Mobitelex 423 – 27 juillet 2023

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Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

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Le plus dur continue

En poursuivant aux Transports, Clément Beaune devra avancer sur plusieurs dossiers majeurs de financement. Pas facile, au sein d’un pouvoir exécutif peu enclin à pérenniser ses engagements pour les mobilités collectives, et avant un PLF 2024 contraint. Et puis il y a les Jeux Olympiques…

Commençons par Marlène Schiappa, puisque nous nous étions permis de souhaiter la fin de son œuvre gouvernementale (lire Mobitelex 421). Logiquement congédiée la semaine dernière après les révélations de sa gestion aussi laxiste qu’irresponsable du fonds Marianne, elle a immédiatement confirmé l’hypertrophie de son moi et le primat de sa communication personnelle sur les principes et les valeurs : on vous conseille la lecture de sa lettre de départ. Anthologique.

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Le problème, c’est qu’elle a emporté avec elle hors du gouvernement Isabelle Rome, secrétaire d’Etat à l’Egalité hommes-femmes, qui avait osé la critiquer publiquement : «Défendre les droits des femmes dans Playboy reviendrait à lutter contre l’antisémitisme en accordant un entretien à Rivarol.» La répartie de l’année, à coup sûr, mais sanctionnée par Emmanuel Macron qui l’a, elle aussi, congédiée. On ne touche pas au noyau des fidèles du début de l’épopée. Préfère-t-il la phrase assénée en retour par Marlène Schiappa : «Tu n’es qu’un sac à main de seconde main»?

On a bien compris que la première qualité exigée d’un ministre, désormais c’est la communication : saturer l’espace médiatique pour donner le la, orienter le débat public (et les journalistes), faire face aux critiques à tout prix. Du pur Sarkozy, qui accaparait l’exercice. Aujourd’hui les ministres sont eux aussi en première ligne.

A cette aune-là Clément Beaune fait le job, parfois trop d’ailleurs (lire Mobitelex 420). Nul doute qu’il se démultipliera d’ici les Jeux Olympiques car la question des transports commence à obséder les rédactions. Ce ne sera pas simple, mais le défi de la desserte des sites olympiques n’est pas insurmontable vu la densité des offres de mobilité collective en Ile-de-France, l’anticipation du sujet par les pouvoirs publics et le professionnalisme des opérateurs. On a plutôt envie d’alerter sur la gestion des espaces publics hors infrastructures de transport : si les forces de sécurité montrent aussi peu de discernement dans l’action que lors de la finale de la Champion’s League Liverpool-Madrid au stade de France et quelques autres situations depuis, le pire n’est pas à exclure.

Le ministre Clément Beaune va surtout se trouver face à la vérité des chiffres et aux promesses qu’il a faites : révision du contrat de performance Etat-SNCF Réseau, avenir des concessions autoroutières, décarbonation de la route… N’en déplaise aux éternels apologistes des exécutifs en place, la situation est grave : sous-investissement en infrastructures, surcoûts d’exploitation, déficits d’innovation, sous-offre ferroviaire sur la longue distance… La communication ne pourra pas éternellement camoufler les évidences. G. D.

Crise de l’offre TGV: suite

Face aux accusations de sous-offre sur la longue distance, la SNCF joue enfin la vérité des chiffres et confirme dans Le Monde les ordres de grandeur révélées par Mobilettre dès le 7 juillet dernier: hors Eurostar, 364 rames de TGV sont aujourd’hui en circulation en France contre 520 en 2013. Certes elles sont plus capacitaires mais cela ne compense pas intégralement. Il faudrait désormais disposer de l’historique du parc, et notamment des données précises de radiation (âges des rames, dates des décisions et des retraits effectifs), pour mieux analyser cette baisse de 30% en dix ans.

Du point de vue économique la SNCF avance à nouveau son argument préféré pour expliquer ses problèmes: l’Etat et les élus l’obligent à exploiter des lignes déficitaires, notamment les intersecteurs. Message induit: si ce n’était pas le cas, il y aurait plus de rames sur les dessertes les plus demandées, voire des prix moins chers. Voilà donc une entreprise 100% publique qui voudrait se comporter comme une entreprise 100% privée! Alors même qu’elle génère aujourd’hui de très confortables bénéfices du fait d’un yield management optimisé, sans concurrents ou presque. Sa position qui restera ultra-dominante pendant de très longues années vaut bien un peu de peréquation? Surtout, elle doit verser chaque année des centaines de millions d’euros à SNCF Réseau, ce à quoi ne sont pas assujettis ses concurrents. Où l’on retrouve la responsabilité cette fois-ci de l’Etat, qui déstabilise de fait par ses mauvais calculs l’économie ferroviaire et la tarification voyageurs.

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TER

Nouvelle-Aquitaine : la convention de l’avenir

Signée officiellement à Bordeaux le 18 juillet dernier par Alain Rousset et Christophe Fanichet, la convention Nouvelle-Aquitaine-SNCF 2024/2030 transforme profondément la relation entre l’autorité organisatrice et l’opérateur, au-delà du calendrier d’ouverture à la concurrence des quatre lots identifiés. Notre analyse, notre entretien avec Alain Rousset


Notre analyse

C’est la première région de gauche à avoir inscrit dans le calendrier de sa convention l’ouverture à la concurrence de ses lignes, en ce mois de juin 2023, à peu près ex æquo avec la Bourgogne-Franche-Comté, qui avait dans un premier temps ouvert et refermé son réseau plus vite que ne claque une porte dans une pièce de théâtre de boulevard. En 2027 ou 2028 le lot Poitou-Charentes, 4,4 millions de trains.km, sera donc attribué à la SNCF ou à un autre opérateur.

Ce ne fut pas une mince affaire, car le vote n’allait pas de soi en Assemblée plénière du 12 juin dernier. Outre l’opposition attendue des communistes, écologistes et RN, quelques socialistes anciens cheminots avaient piscine ce jour-là ; mais en bon routier de la politique, Alain Rousset est allé chercher ailleurs le soutien à sa stratégie, d’abord chez les LR dont le gouvernail idéologique semble si perturbé qu’il ne faut guère compter sur leur constance de vote, puis au centre, Modem et Renaissance, finalement convaincus qu’ils ne pouvaient s’opposer à une stratégie de co-responsabilité des développements d’avenir du ferroviaire en Nouvelle-Aquitaine.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit, nous semble-t-il, après avoir écouté les acteurs de cette négociation tendue du début 2022 jusqu’à la fin, seize mois plus tard, et examiné le point d’arrivée, cette convention pas transparente à 100% mais dont on sait suffisamment de choses pour en percevoir une certaine fécondité. Si Alain Rousset et Jean-Pierre Farandou ont arbitré eux-mêmes en dernières discussions plusieurs points chauds, les «locaux» ont ferraillé parfois durement pour déboucher sur un texte novateur.

Honneur à ces habituels invisibles des négociations : François Poupard, directeur général des services de la Région, qui n’a pas oublié qu’il fut DGITM et tenait à sortir du statu quo contractuel, Luc Federman, directeur général adjoint chargé des Transports, qui porte la mémoire de vingt ans de soulèvement très progressif du joug SNCF, Hervé Lefèvre, directeur régional SNCF, aussi à l’aise dans l’écosystème bordelais et néo-aquitain que nourri d’une culture Keolis utile à la négociation partenariale et contractuelle. Un signe qui ne trompe pas : ses partenaires de négociation sus-cités, Alain Rousset en tête, avec lesquels il s’est parfois écharpé, ont unanimement salué sa compétence. On n’oubliera pas Renaud Lagrave, vice-président Transports, dans l’ombre de son président mais utile aux discussions avec les syndicats, notamment.

Venons-en à l’essentiel : qu’est-ce qui fait de cette convention la base solide d’un nouveau développement du ferroviaire en Nouvelle-Aquitaine ?

L’amélioration du modèle économique de l’exploitation. 33% d’augmentation de la fréquentation sur la précédente convention (2018-2024) pour 11% d’augmentation de l’offre, c’est une excellente nouvelle pour le modèle économique du TER, d’autant que la contribution forfaitaire a baissé de 3% à 263 millions en 2023 (par rapport à 2018). Le coût au train.km baisse, mais encore davantage le coût du voyageur.km, car dans le même temps, les recettes de tarification bondissent.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la nouvelle convention 2024-2030 : une augmentation d’offre de 5,5% à moins de 7€ par train.km de charges forfaitaires sur les trois premières années avec option supplémentaire sur 2027-2030, un prix du train.km descendu à environ 21€ (il était à un peu de moins de 25€) pour des recettes en augmentation de 4% par an. Vu la dynamique de hausse des fréquentations depuis le début de l’année, on peut même imaginer que cette évaluation sera dépassée. Objectif : +30% de voyageurs d’ici 2030, soit 120000 au lieu de 90000 en 2022.

Le financement des moyens industriels (opérations de maintenance du matériel roulant, centres de maintenance, gares…). A 513 millions d’euros, les investissements au service de l’exploitation devraient permettre de développer l’autonomie industrielle des TER néo-aquitains. A quelques exceptions près (matériel en crédit-bail et X72500 à bout de souffle), la Région exerce désormais la pleine propriété du matériel roulant avec une SPL (société publique locale) commune avec l’Occitanie, ce qui permet notamment de déconsolider la dette.

L’exigence de régularité. Ce fut l’un des points chauds de la négociation car en la matière l’année 2022 ne fut pas bonne. En fixant les taux de régularité et de ponctualité à 95% (contre 91,2% et 92,4% dans la précédente convention), la Région place haut la barre – mais comment fidéliser sans fiabilité de l’offre ? L’enveloppe de bonus-malus atteindra 4 millions d’euros (+25%), mais surtout le dispositif pour éviter les trains supprimés est nettement renforcé, avec un niveau de réfaction à 2,15€/train.km, jusqu’à 3,25 €/train.km, sans franchise et sans plafond (y compris pour les pénalités).

Le deal avec la SNCF : marge encadrée, baisse des coûts de production et financement d’une modernisation accélérée. Il ne va pas de soi pour une collectivité publique d’accepter un taux de marge de son opérateur, monopolistique a minima jusqu’en 2027 ou 2028, quand les investissements consentis sont si importants. Mais ne vaut-il mieux pas en accepter le principe et l’encadrer plutôt que «subir» une marge de fait ? L’accord sur la convention stipule que la région récupérera 3 millions d’euros automatiquement au-delà d’une marge de 3% ; si elle dépasse 4% (elle sera constatée en 2028 pour la période 2024-2027 et en 2030 pour 2028-2030), elle s’en verra restituer 70%.


L’entretien

Alain Rousset : «Nous stimulons une belle endormie»

Dans son bureau bordelais, le 5 juillet dernier, Alain Rousset s’est entouré de François Poupard, directeur général des services, et Luc Federman, directeur général adjoint, pour répondre aux questions de Mobilettre. Manifestement, la mise au point de la convention 2024-2030 fut LE sujet du premier semestre 2024 au conseil régional. Pour l’expérimenté président de région, qui connaît bien l’économie ferroviaire et l’économie tout court, il était indispensable que l’Autorité organisatrice franchisse une étape dans sa relation avec la SNCF pour répondre à la demande et préparer l’ouverture à la concurrence.

Alain Rousset, président du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, le 5 juillet.

MOBILETTRE. L’ouverture à la concurrence a-t-elle fait progresser la SNCF dans son approche de la nouvelle convention, ou dit autrement, vous a-t-elle aidés à mieux négocier ?

Alain ROUSSET. Les deux ! Nous ne sommes pas partis sur autre chose que sur le service aux usagers, que ce soit sur l’offre supplémentaire, les trains neufs, les entretiens à mi-vie, la ponctualité etc. Mais il est évident que la perspective de la concurrence stimule une meilleure organisation de la SNCF.

Certes il y a des interrogations de la part des organisations syndicales (OS) : l’arrivée d’entreprises privées va-t-elle mettre à mal un certain modèle social voire certains services ? Ma réponse, à partir du moment où la région maîtrise complètement son cahier des charges, c’est plutôt non. Nous stimulons une belle endormie, y compris dans sa dimension d’innovation. Ferrocampus, à Saintes, c’est plus qu’un organisme de formation, c’est une structure de recherche et de modernisation du ferroviaire.

Le message passe parfois difficilement, mais il est bien là : notre exigence à l’égard de la SNCF doit lui permettre de préparer la mise en concurrence de manière plus sereine. C’est le discours que l’on a tenu avec Renaud Lagrave, aussi bien auprès des OS que de la direction.

MOBILETTRE. Les négociations n’ont pas été faciles, manifestement.

A. R. Deux points étaient particulièrement difficiles : les coûts de structure et l’augmentation de productivité d’ici 2030, que la SNCF voulait financer sur la convention donc avec des coûts élevés de désimbrication. Nous avons autopsié les comptes, nous ne pouvons pas tout révéler du fait du secret des affaires, mais nous avons eu accès à pas mal de données pour étayer nos arguments. J’ajoute que du fait des dynamiques de fréquentation extrêmement fortes, nous sommes appelés à investir sur le réseau bien plus qu’avant. On ne peut pas payer des deux côtés. Et pourtant c’est ce que nous avons fait jusqu’à maintenant, même si l’on sait que les résultats de SNCF Voyageurs financent en partie SNCF Réseau.

Un point nous a beaucoup choqués : la fixation du taux de marge de la SNCF à 4%, avec une transparence qui ne nous est pas apparue complète. On a négocié dur; quand ça dépasse 3%, on reçoit trois millions d’euros, et au-delà de 4%, à horizon 2027 et suivants, c’est 70% pour la région, 30% pour la SNCF.

MOBILETTRE. Doit-on comprendre que la relation AO/SNCF a changé ?

A. R. L’absence de transparence n’était pas acceptable. J’avais déjà donné l’avertissement à Guillaume Pepy quand il présidait la SNCF. J’ai fait plier Suez à la métropole de Bordeaux, elle a dû rendre 230 millions d’euros sur la réfection du réseau d’eau potable.

Nous avons menacé l’hiver dernier d’aller en contentieux, ce fut une grosse bataille. Les jurisprudences de Sud/Paca et Hauts-de-France nous ont bien aidés, nous avons pris un à un les considérants des juges pour exiger un certain nombre de données. La région s’est vraiment posée en AO, et plus du tout en sous-traitant de la SNCF.

Certes nous avons transigé, nous nous engageons mutuellement à ne pas transmettre publiquement certains éléments en cours de convention. Car la SNCF doit craindre l’effet de contagion : que toutes les régions veuillent obtenir une aussi belle convention…

MOBILETTRE. Sur quels éléments avez-vous progressé ?

A. R. Concrètement nous avons abouti à 21,7 € du train.kilomètre. On était en-dessous de 25 € lors de la précédente convention. Surtout, sur chaque lot nous allons dessiner l’outil industriel de demain. Nous sommes propriétaires de l’ensemble du parc de matériel roulant (hormis les rames en crédit-bail et quelques X72500), en coopération avec l’Occitanie. Nous avons exigé toutes les infos relatives aux 148 rames, elles nous sont arrivées, en désordre, certes, mais elles sont là.

Cela nous permet de définir la politique de gros entretien et d’acquisition des rames, la mise en place des ateliers et des installations de services, les tours en fosses, les choix d’investissement. On a joué le rôle d’AO de plus en plus comme le font les métropoles et les agglos

MOBILETTRE. Les centres de maintenance sont décisifs pour la future concurrence…

A. R. On a compris très vite que les centres de maintenance pouvaient être une entrave à la libre concurrence. Donc nous confions à la SNCF, dans la convention, la reconstruction d’un centre de maintenance à Limoges, le début des études pour un centre à Hendaye ainsi que des centres de second niveau, afin que les concurrents des appels d’offre disposent d’un ensemble «rames + centre de maintenance» cohérent, géographiquement.

Aujourd’hui il y a des trains de Bayonne qui vont à la maintenance à Limoges ou à Nevers…

MOBILETTRE. Qu’est-ce qui vous assure que la SNCF va tenir ses engagements ?

A. R. D’abord un directeur régional de grande qualité, qui a l’esprit Keolis. La SNCF est désormais dans une logique partenariale. Ce n’est pas son intérêt de saboter ou de procrastiner. Elle va candidater à tous les appels d’offre. Si elle prend du retard sur un centre de maintenance, elle se tire une balle dans le pied.

Nous avons renforcé le bonus donc elle a intérêt à faire de la recette et de la qualité de service. Hervé Lefèvre (NDLR le directeur régional) est dans cette logique : il veut faire faire des efforts aux cheminots pour sortir des prix qui ne soient pas en dessous de la ligne de flottaison et de la rentabilité. On peut être satisfait de cette convention pour la SNCF elle-même : elle passe dans un système de concurrence progressivement et pas brutalement – c’est plutôt rassurant.

Il y a eu une bonne négociation, qui est difficile à expliquer à certaines OS avec une inquiétude persistante sur le sac à dos social, mais en même temps c’est nous qui maîtrisons le cahier des charges et qui investissons. La CGT ne comprenait pas que la région, collectivité publique, devienne propriétaire du matériel qu’elle paie à 100 %. Pour eux c’est de la privatisation…

MOBILETTRE. Pour assumer vos objectifs de pilotage industriel et financier il vous faut des compétences supplémentaires. Les avez-vous trouvées ?

A. R. C’est un sujet compliqué. Nous avons du mal. La régionalisation de 2002 n’a été accompagnée d’aucun transfert d’ingénierie et d’emploi. C’est le cas en ce moment dans tous les secteurs – on a même du mal à remplir nos formations de stagiaires pro.

Donc on s’organise. Sur le RER métropolitain on a mis en place un plateau avec la métropole et la SNCF, avec des agents qui ne sont pas originaires de la même organisation mais qui travaillent ensemble. Il y a un noyau qui fonctionne bien.

Il y a aussi la société qui gère le matériel avec l’Occitanie. Il va falloir recruter une dizaine de personnes, hors fonctionnaires car c’est de la gestion d’actifs qui nécessite des profils de postes à dominante technique. Nous allons recruter des contractuels. N’oublions pas NAM (Nouvelle-Aquitaine Mobilités) qui pilote la billettique régionale intermodale avec Modalis. Elle a un rôle important dans la puissante mutualisation que nous recherchons, au service d’un développement durable du mode ferroviaire. Propos recueillis par Gilles Dansart

Le mur d’investissement en infrastructures

Si le R/D s’améliore nettement en Nouvelle-Aquitaine comme dans plusieurs régions portées par une forte dynamique de fréquentation, le point noir reste celui des investissements en infrastructures.

MOBILETTRE. Comment abordez-vous le mur de financement?
A. R. Il va falloir qu’on lisse les investissements, sinon ce n’est pas tenable. Le budget va abraser les autres compétences de la Région qui sont pourtant fixées par la loi. On attend le CPER mobilité, avec un effort de l’Etat, qui a mis 524 millions sur le ferroviaire, mais on est encore loin de passer le mur d’investissement qui est à réaliser.

Les Régions sortent des crises en ayant considérablement dégradé leur ratio d’endettement, mais on ne voit pas comment financer le ferroviaire autrement qu’en s’endettant. Le mur d’investissement qu’on a devant nous amène dans le rouge. Le gouvernement nous dit qu’il faut arrêter de s’endetter, mais comment financer la transition écologique en pratique ?

La première transition écologique des mobilités, c’est le ferroviaire. Il faut un plan sur dix ans. Or l’Etat ne comprend pas les collectivités territoriales et les territoires en dehors de ses discours d’intention; il nous pose des problèmes de planification de nos investissements. Nous arrivons au bout de l’exercice qui consiste à tirer les budgets dans tous les sens. Nous n’avons pas la capacité d’augmenter nos impôts ; nos autres compétences, il faut bien les assumer – on ne va pas fermer les lycées. Le risque c’est qu’on ne réponde pas aux attentes des usagers et de la transition énergétique.

MOBILETTRE. Comment justifiez-vous ces investissements ?
A. R. Un exemple : la Gironde accueille des dizaines de milliers de nouveaux habitants tous les ans, c’est d’ailleurs un défi démographique et économique pour tout l’Ouest de la France. Ils créent une demande de transport spécifique, à laquelle nous avons notamment répondu avec un abonnement télétravail qui fait progresser le niveau des recettes. Ces habitants viennent dans les trains de manière durable, ils se passent un peu plus de leur voiture quand ils sont en Nouvelle-Aquitaine.

On note aussi, au niveau des élus et des territoires, des revendications très fortes, parfois musclées, en faveur de la réouverture de lignes. Par exemple sur la partie centrale non circulée de la ligne Limoges-Angoulême, Agen-Périgueux, Limoges-Brive, même sur Brive-Bordeaux. Les deux principaux problèmes sont l’accès au travail et aux études sur Bordeaux et les dessertes de Paris. Mais on ne peut pas «RERiser» toute la région.

MOBILETTRE. Il faut aller plus vite mais s’arrêter partout…
A. R. On sait que pour attirer une nouvelle clientèle venue de la voiture individuelle le train doit aller de plus en plus vite, mais on a dans le même temps une demande de réouverture de haltes. Le succès d’une politique publique, quels qu’en soient les défauts, amène à des demandes de plus en plus importantes. Il faut donc expliquer à la maire de Périgueux qu’en venant à Bordeaux il faut s’arrêter à Libourne..… ou au maire de Brive, que commercialement ça n’a pas grand sens de faire un Brive-Bordeaux bolide.

L’agglomération bordelaise est celle qui a le plus travaillé sur le projet de RER. On a déjà augmenté les cadences. Entre 6h30 et 7h30 d’Arcachon à Bordeaux, on a un train tous les quarts d’heure. On a aussi anticipé sur le dernier kilomètre. On a inauguré une nouvelle halte qui fait le lien entre la ligne du Médoc et les quatre lignes du tramway.

MOBILETTRE. Cette politique pro-ferroviaire vous coûte très cher…

A. R. J’entends cette petite musique qui nous accuse d’oublier les autres mobilités. Mais nous avons pris une délibération avec la métropole et le département qui statue sur les bus express. Nous sommes partis pour avoir une deuxième ligne Bordeaux-Blaye, puis des lignes vers Lacanau et le nord du Bassin vers l’ouest : des lignes mieux cadencées, moins d’arrêts, en articulation avec des bus de ville. Il y a des discussions avec NAM et toutes les agglomérations de Gironde pour lever du VMA (Versement Mobilités Additionnel) et le partager pour du financement de bus à la demande et aussi pour ces bus express.

Commentaire

Croissance contre malthusianisme

Le dynamisme ferroviaire des régions en général et de la Nouvelle-Aquitaine en particulier contraste avec l’obsession comptable de l’Etat.

Face aux accusations de malthusianisme ferroviaire les quartiers généraux parisiens se défendent : «Mais on ne savait pas que la sortie de crise Covid et la prise de conscience écologique allaient autant doper la demande ferroviaire !» C’est une version adaptée du «Qui aurait pu prévoir la crise climatique…» du Président Emmanuel Macron.

Il est difficile d’accepter cette réécriture de l’Histoire. L’insistance avec laquelle les structures d’Etat ont privilégié depuis deux décennies une gestion comptable de la SNCF au détriment d’une stratégie de croissance du mode ferroviaire atteste d’un aveuglement idéologique. Car dans le même temps, les collectivités locales tant décriées préparaient, elles, le terrain d’une offre à même de séduire de nouveaux voyageurs : nouveaux matériels, infrastructures rénovées, amélioration des outils digitaux… Elles en sont aujourd’hui récompensées, avec une amélioration du modèle économique de l’exploitation. Et n’oublions pas que la régionalisation du Stif a sauvé l’Ile-de-France d’une thrombose bien plus grave que les saturations ou les irrégularités d’aujourd’hui.

Certes les régions ont fait des erreurs, et la SNCF peine parfois à élever son niveau de jeu. Mais la dynamique est là, au service des voyageurs et de la Transition écologique ! Pourtant, l’Etat continue à ergoter et à donner des leçons, alors que les Français grondent du manque d’offre longue distance et d’une tarification illisible – même des places Ouigo se vendent une centaine d’euros, une semaine avant le départ! Il est encore temps de réagir. G. D.

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Résultats semestriels

La SNCF tient le choc

C’est un peu le principe des vases communicants. A la sortie du Covid Geodis flambait et amortissait les pertes Voyageurs, aujourd’hui ce sont les très bonnes recettes voyageurs qui compensent les pertes consécutives à la grève contre les retraites et la baisse des prix de la logistique. La logique de groupe est confortée. Et dire que l’Etat, après la réforme de 2018, tout à sa recherche de cash et de «rationalisation», réfléchissait à «valoriser» Geodis voire Keolis…

Les résultats au premier semestre 2023 du groupe SNCF sont presque inespérés au regard des contextes : une situation macro-économique délicate et une forte inflation. Mais à 20,7 milliards d’euros (+2,2% par rapport à 2022), la trajectoire de croissance est confirmée. Le chiffre d’affaires de SNCF Voyageurs s’envole (+11,3%), dont +23% pour le TGV, alors même que les trois premiers mois ont été affectés par la grève ! Qu’en aurait-il été sans grève et avec plus de rames TGV ? Keolis n’est pas en reste avec un joli + 7,3%, sur une économie du transport public pourtant difficile.

Les 500 millions d’euros de moindre performance consécutive à la réforme des retraites sont absorbés par cette forte dynamique en faveur du train et des transports collectifs, mais aussi par l’exécution d’un plan d’économies (évaluées à 390 millions de gains de compétitivité) et un contingentement des variations du coût de l’énergie, grâce notamment à la politique de couverture à trois ans.

Logiquement SNCF Réseau souffre, avec seulement 2,4 % d’augmentation de son chiffre d’affaires (et même -0,8% hors redevances électriques). Moins de sillons, du fait de la grève (baisse des circulations de 9%) mais aussi de la réduction tendancielle du parc TGV, c’est moins de revenus pour le gestionnaire d’infrastructures. Ce décrochage illustre une fois de plus l’aberration de la tarification imposée par l’Etat : des péages élevés dissuadent la croissance et incitent à des rames plus capacitaires – avec à la clé moins de fréquences. Gares & Connexions (+8,3%) s’en sort mieux du fait d’un système de tarification de ses touchers de gares plus dynamique.

La situation délicate en termes de chiffres d’affaires de Geodis (-19,7%) n’affecte pas sa profitabilité, qui progresse même d’un point à 10% (taux d’Ebitda/chiffre d’affaires). Rail Logistics Europe peine logiquement (-3,6%) à cause des grèves et des travaux sur le réseau qui pénalise notamment les autoroutes ferroviaires.

Le directeur financier Laurent Trévisani se montre logiquement confiant pour l’année entière malgré les incertitudes conjoncturelles (prix de l’énergie, inflation, commerce international) : le cash flow libre est à portée de comptes et les investissements sont préservés (4,6 milliards au premier semestre). Le reste n’est pas, en majeure partie, de son ressort : donner les moyens nécessaires à SNCF Réseau pour garantir une capacité et une performance du réseau à même de répondre à une croissance de l’offre dopée par la demande des voyageurs et des chargeurs.


Trafic #3 Ils ont changé de mode transports

Ecoutez Trafic

A Caen, la lente érosion de la voiture dominante

Après les déplacements longue distance et la métropole parisienne, Trafic est allé à la rencontre d’une grande ville de province pour écouter celles et ceux qui ont fait évoluer leurs modes de déplacement. A Caen, la métropole interroge régulièrement ses habitants sur leurs habitudes. Si la voiture représente toujours plus de la moitié des trajets, sa place tend à se réduire aux profits des modes doux. Dans le même temps, la route reste, pour de nombreux Caennais.e.s, synonyme de rapidité et de liberté. Quelles sont donc les conditions de cette bascule ? L’infrastructure précède-t-elle la culture de déplacement, ou bien l’inverse ? Voici les témoignages recueillis début juillet dans la préfecture du Calvados, croisés avec l’analyse géographique et sociologique de Jean-Marc Fournier, maître de conférence à l’université de Caen et auteur de «l’Atlas social de Caen». Un recueil de 150 cartes paru, fin 2022, aux Presses universitaires de Rennes. Bonne écoute !


CONJONCTURE

Espagne, deux mois après les municipales, l’incertitude pèse aussi sur l’avenir des politiques de mobilité

L’absence de majorité claire après les élections législatives de dimanche dernier en Espagne révèle à la fois le refus d’accorder une majorité à la droite alliée à l’extrême-droite de Vox, et des réserves persistantes à l’égard de l’exécutif de gauche, exprimées très largement lors des municipales du 28 mai. Deux mois après ces dernières (lire Mobitelex 413), Mobilettre fait un premier bilan des orientations en matière de mobilité dans quatre grandes métropoles : Madrid, Barcelone, Valence et Bilbao : poursuite ou reflux des politiques alternatives à la voiture individuelle ?

Madrid

Sans trop de suspens, le PP (Parti Populaire, libéral conservateur, classé à droite) de José Luis Martínez-Almeida a raflé la mise le 28 mai. Il obtient cette fois-ci la majorité absolue avec 29 sièges sur 57. Pas de grand changement à venir dans la capitale espagnole où, dès 2019, c’est ce même PP qui l’avait emporté, après le mandat de Manuela Carmena et sa ZFE avant l’heure (baptisée Madrid Central). Mais au-delà de la ville, c’est du côté de la Communauté de Madrid (6,6 millions d’habitants) qu’il faudra regarder.

A sa tête, Isabel Díaz Ayuso vient de s’embarquer pour un troisième mandat, avec une majorité absolue autour du PP. Lors de la campagne, elle avait axé une grande partie de sa thématique transport sur les tarifs des abonnements, annonçant une simplification du dispositif actuel vers deux zones: «A pour la ville de Madrid et B pour le reste de la région» – toutes proportions gardées, un peu comme si dans la capitale française l’on revenait à deux tarifications Paris-première couronne/reste de l’Ile-de-France. Elle a confirmé cette mesure le 21 juin dernier. Mais c’est un autre sujet de tarification qui a alimenté les polémiques : le «descuento» (réduction) du prix de l’abonnement des transports publics. Depuis février, une mesure financée à parts égales par l’Etat et le gouvernement régional permettait aux Madrilènes de bénéficier de 60% de réduction sur leur abonnement de transport en commun, la subvention de l’Etat étant liée à l’existence de la subvention régionale. Pour le dire simplement, si le local payait, le national suivait. La mesure arrivant à échéance fin juin, jusqu’au dernier moment gauche et droite se sont invectivés sur le sujet avant que finalement la présidente de la communauté de Madrid annonce la prolongation de la mesure jusqu’à la fin de l’année. Où l’on vérifie une fois de plus qu’à Madrid ou à Paris, il est très délicat de toucher à la tarification…

Barcelone

Le suspens a été encore plus important qu’en 2019, quand Ada Colau s’était imposée grâce aux voix de Manuel Valls ! Difficile de synthétiser les renversements d’alliance qui ont tenu en haleine les Barcelonais tout le mois de juin durant. Mais à la fin, c’est une alliance hétéroclite socialistes catalans du PSC – En Comu (coalition de gauche et écologistes) – Parti Populaire (droite) qui ravit la mairie aux indépendantistes initialement favoris. Jaume Collboni, membre du PSC, est désormais maire de Barcelone, deuxième ville du pays, avec un budget de près de 3,6 milliards d’euros… et de nombreux défis concernant les transports.

Si plusieurs points communs réunissent les nouveaux alliés, notamment en ce qui concerne les transports publics (extension du métro, L9, Rodalies…), quelques divergences risquent de générer des frictions, notamment sur la généralisation de la ville 30, les ZBE (l’équivalent des ZFE françaises) et les superillas. Cette manière d’aménager et de pacifier des zones du centre-ville, basée sur l’urbanisme tactique, très spécifique à Barcelone, n’est pas tellement du goût du nouvel édile… et de ses alliés du PP. La coalition résistera-t-elle aux enjeux écologiques ?

Valence

Dans la troisième ville du pays avec 1,4 million d’habitants à l’échelle de l’aire urbaine, les sondages étaient plutôt favorables à la coalition progressiste, appelée ici Compromis (elle regroupe trois partis écologistes et/ou à gauche de l’échiquier politique). Pourtant, le maire sortant, Joan Ribo (élu pour la première fois en 2015), a été battu par le PP de María José Catalá, qui gouvernera sans avoir besoin du soutien du parti d’extrême droite Vox. Face à une gauche fragmentée mais encore puissante, que compte faire la nouvelle maire sur la question des transports ?

Elle avait recruté dans son équipe de campagne Jesus Carbonell Aguilar, jusque-là numéro 2 de l’Autorité de Transports Métropolitaine de Valence. Il est devenu, le 7 juillet dernier, président de l’EMT (opérateur public de transports urbains de la ville) «pour y remettre de l’ordre». Du côté des mobilités douces, qui ont cristallisé pas mal de débats pendant la campagne électorale, la nouvelle maire a souligné début juillet que bien qu’étant elle-même piétonne, elle était opposée à l’urbanisme tactique qui avait conduit à la création de «soi-disants superillas» et qu’elle était également en désaccord avec la conception de la place de l’hôtel de ville (récemment piétonnisée par l’ancienne équipe). Vers un retour en arrière ?

Bilbao

Sans surprise, le PNV (parti basque), en tête, avec 36% des votes, a conclu un accord pour gouverner avec le PSE-EE de Bilbao. Le maire Juan Mari Aburto se maintient donc, et a confié à Nora Abete Garcia, candidate du PSOE à la mairie, les politiques de mobilité, en tant que seconde adjointe. Cette dernière, durant la campagne des municipales, s’était prononcée pour les ZBE (l’équivalent des ZFE) ou encore sur la piétonisation de certains grands axes de la ville… souvent en désaccord avec le maire. Comment réussira-t-elle à gérer ces dossiers sensibles ? «A Bilbao, une zone qui s’adapte à la réalité de la mobilité locale sera créée, a-t-elle affirmé début juillet tout en restant prudente sur les modalités d’application. Il ne s’agira certainement pas d’un changement radical du jour au lendemain. Personne ne devra cesser de circuler dans une zone. Nous allons déployer la zone progressivement pour que personne n’ait de problèmes de mobilité». Comme elle l’évoquait à Mobilettre avant les municipales, «la pédagogie sera essentielle». Elle a désormais quatre années pour la mettre en œuvre.

Le 3 juillet dernier, le président de la Red de Ciudades por la Bicicleta (l’équivalent du CVTCM en France), Antoni Poveda (PSC), appelait à un consensus politique sur la promotion du vélo et des infrastructures cyclables. Il a expressément demandé que «les pistes cyclables ne soient pas démantelées en Espagne». C’est dire l’inquiétude que suscitait un virage très conservateur parmi les défenseurs d’une mobilité décarbonée. Si le résultat des élections de dimanche dernier semble écarter une telle perspective au niveau national, dans chaque métropole les débats promettent d’être caniculaires, à l’image des températures de ce début d’été outre-Pyrénées.

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