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Grand Paris Pas Express
La Société des Grands Projets officialise aujourd’hui le report de la mise en service de la ligne 15 Sud «à l’été 2026» (jusque-là c’était «fin 2025»), avant une replanification avec les partenaires et un rapport d’experts qui permettront de préciser le calendrier au début du mois de janvier.
La formule «Grand Paris Pas Express» est un peu facile, mais après tout, au diable l’élégance, vu la manière dont depuis le début du Grand Paris Express, les dirigeants de la SGP ont géré la question des délais et des retards de mise en service: avec une mâle assurance voire une agressivité assez stupéfiantes. Au demeurant, le seul à avoir osé la vérité des dates, Thierry Dallard, s’est fait virer par Jean Castex. Il n’y a pas de justice.
Près d’un an après avoir violemment contesté l’information de Mobilettre (lire Mobitelex 439 et Mobitelex 440) selon laquelle la ligne 15 Sud aurait au moins six mois de retard, Jean-François Monteils et Bernard Cathelain doivent donc se résoudre à sortir sinon du bois, tout du moins du tunnel de leur obstination. Jusqu’au bout, ils ont essayé d’obtenir des éléments tendant à crédibiliser la date de décembre 2025, mais l’essai Zone 0 mené en sortie de l’atelier de Champigny, au forceps, à coups de dispositifs provisoires (lire ci-dessous), a achevé de démontrer ce que tous les professionnels sérieux sur le terrain savaient depuis un bon bout de temps, et avaient confié à Mobilettre : il fallait bien au moins six mois de plus, et on verra dans quelques semaines avec le rapport des experts Ramette et Bense si ce n’est pas davantage.
Le directoire de la SGP ne pouvait plus reculer car sans information officielle de leur part, l’autorité organisatrice, IDFM, aurait commandé en ce mois de décembre au consortium exploitant mené par RATP Dev les effectifs nécessaires à la mise en service – environ 200 personnes. Il fallait donc que le maître d’ouvrage prenne sa perte, in extremis. Et il n’est pas nécessaire d’avoir fait les grandes écoles pour en évaluer les conséquences politiques : la ligne 15 Sud ne sera pas mise en service avant les municipales de 2026.
A chaud, deux questions au moins se posent.
Pourquoi les calendriers dérapent-ils autant ? Rappelons que la ligne 15 Sud était initialement prévue pour 2020 – puis 2023, puis 2025. On en est donc à six années supplémentaires, ce qui est, comment dire, assez substantiel – même si on neutralise une année pour cause Covid. La compétence du maître d’ouvrage est posée par les entreprises sur le terrain, qui évoquent un excès de contrôle bureaucratique retardant les process et les commandes de matériel, par exemple sur les alimentations électriques. Pourtant il semble bien que la SGP ait recruté les meilleurs spécialistes à sa tête, du moins si l’on en croit leurs feuilles de salaire. L’établissement public est largement en tête de tous les opérateurs de l’Etat dans le classement officiel 2023 des dix premières rémunérations brutes annuelles (document communiqué par Bercy dans le cadre du PLF), au-delà des 2 millions d’euros.
Pourquoi les calendriers «officiels» ne correspondent-ils pas en temps réel à la vérité du terrain ? Mobilettre n’a pris aucun risque en janvier dernier en sortant son info, et pourtant les calendriers qui nous ont été montrés quelques semaines plus tard par les dirigeants de la SGP ne comportaient aucune alerte rouge – hormis la gare de Saint-Maur. Les essais menés depuis septembre auraient donc à eux seuls révélé l’étendue des problèmes encore à résoudre ? Peu crédible. Où l’on revient à la question des méthodes et reportings du maître d’ouvrage – si l’on exclut, bien entendu, la dissimulation volontaire des vrais délais.
On ne sait pas trop comment l’Etat va accueillir ce nouveau calendrier, dans l’effervescence politique du moment. Une mauvaise nouvelle de plus… Les habitants des communes desservies par la ligne 15 Sud auront le choix, quant à eux, entre l’incrédulité et le fatalisme. G. D.
Ligne 15 Sud : été 2026… si tout va bien
«ça ne tient pas» : en cette fin novembre 2024, Jean-François Monteils et Bernard Cathelain admettent officiellement que la cible d’une mise en service de la ligne 15 Sud entre Noisy et Pont-de-Sèvres, en décembre 2025, est désormais irréaliste, et dans les grandes largeurs. Ils en font aujourd’hui la communication au conseil de surveillance de la SGP, après avoir averti quelques élus particulièrement concernés.
La nouvelle estimation évoque l’été 2026, et comme chacun sait, l’été dure jusqu’au 21 septembre. Pourtant, il n’est pas certain que ce nouvel horizon soit définitif : les chevronnés Yves Ramette et Didier Bense remettront un rapport début janvier qui devrait permettre de confirmer, ou pas, ce nouvel échéancier. Leur solide réputation leur interdit de prendre le moindre risque sur le planning, qui à notre humble avis devrait ressembler davantage à une période probable de mise en service qu’à une date précise.
L’essai Zone 0 entre le SMR de Champigny et la ligne exploitée a été très compliqué, à tel point que plusieurs acteurs se demandent pourquoi l’avoir maintenu, au prix d’un retard supplémentaire. Les équipements provisoires sont bien trop nombreux à un an de la mise en service, en matière d’alimentation électrique et de signalisation. En revanche, ni le génie civil ni l’achèvement des gares ne semblent poser de problème insurmontable, même s’il reste, par exemple, de très nombreux escaliers mécaniques à installer.
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La SGP au Tribunal !
Est-ce un hasard du calendrier ou une façon de se montrer imperturbable face aux vents contraires ? Au moment même se préparait le nouveau planning de la ligne 15 Sud, la Société des Grands Projets organisait le lundi 18 novembre au Théâtre de la Michodière à Paris une session du Tribunal des Générations Futures *, avec Usbeck & Rica, autour de la question : «Les transports en commun sont-ils (vraiment) écologiques ?»
Une heure et demie de joutes oratoires plutôt agréables, égayées par les improvisations parfois étonnantes de Karima Delli, ex-députée européenne, et un réquisitoire de qualité du procureur qui a réussi par son seul verbe à obtenir 37% de non à la question ! On a évidemment retenu sa plus belle punchline : «Il faudrait à la cause écologique un grand projet de société plutôt qu’une société des grands projets.» Décidément les comédiens et les journalistes ont l’art de contrarier les slogans officiels.
* Le Tribunal des Générations Futures, imaginé par le «média» Usbeck & Rica, est une conférence-spectacle qui reprend les codes d’un procès afin de réfléchir aux grands enjeux d’avenir.
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FINANCEMENT
La bataille du VM
Au Sénat, amendements et discussions autour d’un nouveau VMR (Versement Mobilité Régional). Mobilettre raconte.
Nous avons bien conscience que le couperet d’une censure du gouvernement par l’Assemblée nationale pourrait rendre caduc tout le travail actuellement réalisé autour de la mise en œuvre d’un Versement Mobilité Régional. Mais parce que ce VMR va plutôt dans le sens de l’histoire d’une affectation pérenne de ressources au profit des régions, il nous paraît instructif d’en narrer la genèse.
En jeu : la perception par les régions d’un taux de VM cumulable avec le VM urbain. Proposé à 0,2 par les sénateurs Tabarot (LR) et Jacquin (PS), il serait accepté par le Premier ministre à 0,15, pour un total en année pleine à environ 500/600 millions d’euros.
Mais ce n’est pas si simple, et pas seulement parce que les AO urbaines considèrent qu’une telle innovation ne résout en rien leurs propres problèmes de financement. Deux questions complémentaires se posent :
La pérennité du VMA (Versement Mobilité Additionnel) pour les syndicats mixtes, sujet cher au sénateur Franck Dhersin. Le gouvernement ne veut pas de cumul avec le VM urbain, mais un système de moyennisation viendrait contrarier la dynamique à l’œuvre sur certains territoires. Discussions serrées en perspective.
Le fléchage d’une partie du VMR vers des communautés de communes érigées en AOM (ou leur région) pour favoriser la mobilité des territoires peu denses – et éviter une «captation» au profit des Serm.
Même si le Gart dit comprendre l’urgence et l’importance d’un VM pour les régions, dont plusieurs d’entre elles sont adhérentes, les élus métropolitains s’inquiètent de cette effervescence autour d’une ressource capitale pour le financement de leurs offres. Au demeurant, certains sénateurs se méfient aussi de cette extension du VM et préféreraient une affectation partielle des quotas carbone (ETS2) au profit des AOM (régions, AOM urbaines et IDFM), pour éviter une taxation supplémentaire des entreprises et des particuliers.
Dans l’hypothèse où Michel Barnier réussit à éviter la censure, les arbitrages relatifs à l’évolution des VM seront scrutés à la loupe par tous les élus de France, ceux qui doivent déjà réduire leurs offres du fait de la baisse de leurs ressources comme ceux qui voudraient les développer, quel que soit le territoire, urbain ou rural.
PUBLICATION
Marlène Dolveck, quel aiguillage?
Photo: SNCF/Matthieu Raffard
La directrice générale de Gares & Connexions a obtenu du Prix Nobel Jean Tirole qu’il préface son essai sur la micro-économie, et de Jean-Pierre Farandou qu’il la postface. L’exercice est un prêche en faveur du retour du réel dans l’économie moderne… et l’occasion d’en apprendre un peu plus sur elle.
On s’est d’abord méfié : écrire un livre, pour un dirigeant de la SNCF, c’était devenu il y a quelques années le passage obligé d’une ambition. Patrick Jeantet, Alain Krakovich, Alain Picard, Patrick Ropert, tous édités par Débats Publics Editions, collection créée par Mathias Leridon, grand communicant du microcosme parisien et des années Pepy à la SNCF. On y trouvait des passages intéressants, mais la ficelle était un peu grosse.
Marlène Dolveck a choisi quant à elle un «vrai» éditeur, plus consistant – l’aube, co-dirigé notamment par Jean Viard – et deux «cautions» de poids : un Prix Nobel (Jean Tirole) et le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou. Cela atteste d’une ambition de contenu mais ne garantit pas du niveau de performance littéraire. Il n’y avait donc qu’une solution pour évaluer l’objet, et vérifier qu’il est davantage qu’une production opportuniste alors que le mercato pour plusieurs directions d’entreprises publiques est ouvert : le lire.
C’est un livre assez inclassable, qui ressort assez nettement de l’essai, sur la micro-économie et l’économie industrielle, mais dont la structure et les digressions personnelles orientent régulièrement vers l’autobiographie. Sur le fond comme dans le style, c’est un mélange parfois étonnant, tour à tour érudit et naïf, globalisant et anecdotique. Il y a une sorte de symétrie entre un incessant ping-pong théorie/pratique et le principal propos éditorial, à savoir le nécessaire retour au réel, par opposition à une macroéconomie déshumanisée. «Nous devons urgemment nous réapproprier l’économie comme science humaine, c’est-à-dire comme discipline traitant du rapport entre les gens relativement à des biens et des services qu’ils s’échangent, en fonction de leurs besoins, de leurs préférences, de leurs ressources, écrit Marlène Dolveck. Au fond, il s’agit de remettre l’économie au centre du village et de commencer par elle, c’est-à-dire par le tangible, le réel.»
Marlène Dolveck telle qu’elle-même, donc, au cours de ces pages, fière de son ascension sociale (fille d’un père cheminot et d’une mère commerçante, issue de l’exode des républicains espagnols) et de son premier métier (prof d’économie), désespérée de l’«arrogance de l’économie des plateaux télé» et du «bien-être négatif» généré par les réseaux sociaux, avide de ce retour au réel que «les littéraires et les ingénieurs» (les ScPo/ENA/ENS et les X) ont, selon elle, tendance à mettre à distance, du fait de leurs formations respectives.
«Pour les citoyens, l’ordre semble aujourd’hui être celui d’un monde lointain, construit pour le bénéfice d’une petite minorité», écrit même le Prix Nobel Jean Tirole. En évoquant longuement un formidable essai-plaidoyer sur les métiers manuels (Matthew B. Crawford, Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail, Paris, La Découverte, 2010), Marlène Dolveck assume clairement une posture sociale parallèle à la mission de transformation dont elle est chargée au groupe SNCF depuis le début de l’année.
La DG de Gares & Connexions n’a pas sa langue dans sa poche, même si elle prend garde de ne cibler personne ad hominem, et ne joue pas à la fausse modestie du dirigeant qui est au-dessus des contingences et de l’ambition. «Admiratrice de la figure de Napoléon, de sa formidable capacité d’entraînement, j’aurais mauvaise grâce à critiquer de manière caricaturale une telle attitude (NDLR vouloir marquer l’histoire de la politique ou de son entreprise)», avoue-t-elle.
L’ambition est donc là, mais impossible d’en savoir davantage sur la voie que privilégie Marlène Dolveck pour son avenir professionnel. On la sent admirative de la transformation de La Poste, elle ne dit pas grand-chose sur la SNCF elle-même, alors même que son raisonnement aurait pu la conduire à dénoncer l’approche exagérément macroéconomique de l’Etat en matière d’offre ferroviaire. Marlène Dolveck, quelle voie pour demain ?
L’économie comme je l’aime et veux la faire aimer, par Marlène Dolveck, éd. L’Aube, 140p, 16€.