Mobitelex 403 – 17 février 2023

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Mobitélex. L'information transport

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CO2 mon désamour *

A n’envisager que l’urgence de la réduction des émissions de gaz à effet de serre va-t-on renoncer à une politique de mobilité ambitieuse ?

Notre papier intitulé «Mourir décarbonés?» du vendredi 10 février a inspiré de nombreux commentaires. Notre questionnement était le suivant : faut-il accepter des mesures pas ou mal préparées au motif que leur finalité, la lutte contre le réchauffement climatique et pour un meilleur environnement, est juste et urgente ? Nous prenions appui sur l’improvisation de la programmation énergétique, de 2015 à 2019, révélée de façon très crue par la commission d’enquête parlementaire.

Grâce à vous de nouveaux exemples ont volé en escadrille… Ils s’appliquent spécifiquement aux questions de transport. Arrêtons-nous sur celui qui nous semble le plus édifiant : les choix budgétaires pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.

Des pôles de mobilité ouverts, accessibles et pratiques, partout sur le territoire, c’est le sens de l’histoire

En gros Bercy dit : puisque c’est le transport routier qui pollue le plus, mettons le paquet sur la décarbonation des véhicules automobiles, cela peut donner des résultats assez rapides. Le ferroviaire ? Il est déjà très décarboné, c’est trop long, ça coûte cher, et on cherche en vain les signes d’un report modal…

Oubliés les coûts de la congestion, la mortalité routière, les ségrégations territoriales, les dégâts en matière d’urbanisme et d’artificialisation des sols, et bien d’autres encore. Négligée l’indispensable dynamique de l’offre qui crée la demande – et donc le report modal. On accuse les solutions collectives de maux (l’irrégularité, l’inconfort, le tarif) qu’on a soi-même provoqués par des décennies de sous-investissement, ou plutôt de priorités aux grands projets aux dépens des mobilités du quotidien.

Il est plus que jamais urgent de porter l’ambition d’une grande politique multimodale, basée sur l’édification partout sur le territoire de pôles de mobilité ouverts, accessibles et pratiques, basés sur la primauté de l’usage – une sorte de réinvention des gares ferroviaires qui ont structuré la France il y a plus d’un siècle. C’est le sens de l’histoire.

Les premiers éléments d’arbitrage suite à la prochaine publication officielle du rapport du COI (conseil d’orientation des infrastructures) ne semblent guère encourageants. Si aux TRI (taux de rentabilité interne), de plus en plus discutés, succède le diktat de l’indicateur des émissions de CO2 à court terme, rien ne changera pour les agglomérations et les territoires. CO2, mon désamour…

* Titre librement inspiré de l’émission «CO2 mon amour», animée par Denis Cheissoux sur France Inter, qui depuis vingt ans traite de façon experte et compréhensible des questions environnementales.

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MOUVEMENTS

SNCF, Muriel Signouret nouvelle cheffe de gare

Il y a finalement quelques similitudes entre le boulot de directrice de cabinet et celui de cheffe de gare : on y fait beaucoup d’aiguillage… Après quatre années auprès de Jean-Pierre Farandou, Muriel Signouret s’est vue proposer de rester au sein de la grande maison, avec une immersion en poste opérationnel qui est le préalable à toute ascension future. Elle prendra la direction de Paris Gare de Lyon et Paris Bercy Bourgogne-Pays d’Auvergne dès le 8 mars prochain, journée internationale des droits des femmes.

Cela tombe bien. Elle remplace une autre femme, Priscille Garcin, ex-directrice de l’information et de la stratégie de communication du groupe SNCF, qui occupait le poste depuis trois ans, et qui sera chargée de mettre très vite en place une coordination des projets Coupe du Monde de Rugby et Jeux Olympiques et Paralympiques, en interne à Gares & Connexions et en externe, au sein du groupe et avec les parties prenantes des JO. Sa maîtrise de la relation client, au plus près du terrain, lui sera très utile. Plus largement elle aura également pour mission de superviser et d’articuler les sujets marketing, commercialisation, production, qualité de service, engagement des salariés, communication interne et externe, relations institutionnelles dans le périmètre des actions à mener par SNCF Gares & Connexions.

Muriel Signouret sera remplacée poste pour poste (c’est-à-dire comme directrice du cabinet de Jean-Pierre Farandou, et directrice déléguée aux Territoires, aux Relations institutionnelles et à l’International) par Magali Patay, énarque elle aussi, au profil plus nettement financier. Elle était depuis 2014 responsable pour Natixis, au sein du groupe BPCE, des relations avec les entreprises du secteur public, les territoires et l’Etat. Elle était passée auparavant par la direction du Trésor.

Jean-Pierre Farandou choisit pour la dernière année de son mandat (avant une prolongation jusqu’aux Jeux Olympiques de l’été 2024 ?) un profil a priori plus classique à la lecture de son CV que celui de Muriel Signouret, qui fut notamment pendant quatre ans secrétaire générale de Public Sénat. Cette dernière a beaucoup œuvré à la mise en place d’un management et d’une posture présidentielle adaptée à la nouvelle gouvernance du groupe, tout en gérant les crises successives depuis 2019 (retraites, Covid, inflation etc). Elle affronte un nouveau défi professionnel, à la fois managérial, hiérarchique et fonctionnel.


EXCLUSIF

Philippe Van de Maele dircab de Christophe Béchu

Selon nos informations c’est l’actuel PDG de l’établissement public Paris-Saclay (depuis 2015) qui succédera à Marc Papinutti comme directeur de cabinet du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. X-Ponts, deux fois directeur adjoint du cabinet de Jean-Louis Borloo (en 2002 et 2008), Philippe Van de Maele a aussi dirigé l’Anru (agence nationale de rénovation urbaine) et passé deux ans chez Bouygues Construction.


FERROVIAIRE

Accords-cadres : en avoir ou pas…

L’ART vient de lancer une consultation publique portant sur les accords-cadres pour la répartition des capacités de l’infrastructure ferroviaire. La France est très à la traîne sur le sujet en Europe.

Ce n’est pas une première: l’«ancêtre» de l’ART, l’Autorité de Régulation des Transports, qui s’appelait alors l’Araf (Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires) avait déjà lancé une consultation du même type en 2012. Au demeurant, entre l’accord-cadre de 2012 sur le fondement de la directive 2001/14 et celui de 2023 sur le fondement de la directive 2012/34, le principe est resté le même: «Un accord général juridiquement contraignant de droit public ou privé définissant les droits et obligations d’un candidat et du gestionnaire de l’infrastructure en ce qui concerne les capacités de l’infrastructure à répartir et la tarification à appliquer sur une durée dépassant une seule période de validité de l’horaire de service.»

L’accord-cadre ne définit pas les sillons de façon détaillée

Le décret transposant la directive 2012/34 précise que l’accord-cadre « a pour objet de préciser les caractéristiques des capacités d’infrastructure ferroviaires, notamment les temps de parcours, le positionnement horaire, le volume et la qualité des sillons, correspondant aux demandes du candidat et que le gestionnaire d’infrastructure s’engage à lui offrir pour tout durée dépassant une seule période de validité de l’horaire de service. L’accord-cadre ne définit pas les sillons de façon détaillée mais est établi de manière à répondre aux besoins commerciaux légitimes du candidat. » De ce fait, l’existence d’un accord-cadre ne dispense pas le titulaire de demander ses sillons à chaque horaire de service.

« L’accord-cadre doit pouvoir être modifié ou limité afin de permettre une meilleure utilisation de l’infrastructure ferroviaire. Il peut prévoir des indemnisations. (…) L’accord-cadre est conclu, sauf cas particulier justifié, pour une durée de cinq ans, renouvelable par périodes égales à sa durée initiale. (…) Toute période d’une durée supérieure à cinq ans est motivée par l’existence de contrats commerciaux, d’investissements particuliers ou de risques. »

Au Royaume-Uni, la signature d’un accord-cadre avec le gestionnaire d’infrastructure est un prérequis pour l’accès au réseau

En dix ans, la France a beau avoir gagné un gestionnaire d’infrastructure (Lisea), les contrats-cadres restent limités et limités au fret, plus précisément même au combiné. Ailleurs en Europe c’est monnaie courante. En Italie, la totalité des circulations de voyageurs et la grande majorité des circulations fret sont couvertes par des accords-cadres. En Espagne, ils ont été le levier de la Renfe pour ouvrir à la concurrence. Au Royaume-Uni, la signature d’un accord-cadre avec le gestionnaire d’infrastructure est même « un prérequis pour l’accès au réseau des entreprises ferroviaires. » La grande majorité des pays européens les utilisent avec des particularités propres. Pourquoi cette singularité française ? On sent bien qu’en lançant cette consultation juridique pour y voir plus clair, l’ART envoie un signal pour y mettre fin. A défaut d’appel à manifestation d’intérêt lancé par les gestionnaires d’infrastructure, elle essaie de faire bouger les choses.

L’analyse coût-avantage d’un accord-cadre est somme toute assez simple : côté avantage, on trouve « la sécurité des financements, en particulier pour les nouveaux opérateurs ferroviaires de voyageurs dans l’achat de matériel roulant ; la sécurisation des capacités, notamment l’anticipation des travaux qui pourraient gêner l’obtention desdites capacités. » Sur le premier point, l’ART rappelle d’ailleurs la position de la start-up Kevin Speed qui en octobre dernier, dans un communiqué à l’attention du gouvernement et de SNCF Réseau, invitait notamment ce dernier à s’engager « sur la disponibilité de capacité sur les lignes à desservir pour la durée de l’amortissement des trains -soit 30 ans- à travers des accords-cadres de longue durée. » L’ART n’évoque que les nouveaux opérateurs, mais tout opérateur -même historique- s’engageant dans l’acquisition de matériel avec des performances nouvelles pourrait aussi trouver son intérêt dans une durée d’amortissement longue. Côté avantage, on pourrait ajouter que le gestionnaire d’infrastructure y trouve aussi son compte car la garantie de clients au-delà d’un seul horaire de service valorise le réseau.

L’avantage d’être à la traîne, c’est que l’on peut s’inspirer des exemples de nos voisins

Côté risque, on pense tout de suite à la concurrence et à la possibilité pour des opérateurs autres que celui qui a signé l’accord-cadre d’utiliser la même infrastructure. Les textes ne fixent pas de plafond explicite à la part de capacité de tout ou partie de l’infrastructure ferroviaire susceptible de faire l’objet d’accords-cadres. Les questions de l’ART portent donc sur ce point, tout comme sur la durée des accords. L’avantage d’être à la traîne, c’est que l’on peut s’inspirer des exemples de nos voisins : l’Italie a, par exemple, introduit un double plafond par rapport à la capacité totale du réseau faisant l’objet d’accords-cadres et par rapport à l’ensemble des demandes de chaque opérateur. L’Allemagne encadre la capacité pour une ligne ou un segment de ligne avec modulation horaire. L’Autriche n’encadre que certaines lignes. Question liée à celle de la concurrence : « Est-il opportun que les accords-cadres contiennent une clause les invalidant automatiquement dès lors que les capacités afférentes n’ont pas été utilisées pendant une certaine période ? » Ou comment contrer une technique qui s’apparenterait à celle que pratiquent certains clubs de foot qui achètent des joueurs et les laissent sur le banc de touche, simplement pour ne pas les avoir comme adversaires…

L’autre risque serait que dans le cas de demandes de sillons concurrentes, les accords-cadres puissent faire obstacle à une utilisation efficace et optimale des capacités d’infrastructure. L’ART pose la question des règles pour résoudre les conflits potentiels. Dans certains pays européens, les accords-cadres sont prioritaires mais uniquement en cas de saturation. Toujours dans l’optique d’une utilisation optimale des capacités, le régulateur interroge sur les possibilités d’adaptation des accords-cadres.

Enfin, l’ART ne pouvait pas éviter d’interroger sur ce que l’on attend d’elle dans le contrôle des accords-cadres. Information systématique en amont ? Consultation systématique ? Avis conforme ? Réponse à toutes ces questions au plus tard le 31 mars en espérant qu’en 2033 on sera passé aux travaux pratiques et qu’un nouveau questionnaire ne sera pas nécessaire.

Marc Papinutti devant les commissions parlementaires : il y aura match

Les dates sont connues, les rapporteurs aussi. Le candidat pressenti par l’Elysée à la présidence de l’ART, Marc Papinutti (lire Mobitelex 402), planchera devant les sénateurs le 1er mars et devant les députés le 8 mars. Philippe Tabarot (LR) et Gérard Leseul (PS) seront les rapporteurs.

Des premiers échanges informels entre parlementaires on peut d’ores et déjà dégager un constat et deux inquiétudes.

1) La compétence de Marc Papinutti sur les questions de transport n’est pas discutable. Même si elle n’est pas la première des qualités demandées à un président d’autorité indépendante, il ne s’agirait pas de la regretter, ce serait un drôle de paradoxe. Les parlementaires ne sont pas confrontés à une tentative de recasage politique type Emmanuelle Wargon. Mais soulagement ne vaut pas approbation…

2) Vu son parcours depuis 2017, Marc Papinutti pourra-t-il s’opposer à l’Etat qu’il a servi avec dévouement et entretenir des rapports sains et corrects avec ses anciens collaborateurs, qu’il a nommés lui-même pour nombre d’entre eux ? La question de son indépendance paraît majeure.

3) Pourra-t-il exercer pleinement son rôle alors que ses fonctions et arbitrages depuis trois ans devraient provoquer son déport dans de nombreuses délibérations du collège ? Anne Bolliet et Philippe Richert, pour ne citer que ces deux membres, ont dû le faire pour des activités précédentes bien moins impactantes que celles de Marc Papinutti.

En substance, les auditions promettent d’autant plus d’être ouvertes que les parlementaires Renaissance ne semblent guère mobilisés sur le sujet – les débats sur les retraites les accaparent, et Marc Papinutti ne fait pas partie de leur premier cercle. Le 8 mars, date de l’audition à l’Assemblée nationale, c’est aussi en foot le retour Bayern Munich-PSG. Ce jour-là, il y aura donc matches…


BILLET

Parangonnage et jargonnage

23janvier – 13 février: il a fallu très exactement trois semaines, après les Assises du financement du transport public en Ile-de-France, pour que soit signée par trois ministres (Gabriel Attal, Bruno Le Maire et Clément Beaune) la lettre de mission à l’attention de l’IGF et de l’IGEDD, sur la trajectoire financière d’Ile-de-France Mobilités. Il reste donc deux mois aux fonctionnaires, d’ici la mi-avril, pour aboutir à «des chiffrages et à des propositions» pour «alimenter les travaux de concertation qui seront menés au printemps 2023 par le préfet de région et la présidente d’Ile-de-France Mobilités dans l’objectif de converger vers des solutions partagées.»

Trois semaines pour faire signer une lettre de mission urgente… L’Ile-de-France brûle, l’Etat prend son temps

La lettre rappelle qu’une précédente mission en 2020 avait établi l’impasse de financement d’Ile-de-France Mobilités, aggravée depuis par la crise Covid, l’inflation et la hausse des coûts d’énergie. Il s’agit donc d’une simple actualisation des données, en fonction des aides déjà accordées (avances remboursables de 2 milliards, chèque récent de 200 millions d’euros) et du calendrier de mise en service des nouvelles lignes du Grand Paris Express et d’Eole et des prolongements de lignes de métro.

Que de temps perdu pour déclencher la mission… Valérie Pécresse et Anne Hidalgo ont tu leurs divergences, lundi dernier, pour se rendre porte Maillot peu avant le visite du ministre Clément Beaune sur le chantier du RER E vers La Défense. «Nous n’avons pas le premier euro pour faire fonctionner ces nouvelles lignes», a rappelé la présidente d’IDFM, qui rappelle à l’envi la promesse d’Edouard Philippe en janvier 2020.

Certes, mais il faut bien parangonner… Au milieu de la lettre de mission surgit un paragraphe surréaliste au regard de la banalité de la mission d’ajustement des conclusions de 2020: «Vous effectuerez un parangonnage des contributions des collectivités membres d’Ile-de-France Mobilités avec celles des principales autorités organisatrices de la mobilité de province et d’agglomérations européennes comparables.» Les JO, le prolongement et de la 14 et du RER E c’est dans dix-huit mois, mais prenons le temps d’ergoter et de jargonner. L’Ile-de-France brûle, l’Etat prend son temps.

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