Mobitelex 446 – 29 mars 2024

Voir dans un navigateur

Mobitélex. L'information transport

les décryptages de Mobilettre

/ / /

Défiance ou confiance ?

La crédibilité de la parole publique s’effondre dans l’opinion. Comment rétablir la confiance ?

Les plus jeunes ne peuvent se souvenir de Raymond Barre sollicitant la confiance – il en avait même constitué l’armature de son argumentaire politique en 1992 («Questions de confiance», Ed. Flammarion, 1992). C’est un invariant de la chose politique : le pouvoir élu est fragile s’il ne dispose pas d’une confiance majoritaire, dans l’opinion mais aussi parmi les élites.

C’est peu dire que l’exécutif actuel est abîmé par les crises et les zig zag. Au demeurant, plus les gouvernants inventent des éléments de langage et des artifices pour justifier leurs difficultés, plus ils creusent le tombeau de leur crédibilité. Jusqu’où ira Bruno Le Maire pour faire oublier ses incohérences ?

La proclamation d’une autorité retrouvée ne suffira pas.

Le jeune Premier ministre Gabriel Attal a enfin compris le danger dans l’Education nationale : le #pasdevague n’est plus supportable, il est temps de soutenir sans faiblir les personnels face aux agressions de toutes sortes. Mais la proclamation d’une autorité retrouvée ne suffira pas. Il en faudra, dans la durée, des preuves de compétence et de constance pour endiguer les réflexes de défiance.

Car les variations et les reniements, voire les mensonges, ont altéré cette fameuse confiance qui est l’indispensable ingrédient d’une action publique ambitieuse. Le cynisme des dirigeants a rivalisé avec l’instrumentalisation de la transparence. La confiance est bien plus complexe et difficile à recueillir et à cultiver. C’est comme en amour : les preuves comptent tellement.

Ces deux dernières semaines, deux dirigeants ont parlé de cette confiance : Thierry Guimbaud, nouveau président de l’ART, dans un débat sur le contexte ferroviaire concurrentiel, et Jean-François Monteils, président du directoire de la Société des Grands Projets (ex-Société du Grand Paris), à propos des délais de mise en service des lignes du Grand Paris Express (lire ci-dessous). Mobilettre était tout ouïe. La confiance, effectivement, ça se mérite. G. D.

. . .

FERROVIAIRE

Les accords-cadres modifient la donne ferroviaire

Inquiétude à SNCF Voyageurs après la signature de SNCF Réseau avec Kevin Speed : les capacités promises aux opérateurs alternatifs vont-elles réduire, à terme, les siennes ? Le gestionnaire d’infrastructure doit se préparer à des arbitrages difficiles.

D’abord une rectification de notre article du 20 mars dernier (lire Mobitelex 445) : faute d’avoir comme livre de chevet le volumineux DRR 2024 (Document de référence du réseau), il nous avait échappé que désormais la conclusion d’accords-cadres se faisait dans une assiette maximale de 70% de la capacité. Ce n’est pas un détail. En effet, si Mobilettre calcule bien, sur les 16 allers-retours par jour accordés pour dix ans à Kevin Speed sur chacune des trois lignes concernées, cela aboutit à accorder un tiers de la trame sur Paris-Lyon (un aller-retour par heure sur les trois tracés), et la moitié sur Paris-Lille et Paris-Strasbourg (un sur deux). Certes, la trame actuelle peut être augmentée sur chacune de ces lignes, mais cela se ferait nécessairement au détriment d’autres OD (origines-destinations), notamment sur l’axe sud-est quasi-saturé.

Tempête à SNCF Voyageurs… «Nous sommes favorables aux accords-cadres, dans lesquels nous souhaitons nous inscrire. Nous avons formulé plusieurs demandes sur plusieurs lignes, mais nous ne souhaitons pas commenter les dossiers en cours», nous confie officiellement la SA. Selon nos informations, la filiale Voyageurs du groupe ne vit pas très bien cette attribution express à Kevin Speed, et surtout le fait de n’avoir pas été associé au processus de concertation prévu par la loi (deux mois à partir de la date de publication de l’intention par SNCF Réseau). D’ailleurs, consécutivement à la demande d’accord-cadre exprimée par un nouvel opérateur sur trois lignes de l’Ouest (Paris-Bordeaux, Paris-Nantes et Paris-Rennes), publiée par SNCF Réseau et révélé la semaine dernière par Mobilettre, le processus devrait être probablement différent.

L’opérateur historique n’a guère envie de se trouver contraint en allocation de capacité sur dix ans.

Car les enjeux autour de ces accords-cadres sont stratégiques pour tous. Pour l’opérateur historique d’abord : même si sa capacité de développement est de fait limitée par sa pénurie de matériel roulant, il n’a guère envie de se trouver contraint en allocation de capacité sur dix ans. Pour les opérateurs alternatifs ensuite : ces promesses de sillons sont de nature à crédibiliser leur modèle économique auprès des investisseurs, même s’ils en surévaluent probablement l’effet. Pour le gestionnaire d’infrastructure enfin : la perspective d’augmenter l’usage de l’infrastructure par l’afflux de demandes est une bonne nouvelle pour son chiffre d’affaires et pour sa finalité sociale et environnementale.

Mais il y a un hic : comment arbitrer entre opérateurs si la demande est supérieure à la capacité ? Problème connexe : des start-up comme Kevin Speed, Proxima (Rachel Picard) ou Le Train n’ont à ce jour pas encore les capitaux nécessaires à la commande, décisive, de matériel neuf. Leurs demandes pour 2028 sont-elles réalistes? «SNCF Réseau est en train d’accorder des capacités considérables à des opérateurs dont on peut sérieusement douter de la capacité à faire rouler au SA 2029 des trains à grande vitesse en service commercial», confie, un peu amer, un cadre de SNCF Voyageurs.

Manifestement, l’Etat en soutenant publiquement l’accord-cadre avec Kevin Speed n’a pas voulu être accusé d’entraver l’émergence d’offres nouvelles à même de suppléer SNCF Voyageurs, incapable malgré ses efforts d’optimisation du parc d’assurer dans les dix ans qui viennent une croissance à la hauteur de la demande (on ne reviendra pas sur les mises au rebut anticipées et les livraisons au compte-gouttes des TGV-M à partir de 2025, si tout va bien). Mais il va falloir que SNCF Réseau adopte des critères rigoureux d’allocation prévisionnelle des capacités lors de ces discussions très en amont. D’ores et déjà, sur l’Ouest qui connaît une explosion de la demande du fait de son dynamisme démographique, économique et touristique, il doit s’attendre à une accumulation de demandes de capacités.

Thierry Guimbaud : «La confiance, clairement on n’y est pas»

Le nouveau président de l’ART a précisé sa vision du système ferroviaire lors d’un échange organisé par l’Autorité de la concurrence le 13 mars dernier.

Il a un style qui n’appartient qu’à lui : ni «techno powerpoint» ni «lyrisme politique». Le très habile Thierry Guimbaud, nommé en début d’année à la présidence de l’ART pour six ans, a sobrement posé sa patte sur le système ferroviaire, le 13 mars dernier, lors d’un échange filmé organisé par l’ADLC (Autorité de la concurrence). En ouverture de la table ronde sur les obstacles aux nouveaux entrants sur le marché ferroviaire, il a en effet réclamé plusieurs modifications législatives de nature à accroître la confiance indispensable à l’arrivée de nouveaux opérateurs.

«Il y a deux contreparties puissantes au choix, que je considère comme pertinent, de l’entreprise intégrée», a-t-il affirmé : «Un régulateur fort et puissant, et des règles de protection des fonctions essentielles de SNCF Réseau. Mais au-delà des aspects juridiques et techniques sur les règles de déport ou la gestion des informations confidentielles, il y a un aspect essentiel à prendre en compte: la confiance que doivent accorder au secteur les nouveaux opérateurs. Je pense qu’on n’y est pas aujourd’hui. […] Il faut créer cette confiance, et veiller à ne rien faire qui aille contre cette confiance.»

Le régulateur publiera dans les semaines qui viennent un rapport et des propositions. Mais d’ores et déjà, Thierry Guimbaud a esquissé plusieurs évolutions : l’extension des fonctions essentielles protégées (comme les circulations et les infrastructures de services), la nécessité d’un avis conforme sur les codes de bonne conduite internes à SNCF Réseau et la mise en place d’un dispositif de compliance relatif, notamment, aux évolutions des carrières.

Présent lors de l’échange, avec l’universitaire Aurore-Laget-Annamayer et le président de l’Afra Alexandre Gallo qui prônent tous deux une solide culture d’indépendance, le PDG de SNCF Réseau Matthieu Chabanel a semblé un peu surpris par les propos de Thierry Guimbaud. «J’entends les sujets relatifs à la confiance, mais je relève que l’ART comme l’ADLC ont mentionné qu’elle n’avaient pas constaté de cas de discrimination avéré lié à l‘indépendance du gestionnaire d’infrastructure», s’est-il défendu. Le gestionnaire d’infrastructure considère que ce sont les problèmes de capacité et de ponctualité qui entravent essentiellement le développement des trafics et de la concurrence.

Revoir le Webinaire Mobilités organisé par l’ADLC

. . .

JUGEMENT

Gare du Nord : Gares & Connexions continue à gagner…

C’est une nouvelle décision de justice en sa faveur qui va réjouir Marlène Dolveck, la directrice générale de Gares & Connexions : le versement de la garantie à première demande (GAPD) par Ceetrus a été confirmé en appel. En septembre dernier le Tribunal de Commerce de Paris avait enjoint la filiale d’Auchan chargée du défunt projet «Gare du Nord 2024» d’indemniser Gares & Connexions à hauteur de 47 millions d’euros. Ceetrus doit également cette fois-ci payer une amende 20 000 euros. C’est de bon augure avant le dernier round judiciaire, cette fois-ci devant le Tribunal administratif (lire MobiAlerte 110).


JEUX OLYMPIQUES

En piste pour la dernière ligne droite

Trois mois pour tout mettre au point : le prolongement de la ligne 14, les renforts d’offres, la disponibilité des personnels, les transports des accrédités, les voies olympiques… et les zones et conditions de restriction de circulation routière.

A croire que la réussite des Jeux Olympiques de Paris tiendra aux conditions de transport et d’accessibilité des sites… Quel paradoxe : Paris 2024 a joyeusement délégué l’organisation des mobilités, mais échappe pour l’instant aux critiques sur le sujet qui fusent depuis qu’Anne Hidalgo à l’automne dernier a allumé la vasque médiatique : «Les transports ne seront pas prêts…» Valérie Pécresse a courageusement choisi d’assumer la responsabilité des opérations, mais s’expose de fait publiquement. Sa conférence de presse lundi dernier sur le sujet a nourri la boîte à sarcasmes.

Revenons à la question essentielle: les transports seront-ils prêts ?

Très probablement oui, s’agissant des transports collectifs, comme nous ne cessons de le rappeler, aussi bien d’un point de vue social que technique. Le seul vrai suspense, relatif à la mise en service effective de la ligne 14 d’Orly à Saint-Denis-Pleyel, se réduit au fur et à mesure des essais d’automatismes et de circulation – les marches à blanc commenceront le 13 mai pour un mois.

La Société du Grand Paris, sans tambour ni trompette médiatique, livre ce vendredi 29 mars sa première gare à IDFM : la gare d’Orly. Cela s’accompagne de quelques bisbilles, IDFM ayant posé quelques réserves techniques : les systèmes d’information ne seraient pas prêts. Interrogé dès mercredi par Mobilettre, l’exploitant de la gare, RATP Dev, ne nous a cette heure transmis aucun élément.

Seul un gros pépin, relatif aux systèmes et à l’intégration progressive des rames neuves, pourrait affecter la mise en service intégrale de la ligne fin juin début juillet. Il est probable que le Président de la République voudra être présent.

Par définition un train qui ne circule pas n’est pas en retard

Pour le reste, le mois de février (qui comportait deux semaines de vacances scolaires, plus favorables à l’exploitation) a confirmé une amélioration générale de la ponctualité sur les réseaux RATP et SNCF, avec la persistance des grosses difficultés sur les RER B, C et D et la ligne 3 du métro. A noter quand même que les taux de ponctualité ferroviaire doivent être complétés par le nombre de missions supprimées. Ainsi, en janvier sur le RER C, 644 missions ont été supprimées pour cause de tension sur les effectifs de conduite, sur les 16 988 prévues à l’offre de référence. Par définition un train qui ne circule pas n’est pas en retard. Mais son «absence» concourt à la dégradation de l’offre constatée par le voyageur.

Mais c’est surtout la question des routes et de la voirie qui semble nourrir l’inquiétude des Parisiens et des Franciliens, qui découvrent progressivement les zones de circulation restreinte et leur calendrier, de même que certaines particularités «locales». Ainsi, à proximité du site de tir à l’arc près des Invalides, deux parkings souterrains seront condamnés pendant la durée des compétitions. Surtout, les données disponibles sur www.anticiperlesjeux.gouv.fr sont bien plus détaillées et complètes pour les transports collectifs que pour les réseaux routiers. D’un côté une autorité organisatrice et des opérateurs de transport collectif qui savent de quoi ils parlent mais s’exposent aux railleries publiques, de l’autre un Etat et une préfecture dont la capacité à anticiper dans le détail les flux sur voirie et à communiquer clairement à destination des habitants, ne saute pas yeux.

Jean-François Monteils: «La confiance est indispensable»

Le 3 avril prochain, les membres du directoire de la Société du Grand Paris seront reçus par Ile-de-France Mobilités pour faire un point sur l’état d’avancement des lignes du Grand Paris Express. L’Autorité organisatrice s’inquiète, y compris parce que Mobilettre fin janvier a alerté sur le retard probable de mise en service de la ligne 15 Sud (lire Mobitelex 439). Tout retard supérieur à six mois entraînerait des pénalités au bénéfice des opérateurs déjà désignés (RATP Dev pour la 15 Sud, Keolis pour les 16 et 17).

 » Il n’y a pas de planning caché à la SGP  »

En amont de cette rencontre Jean-François Monteils a souhaité expliquer à Mobilettre pourquoi il garantit à ce jour la livraison de la ligne 15 Sud à fin 2025. «Aurait-il été plus confortable que je prenne d’ores et déjà un peu de marge sur le calendrier prévisionnel? Peut-être. Mais à ce jour, le suivi de réalisation et le tableau des risques et des aléas ne m’incitent pas à modifier notre prévision. Nous sommes concentrés, comme tous ceux qui travaillent d’arrache-pied au projet, à résoudre les problèmes qui se posent ici et là, en permanence. Un maître d’ouvrage doit susciter de la confiance auprès de l’ensemble de ses partenaires: s’il relâche la pression, alors il pourrait y avoir des conséquences en matière de coûts, de performance, de sécurité… et de délais. Il n’y a pas de planning caché à la SGP.»


Mobilettre ne va pas ouvrir un «betclic» des dates de mise en service du GPE (il aurait dû le faire il y a treize ans…), comprend les arguments d’un maître d’ouvrage sous pression, et formule trois questions.

Est-il vraiment impossible de rompre avec la désolante fatalité qui consisterait à mentir systématiquement sur les dates d’achèvement des infrastructures de transport, au moment de leur lancement? Nous rappelons, à propos des lignes du Grand Paris Express, que les premières mises en service étaient fixées à 2019/2020, puis pour les JO de 2024. Il existe des maîtres d’ouvrage sérieux dont les évaluations calendaires sont respectées, à quelques mois près. En Ile-de-France c’est très souvent le cas d’IDFM – dans un autre registre Solideo est en train de livrer ses ouvrages olympiques aux dates prévues. A la fin du marché il faudra donc certainement compter les bouses, et revenir sur ces cinq ou six années supplémentaires nécessaires à la construction de chaque ligne du Grand Paris Express.

Le suivi du maître d’ouvrage a-t-il été suffisamment rigoureux et méthodique auprès des entreprises, y compris pour résoudre les problèmes quand ils se posaient, et déjouer les manœuvres des entreprises qui cherchent parfois à obtenir des rallonges financières avant l’emballage final?

Une communication ouverte et transparente n’est-elle pas préférable aux dénis secs tels qu’opposés à Mobilettre depuis dix ans, ce qui expose forcément quelque temps plus tard à des révisions publiques piteuses? Avis aux ingénieurs: les arguments de nature technique peuvent être entendus et compris!

Il nous semble judicieux que les maîtres d’ouvrage échappent aux enjeux de nature politique pour exécuter au mieux les tâches qui leurs sont confiées. Mais les voyageurs/usagers comme les financeurs ont le droit aussi à des explications en temps réel sur l’«ajustement» des engagements: c’est bel et bien la transparence qui nourrit la confiance. Mercredi prochain, Valérie Pécresse et Laurent Probst demanderont probablement davantage que des paroles rassurantes: des éléments techniques substantiels et une revue des risques à date.


DERNIERE HEURE

Le marché de la billettique de la région Sud attribué au groupement SNCF Voyageurs, SNCF Connect et Cap Gemini

On en parle beaucoup moins que des lots d’exploitation des TER, mais la mise en place de SIBR (systèmes d’information et de billettique régional) attise les convoitises. La SNCF, en premier lieu, ne veut pas subir le morcellement de la chaÎne de valeur et s’est mise en ordre de bataille pour gagner les marchés, face à des concurrents qui aimeraient bien s’implanter sur la billettique et les SI.

En avance sur le sujet, la région Sud vient d’attribuer son propre SIBR à un consortium nommé «Sud Mobilités Technologies», constitué de SNCF Voyageurs, SNCF Connect et Cap Gemini. Le marché courra sur sept ans, à partir du printemps 2025, avec deux années supplémentaires en option.

Ce sont les enjeux de performance et les impératifs de disponibilité technique qui rendent ces marchés sensibles. La Région Sud financera en rémunération fixe 75% du forfait de charges (25% en variable) et subventionnera presque la totalité des investissements pour les équipements et la construction du Système d’information (35 millions d’euros environ). De son côté, SMT devra couvrir les risques sur les charges d’exploitation forfaitaires (avec un système de bonus malus sur la qualité de service et la performance opérationnelle), sur les recettes des titres régionaux (notamment l’offre Zou) et sur les investissements.

Abonnement à Mobilettre

Choisissez votre expérience de Mobilettre. Livré par mail, disponible en lecture sur tous les supports.

En savoir plus

Suivre Mobilettre     icone-twitter   icone-facebook

www.mobilettre.com

Les Editions de l’Equerre,
13 bis, rue de l’Equerre, 75019 Paris

logo-footer

Se désinscrire