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Un bashing peut en cacher un autre !
Et si la presse libérale-populiste ciblait un peu plus l’Etat et Alstom, et un peu moins la SNCF ?
La succession des Unes caricaturalement anti-SNCF cette semaine («Le scandale des cheminots», Le Figaro Magazine, «SNCF : la grève de trop», l’Express) rend perplexe. Comme si les médias succombaient à la tentation du marronnier de fin d’année – la grève de Noël -, au mépris des statistiques de conflictualité sur la durée, d’une analyse sérieuse de la situation sociale dans l’entreprise et du rapport de force que les syndicats cherchent à établir de façon légitime (lire ci-dessous).
Surtout, pourquoi un tel acharnement quand une partie des défaillances ferroviaires contemporaines est soit partagée avec l’Etat, soit due à un célèbre fournisseur industriel? A propos de ce dernier, faisons un premier compte.
- Retard de livraison des nouvelles rames TGV-M : Alstom.
- Plantage d’ATS sur le RER E à l’ouest : Alstom.
- Essais catastrophiques des nouvelles rames RER NG sur le RER D : Alstom.
- Retard de livraison de rames TER, dont Omneo pour Transdev sur Marseille-Nice : Alstom.
Sur tous ces sujets, les conséquences pour les usagers sont très substantielles.
Mais il est tellement plus facile de cibler une entreprise nationale qu’une multinationale opaque qui n’a pas les mêmes devoirs de transparence. Nous pourrions, nous aussi, faire dans le brutal. Quelle est la plus grande injustice ? Les petits cadeaux aux cheminots ou les gros profits aux actionnaires ?
L’artificier en chef du bashing SNCF est bien connu de Mobilettre qui ne manque pas de dénoncer ses amalgames (lire Mobitelex 363 et Mobitelex 394). François Ecalle est un haut fonctionnaire de Bercy à la retraite, président d’une toute petite association fantoche, Fipeco, qui mélange absolument tout depuis des années, dans la plus parfaite impunité : les subventions, les pensions, les investissements, les avantages sociaux. Qu’à cela ne tienne, plus l’addition est salée plus la critique est aisée. Et Bercy se frotte les mains.
Mobilettre est d’autant plus tranquille à recommander de la mesure qu’il n’est pas le dernier à challenger la SNCF sur ses propres lacunes, défaillances et coûts excessifs, et qu’il assume son soutien à l’émergence de concurrences susceptibles de l’aiguillonner et de secouer quelques-unes de ses torpeurs et mauvaises habitudes. Mais en s’acharnant sur la SNCF et ses salariés, en épargnant Alstom et les pouvoirs publics, sans nuances ni arguments solides, les dérégulateurs et liquidateurs de toutes obédiences soufflent sur les braises populistes et encouragent l’Etat à ne pas respecter la demande des Français et des entreprises : plus de trains, plus de transport public, plus de vélo ! G. D.
François Durovray, prêt à rempiler
Par son choix d’une alliance objective avec le Rassemblement National qui a précipité la chute de Michel Barnier, le Président de la République a perdu au moins trois mois. Le voilà donc contraint de discuter avec la gauche raisonnable d’un gouvernement de compromis, pour attendre les prochaines élections (dès septembre avec de nouvelles législatives ?) sans le couperet de la censure.
Dans ces conditions, un certain nombre de ministres espèrent poursuivre leur mission. François Durovray, proche de Xavier Bertrand, fait partie de ceux-là. «J’ai fait avancer de nombreux dossiers, j’en ai ouvert plusieurs, et j’ai travaillé à faire émerger des consensus», nous a-t-il confié hier, en évoquant notamment les discussions avec les syndicats des dockers et de la SNCF (lire ci-dessous) ou la préparation d’une conférence des financements, en février, pour laquelle le Premier ministre Michel Barnier lui a signé in extremis une lettre de mission.
De fait, dans un contexte budgétaire pourtant tendu, le très actif ministre Durovray avait prévu de s’attaquer aussi bien aux moyens affectés aux infrastructures et aux services de transport qu’à la cruciale question des concessions autoroutières. Pourra-t-il continuer sur cette voie ? Tout dépendra du futur Premier ministre et des choix politiques.
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Social
SNCF, jusque-là tout va mieux
La menace d’une grève reconductible s’éloigne, grâce au dialogue social, et malgré les provocations.
Jean-Pierre Farandou a réagi promptement, la semaine dernière sur Linkedin, au dossier du Figaro Magazine intitulé «Le scandale des cheminots» : «Je trouve ce choix éditorial sidérant […]. Je serai toujours du côté des cheminots quand ils sont attaqués de manière injuste et excessive», a-t-il écrit.
Les éditorialistes idéologues semblent ignorer toute prise en compte des stratégies des syndicats visant à instaurer un rapport de forces en leur faveur. Pire, ils deviennent eux-mêmes des idiots utiles d’un combat qu’ils croient dénoncer !
La réalité, c’est que les discussions allaient bon train avec les organisations syndicales sur les trois dossiers chauds de l’automne (NAO, Fret et Voyageurs), et que pas grand-chose n’accrédite l’hypothèse d’un mouvement d’ampleur national – ce qui n’exclut pas des mouvements locaux relatifs au SA 2025. Ce vendredi matin, l’UNSA et la CFDT se sont retirés de la grève reconductible des 11/12 décembre.
Le principal carburant de la conflictualité, les rémunérations, ne résistera pas à la signature de la NAO 2025 par l’UNSA et la CFDT, d’autant que d’autres catégories sociales, à commencer par les fonctionnaires, sont confrontées au gel des salaires. Difficile, dans ces conditions, de tenir une grève dure pour les seules CGT et Sud-Rail.
Les carburants alternatifs semblent se tarir eux aussi. Sur le fret, l’enchainement des discussions de la semaine a porté ses fruits, puisque l’UNSA et la CFDT ont déjà signé un accord prévoyant le maintien des conditions sociales pour les agents transférés à Hexafret et Technis pendant trois ans – selon nos informations la CGT va aussi signer les accords, peut-être suivie ce soir par Sud Rail. Le ministre Durovray a lui-même contribué à calmer le jeu mercredi en renforçant la viabilité des deux nouvelles sociétés créées, par l’amplification des aides publiques au wagon isolé, en présence du directeur général de la DGITM, et par un courrier adressé à la Commission européenne sollicitant un assouplissement de l’exclusion pendant dix ans de certains marchés. Sur l’ouverture du capital de RLE (Rail Logistics Europe), pas d’urgence, et l’expression d’une préférence en faveur d’un deuxième actionnaire minoritaire public ou para-public.
Reste le dossier SNCF Voyageurs. Parce que l’atomisation – ou la balkanisation – de la structure par la multiplication des sociétés dédiées inquiète, un maintien de l’accord sur l’organisation du travail pendant 24 mois a été proposé. Plusieurs dispositions garantiront les conditions de mobilité via les ATM (agences territoriales de mobilité), car de nombreux cheminots craignent l’assignation géographique par la dédication des moyens au sein d’une société, ou son contraire, un transfert suite à la perte d’un contrat. L’accord signé par la seule UNSA en mai dernier est remis à la signature – la CFDT s’y joindra.
Dernière concession d’importance, la mise en place d’une commission paritaire de suivi des évolutions sur le fret et SNCF Voyageurs. Tiens ! le projet de réorganisation Résonances de SNCF Réseau a disparu du spectre des revendications. Un signe supplémentaire qu’au sein du groupe public SNCF, les SA sont appelées à prendre chacune leur destin en main.
ILE-DE-FRANCE
RER E à l’ouest : le pire est évité mais un plan B eut été préférable
La semaine dernière était celle des mauvaises annonces pour les usagers franciliens et l’autorité organisatrice IDFM : la déconfiture du RER E à l’ouest et le calendrier dégoulinant de la Ligne 15 Sud du Grand Paris Express (lire Mobitelex 471).
Sauf qu’à notre humble avis, les tartines ne sont pas équivalentes. Si la succession des reports de mise en service de la L15 Sud (de 2020 initialement à 2026, voire au-delà) interroge sur la crédibilité du maître d’ouvrage SGP, les déboires du RER E entre Nanterre et Mantes-la-Jolie tiennent d’abord de la défaillance industrielle d’Alstom (lire ci-dessous), et seront en partie compensés par une solution transitoire mise en place début 2027 jusqu’en 2029. SNCF Réseau ne pourra faire circuler comme prévu fin 2026 six trains entre Mantes et Evangile/Rosa Parks, mais assurera malgré tout à raison de trois trains par heure en heure de pointe la circulation des nouvelles rames dans le tunnel, jusqu’à Gare du Nord/Magenta. Il faudra attendre 2029 pour que l’ambition initiale soit complète en heure de pointe : six trains/heure à l’ouest entre Mantes et Paris, seize trains/heure entre Chelles et Nanterre.
Malgré tout, le maître d’ouvrage SNCF Réseau aurait dû anticiper la défaillance sur la supervision et la signalisation et prévoir un plan B, ce qu’il n’a à l’évidence su faire que tardivement.
A noter que Xavier Gruz, le directeur du projet Eole, parti s’occuper du programme nucléaire à EDF, sera remplacé le 1er janvier par Aurélie Faitot, ex-DET de l’EIC Saint-Lazare et directrice de la production du TGV Atlantique.
Alstom, des défaillances mal venues
Retards de livraison à Transdev, problèmes techniques du RER NG sur le RER D, échec d’ATS+ sur Eole…
Il y a du classique et de l’exceptionnel dans les problèmes rencontrés actuellement par l’industriel.
Le classique, malheureusement, ce sont les retards de livraison des matériels roulants et les problèmes de fiabilité. Cette semaine, nous avons eu confirmation que les rames TER neuves pour Marseille-Nice ne seraient pas livrées à temps à Transdev, obligeant l’opérateur à bâtir (il est temps!) un vrai plan B pour son exploitation en juillet prochain, mais également que les essais de circulation des RER NG sur le RER D, en vue du SA 2025, étaient difficiles – à tel point que leur mise en service commercial sera réduite aux seules US (unités simples) en heures creuses.
Ecoutez bien la cause : en UM (unités multiples), les communications entre les deux rames sont défaillantes, et il arrive que la rame de tête veuille aller dans un sens et la rame de queue dans l’autre ! Quelques essayeurs se sont retrouvés les fesses en l’air… «Les équipes de Transilien et du Matériel de SNCF Voyageurs sont actuellement aux côtés d’Alstom pour l’accompagner dans la résolution des derniers dysfonctionnements des rames en UM, afin de pouvoir proposer à IDFM d’étendre le plus rapidement possible la circulation de ces rames RER NG sur des trains plus fréquentés du RER D», nous a répondu sobrement SNCF Voyageurs ce matin. Voilà comment les améliorations de service promises depuis des années sont en partie différées. «Transilien SNCF Voyageurs et IDFM regrettent que les rames Alstom RER NG en unités multiples ne répondent pas aux exigences légitimes de fiabilité dans le calendrier prévu», finissent quand même par s’émouvoir l’AO et l’exploitant.
L’exceptionnel, c’est le naufrage technologique dans la signalisation. Faute de s’entendre, les industriels ont développé chacun dans leur coin pour les circulations en zone dense une solution performante de signalisation et de supervision, mais de son côté Alstom est incapable de livrer ATS + (Automatic Train Supervision), le produit tant attendu pour augmenter les fréquences. Résultat : trois ans de retard pour le service optimal du RER E à l’ouest (lire aussi ci-dessus).
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CONGRES
Chemins de fer touristiques : une inquiétude, des opportunités
Réunis à Dax la semaine dernière, les adhérents de l’Unecto se préparent aux conséquences de l’ouverture à la concurrence des TER et entendent tirer profit des outils digitaux pour augmenter leur attractivité et leur performance commerciale.
L‘ambiance était à la fois sereine et réjouissante, en fin de semaine dernière à Dax, sous-préfecture des Landes. Au moins deux cents congressistes venus de toute la France ont échangé des tuyaux et des bonnes pratiques, sur tous les sujets: le matériel roulant, l’infrastructure, les bâtiments, évidemment, mais aussi le cadre réglementaire et sécuritaire (avec notamment le directeur du STRMTG, Daniel Pfeiffer), les modèles économiques et les développements digitaux. Claude Steinmetz, président de l’Unecto, avait convié en ouverture le vice-président de la région Nouvelle-Aquitaine, Renaud Lagrave, en compagnie de Dominique Bussereau, premier vice-président de l’association.
Si les bénévoles des trains touristiques sont évidemment attachés aux traditions ferroviaires, ils sont aussi très attentifs à utiliser les canaux contemporains de communication pour accroître leur visibilité et leur attractivité. Ainsi les efforts du Train Thur Doller, près de Mulhouse, ont particulièrement marqué les esprits. Les tarifications incitatives, les actions sur les réseaux sociaux et les campagnes médias boostent considérablement les fréquentations.
Mais pour une partie des adhérents qui ne sont pas propriétaires de leur infrastructure et relèvent du certificat de sécurité de SNCF Voyageurs, c’est l’échéance des mises en concurrence du TER qui s’impose dans le calendrier. Pour faire simple, l’attribution de lots TER à des sociétés dédiées, qu’elles soient filiales de SNCF Voyageurs ou d’opérateurs privés, va bouleverser le régime des autorisations d’exploitation et les équations économiques. L’Unecto a donc décidé de mener une mission exploratoire sur le sujet auprès de tous les partenaires, notamment les autorités organisatrices régionales. Un travail indispensable pour s’adapter à la nouvelle donne.