurs et les indignations se focalisent aussi, et surtout, sur les conditions de déplacement au quotidien de millions de nos concitoyens, de façon à obliger à une révision fondamentale des politiques publiques. Fort opportunément, Gilles Savary va publier en ce mois de janvier un ouvrage engagé, instruit et passionnant sur le sujet des mobilités: «La ville inaccessible, essai sur une fabrique des gilets jaunes». ** Nous vous en parlerons la semaine prochaine également.

Nous avons récemment salué (lire Mobitelex 396) la forme de réconciliation de la longue distance et de la proximité que peut incarner le projet LNPCA (ligne nouvelle Provence Côte d’azur), avec deux premières phases de travaux destinées principalement à améliorer les offres urbaines et périurbaines, tout en optimisant la circulation des TGV et des trains de fret. Nous persistons : il faut travailler à l’harmonie des offres et des modes, abolir les frontières qui découragent, imaginer des solutions nouvelles. Mais pour cela, il faut plus d’argent pour le mode structurant qu’est le ferroviaire. Ça fait mal à Bercy mais c’est indispensable.

Gageons qu’en cette année 2023 on ne fera pas non plus l’économie d’une réflexion sur l’avenir des deux fleurons hexagonaux, la SNCF et la RATP.

Jean-Pierre Farandou arrivera au terme d’un mandat bouleversé par la grève des retraites et la crise Covid, et fragilisé par les premières limites de l’édifice baroque de la loi de 2018. Jean Castex découvre une RATP en crise, à l’identité troublée par l’arrivée de la concurrence.

Plus que jamais cohabitent des ressentiments de tension sociale et des envies de passer à autre chose. Lesquels vont l’emporter ? Cela dépend beaucoup du pouvoir central : choisira-t-il une énième confrontation identitaire, par exemple sur la réforme de retraites, quitte à obtenir une victoire à la Pyrrhus comme Sarkozy en 2008? Ou aura-t-il la force de baliser autrement l’avenir collectif, à base de transformations de gouvernance et de stratégies enfin durables ?

Il pourrait donc y avoir un peu de sport en 2023, au propre, à l’automne, avec la Coupe du Monde de rugby qui sera une petite répétition des Jeux Olympiques, et au figuré avec une pluie d’incertitudes: l’état d’avancement des nouvelles infrastructures franciliennes, le degré de conflictualité sociale, les conditions d’un retour à une offre à 100% du transport public, l’impact de la crise énergétique sur le transport de marchandises et l’économie en général. Aucun directeur financier ne se hasarde à faire des plans au-delà de six mois, vu la variabilité des conditions économiques.

Jean-Paul Sartre préférait le désespoir à l’incertitude (dans Le diable et le Bon Dieu). Edgar Morin, lui, recommande de «supporter toniquement l’incertitude», qui «contient en elle le danger et aussi l’espoir». On va donc en ce 31 décembre espérer plutôt que déprimer.

Nous vous souhaitons une excellente année 2023!

Gilles Dansart


* Pierre Desproges, «Vivons heureux en attendant la mort!», 1983.
** Gilles Savary, «La ville inaccessible, essai sur une fabrique des gilets jaunes», Le bord de l’eau Documents, 296 p., 18€.

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DEBAT

Le 30 janvier à 10 heures à Paris

TDIE et Mobilettre vous proposent de participer à un débat intitulé

« Planification, sobriété, régulation : nos outils de politique publique des transports sont-ils adaptés à l’objectif de la neutralité carbone en 2050 ? »

avec la participation, entre autres, de Anne-Marie Idrac, Chantal Jouanno (CNDP), Thierry Pech (Terra Nova), Fanny Arav (Cese-Unsa ferroviaire), Patrick Vieu (ART).

Inscriptions

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